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Tutorat en classe de seconde

C’est au cours de l’année 2001-2002 que j’ai mis en place en classe de seconde un système de tutorat en mathématiques. Cela concernait trois groupes de deux élèves : deux groupes de filles constitués d’une bonne élève et d’une élève en difficulté, et un groupe de garçons : un élève moyen-correct et un élève en difficultés.
Le bilan de cette expérience montre que le résultat a été très positif pour l’élève moyen (excellents résultats l’année suivante en 1° S). Les bons sont restés bons, deux élèves en difficulté ont amélioré un peu leurs résultats (grâce également à l’aide individualisée) ; un élève en grande difficulté l’est resté, mais il est passé d’une attitude de refus des maths en collège à une attitude positive en lycée. À défaut d’améliorer son niveau, le tutorat, si l’on en croit les remerciements de ses parents, a agi positivement sur son moral.

En 2002-2003, huit groupes de deux d’élèves se sont d’abord constitués ; on a pu alors obtenir un groupe de module (1/2 classe) constitué de seize élèves travaillant en tutorat. Ce dispositif de travail interactif dans le temps de cours a pu alors être suffisamment institutionnalisé pour ne pas être confondu avec l’entraide que les élèves pratiquent par ailleurs spontanément. Le tutorat était bien perçu comme une activité de la classe de mathématiques puisque neuf élèves qui suivaient l’aide individuelle (AI) ont tous travaillé en tutorat sauf un qui a abandonné le tutorat pour continuer en AI.
Puis se sont ajoutés trois autres groupes de deux d’élèves dont la constance a été fluctuante.
En définitive les dix groupes de deux élèves qui ont fonctionné contenaient les sept meilleurs élèves tandis que, sur les dix élèves les plus faibles, six ont accepté le tutorat, et un seul a progressé notablement.

En 2003-2004, la proposition de suivi de tutorat par le professeur n’a pas reçu d’écho auprès des élèves qui préfèrent gérer cette activité par eux-mêmes pendant les heures d’étude ou de module. Il faut dire qu’il y a une bonne tête de classe constituée d’élèves dont la majorité s’organise pour aider les autres, et que l’effectif divisé en deux demi-classes se partage par ailleurs deux heures de module. Cela répond à la fois à la demande de la classe transmise en fin d’année par les délégués qui ont réclamé davantage d’heures de module (« car on peut parler plus librement pour échanger et s’entraider ») et aux souhaits de l’équipe des professeurs de mathématiques.
Enfin, avant les vacances de Noël, lors du bilan trimestriel des cours de mathématiques, un groupe d’élèves a souhaité bénéficier d’aide individuelle ; demande que j’ai retransmise au conseil de classe, et qui s’est concrétisée par l’octroi de cinq séances d’aide individuelle supplémentaires inscrites sur l’emploi sur temps, de janvier jusqu’aux vacances de mi-février…

Comment encadrer le tutorat ?

Même si un « protocole » a demandé à chaque groupe de tutorat de constituer un « carnet de bord » pour noter, au jour le jour, quelle partie du programme il avait travaillée, et éventuellement quelles difficultés il avait rencontrées et enfin ce que la séance lui avait apporté ainsi que ce qu’il avait découvert ou observé, le problème à résoudre reste de savoir comment suivre, aider, dynamiser des élèves qui travaillent de cette façon. En effet, ce travail autonome doit, paradoxalement, être assez fortement encadré par l’enseignant sous peine d’être banalisé, de s’étioler, de déraper dans le dépannage entre copains et de perdre le bénéfice de son statut de moment d’apprentissage.

Une première réponse à cette question a été de demander aux élèves de communiquer leurs observations sur la manière de suivre et d’améliorer cette expérience… Ainsi mis en situation d’être partie prenante dans l’élaboration du processus de partenariat, les élèves sont invités à effectuer une réflexion métacognitive qui est le ressort essentiel de ce dispositif.
Une deuxième réponse est à chercher dans le renforcement du lien qui doit exister avec le travail en module ainsi qu’avec le travail en aide individualisée de manière à faire du tutorat un moment qui s’intègre dans un ensemble.
Mais cela ne suffit pas : il faudrait réfléchir à des réponses pédagogiques générales qui, dans le cadre de séances de modules ou d’AI, mais aussi pendant les heures de classe entière, permettraient d’aborder la question de savoir comment améliorer les représentations, les approches et les méthodes des élèves en mathématiques, le tutorat constituant alors un moment privilégié riche d’enseignements et de possibilités de remédiation. Comme on le voit bien, il s’agit de tout autre chose que de savoir comment compenser tel ou tel manque par telle ou telle aide. Il s’agit de permettre aux élèves d’avoir une prise sur leurs apprentissages à l’intérieur d’un groupe où les pairs apportent leur contribution sous la forme d’interrogations, de propositions, de confrontations, d’essais et de considérations méthodologiques.
Or, il faut pour cela un cadre plus souple que l’horaire et le cadre de la classe traditionnelle. En seconde, les heures de module et d’aide individualisée apportent un peu de cette souplesse en accordant six heures de travail aux professeurs quand chaque élève en dispose de quatre dont une en demi-classe, à laquelle peut s’ajouter une heure d’aide individualisée. Pourtant, des collègues, peu inspirés par les possibilités qu’ouvre cette variabilité, font le calcul que si tous les professeurs de mathématiques se contentaient d’assurer leurs heures selon le quota de quatre heures par élève, cela reviendrait à diminuer les effectifs de 33 à 22 élèves, auxquels il suffirait de prodiguer les cours magistraux que tout le monde connaît…
Malheureusement, il faut craindre que, faute d’être suffisamment formés pour mettre en place des dispositifs inventifs, propres à répondre aux besoins des élèves, les professeurs ne délaissent l’AI et les modules ou ne les remplacent par des cours de rattrapage. Bien des voix se sont élevées contre le gâchis que représenterait le financement de ces dispositifs « inefficaces », donnant -hélas- une fois de plus satisfaction à ceux qui n’imaginent pas d’autre forme d’innovation pédagogique que la baisse des effectifs… et qui n’ont d’autre ambition que de supprimer les seuls moyens mis à notre disposition pour introduire un peu de différenciation pédagogique au lycée.

Une dynamique collective

Quel bilan tirer de cette suite d’expériences qui, au long des trois années scolaires, peut paraître manquer de cohérence ? Tout d’abord, il faut rappeler que c’est l’élève qui est acteur, puisque le groupe-classe débat du dispositif et voit ses choix concrétisés et mis en œuvre grâce à la souplesse qu’offrent l’aide individualisée et les heures de module… Mais ces choix ne sont pas nécessairement conformes à ceux que le professeur avait imaginés à la fin de l’année scolaire précédente. Si la pédagogie consiste à savoir anticiper, elle comporte cette part d’incertitude qui vient de ce que les élèves sont des êtres réels pourvus de connaissances particulières et doués de personnalités singulières avec lesquelles il faut compter. Ainsi, le groupe que la classe constitue, les groupes de travail qui vont se former et les modes de coopération qui vont s’installer ne peuvent être totalement prévisibles.
Enfin, il est apparu essentiel de soumettre le compte rendu de l’aide individuelle à l’approbation des élèves. Plutôt qu’une participation démagogique, le débat qui a eu lieu à cette occasion a permis aux élèves de formuler leurs réflexions et leurs bilans, et de les avaliser. Même si ces remarques peuvent paraître banales et si, d’un point de vue purement mathématiques, elles ne semblent pas d’une rentabilité extraordinaire, ce sont des paroles qui s’inscrivent dans une démarche qui, fidèle à l’esprit du tutorat, a inscrit un rapport individuel au savoir dans une dynamique collective.
D’un point de vue éducatif, c’est essentiel, et je fais le pari que les maths ont à y gagner.

Erwan Le Brenn, professeur de mathématiques, lycée Galilée, Guérande.
Analyse et réflexions mis en forme par Pierre Madiot.


Bilan de l’Aide Individuelle
Le mardi 6/02/2004 (avant les vacances mi-février)

Aide Individuelle mise en place pour 6 élèves de 2e 2 et à leur demande, les mardi 6-13-20 au 20 janvier de 13 h 15 à 14 h 10 ; séance de bilan le mardi 3 février à la même heure.

Pour ce qui est des résultats scolaires, il est à noter :
– Une amélioration constante des notes pour deux élèves ; ils ont bien su également préciser les points sur lesquels ils ont progressé.
– Une amélioration, mais en dent de scie pour 2 élèves ; ils ont su également expliquer les points sur lesquels ils se sont améliorés (en fait un peu dans tous les domaines travaillés lors des séances), mais regrettent le manque de temps qui leur aurait permis de mieux consolider leurs acquis.
– Une stagnation des résultats pour 2 élèves : néanmoins, ils ont su préciser les parties en cours d’acquisition, sur lesquelles ils pensent avoir progressé (« on commence à comprendre, mais ce n’est pas encore sûr ») ; ils regrettent eux aussi les manques de temps (« les contrôles arrivent trop vite ») pour concrétiser ces progrès par une meilleure note.

S’agissant des modules, ils apprécient leur existence : « on comprend mieux, on peut échanger, et se faire expliquer ».

Je les ai informés que leur démarche de demande d’aide sera validée par une indication dans la rubrique mathématiques du bulletin du 2e trimestre, du type « s‘est porté volontaire pour l’aide individuelle et a suivi les séances avec assiduité ».

Un élève a souhaité une « validation plus concrète » ; je préparerai donc pour la rentrée un contrôle sur 10 points en 30 minutes (donné par exemple pendant une séance de module), portant sur les thèmes travaillés ensemble, dans le cadre du programme officiel de 2e ; cette note interviendra dans la moyenne du 2e trimestre (1/7 de la moyenne).

La séance de bilan s’est terminée environ à 12 h 55… Tout ayant été dit, je les ai autorisés à quitter la séance.