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Travailler avec les élèves en difficulté

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En ouverture, Jean-Michel Zakhartchouk a présenté un historique de la question telle qu’elle a été abordée par notre revue depuis plus de soixante ans. Une liste de mots-clés qui donne un aperçu de la manière dont nous
avons traité « la question » (et, déjà, la nommer, c’est choisir un angle de vue), à travers des titres de dossiers, depuis au moins 1960. Nous avons ainsi édité des dossiers qui privilégiaient l’entrée par « le handicap socioculturel
» et la question du « soutien », puis d’autres qui s’intitulaient « L’échec scolaire », « La lutte contre l’exclusion », « L’aide » (de l’ATP aux PPRE), « La pédagogie différenciée », « L’éducation prioritaire », « Le décrochage », « Le socle commun et la culture pour tous ». En 2000, notre colloque d’automne s’intitulait « Élèves à problèmes ou problème de l’école ». Plus tard, les journées d’automne ont pris pour thème le socle commun, et les
Rencontres 2005 « Comment faire réussir tous les élèves ? ».
Comment traiter aujourd’hui la question de la difficulté scolaire ? Pour y voir plus clair, nous avons invité Roger-François Gauthier, inspecteur général[[Auteur notamment d’un rapport pour l’Unesco sur les contenus d’enseignement, http://www.cahiers-pedagogiques.
com/article.php3?id_article=3007
]]. Ce qui suit est le résumé de ses propos.

La moitié des élèves

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R.-F. Gauthier a d’abord souligné combien l’expression « élèves en difficulté » est ambiguë, voire utilisée comme euphémisme ; dans d’autres pays, on a plus tendance à évoquer les effets de la difficulté (« droping out ») ou les besoins particuliers de certains élèves.
Voyons d’abord dans quelles conditions sont « produits » ces élèves. Quelques chiffres : on peut estimer à 160 000 sur 800 000 élèves le nombre de ceux qui sortent de l’école « sans », sans qualification, sans un diplôme de l’enseignement professionnel ou sans le bac. En gros 20 % d’une classe d’âge. Si on regarde les évaluations Pisa des jeunes de 15 ans, on constate que 50 % de ces jeunes sont en 2de, et 33 % en 3e. 15 % sont encore en 4e ou 5e. On retrouve les chiffres de Christian Forestier : le système
marche bien pour la moitié des élèves, mais pour la moitié seulement. Et d’ailleurs, les résultats de Pisa montrent clairement que pour les élèves de la moitié supérieure, c’est particulièrement bon, mais pour l’autre, il y a de très grosses difficultés et un rang très médiocre dans le palmarès international.
Tout cela va avec l’idée d’un parcours du combattant qui laisse sur le côté trop, beaucoup trop d’élèves.
Parmi les secrets de fabrication de la difficulté scolaire, il y a d’abord le rapport au savoir. En France, la prescription scolaire est de nature religieuse, comme le montre bien Denis Meuret[[Gouverner l’école, éducation et société, PUF, 2007. Voir aussi son article dans le dossier « Le socle commun, mais comment faire? » des Cahiers pédagogiques.]]. On a des programmes idéaux, mais on manque de vrais repères. Les contenus scolaires sont très peu tournés vers les usages, vers l’idée anglo-saxonne d’empowerment : qu’est-ce que les savoirs permettent de faire, dans la vie, quel pouvoir donnent-ils ? On préfère l’abstraction. Les programmes sont annuels et à chaque rentrée on recommence à zéro, quasiment.
De plus, la prescription est non négociable, on n’est pas dans le monde de la contractualisation, même à partir d’un cadre global. En fait, il s’agit d’une mission divine, supérieure à la société. Les programmes ne sont pas « politiques » au sens où les élus de la Nation n’ont en principe pas leur mot à dire. L’école est en dehors du débat politique.
Nous avons là une première manière de fabriquer la difficulté, car certains élèves ne peuvent se reconnaître dans cette abstraction et ne parviennent pas à trouver du sens à ce parcours semé d’embûches.
Seconde manière de produire l’échec : les modes d’enseignement et l’évaluation.
On peut reprendre là quelques idées finalement assez banales sur tout ce que la pédagogie dominante peut avoir de « bridant » :
– la notion de préalables ou de prérequis qui empêche d’aborder les savoirs complexes, la mise au premier plan des « fondamentaux » au détriment d’une pédagogie du projet ou de situations -problèmes
– l’insistance sur les aspects formels (la présentation, etc.)
– la hiérarchie des connaissances et des matières
– le refus de la construction culturelle, patiente et imaginative, se donnant les moyens de son ambition
– l’erreur assimilée à la faute…
L’évaluation, elle, reste opaque, peu référencée. L’élève est harcelé de contrôles, calcule sans cesse sa moyenne, mais en même temps ne sait pas vraiment où il en est dans
son acquisition des compétences.

Quelles pistes ?

On a tant de mal à faire évoluer ce système qu’on peut être tenté par le découragement. Les tentatives pour introduire des ferments de changement sont souvent digérées par ce
système. Par exemple, tout ce qui a été tenté pour mettre en place des « éducations » à (l’environnement,
la citoyenneté, etc.) est resté marginal. L’échelon de l’établissement reste exclu de la réflexion sur les contenus. Les dispositifs comme les IDD et les TPE n’ont
jamais été évalués et sont abandonnés quand ils commencent à donner quelques résultats.
Aujourd’hui, il faut mettre en avant quelques propositions sur certains leviers possibles :
le socle commun, qu’on n’a toujours pas pris au sérieux[[ Lire l’article de l’auteur sur notre site ]] et qui peut être un moyen de réfléchir sur la continuité éducative, de l’école au collège ; sur l’idée de « savoirs utiles » (tant pis pour ceux qui considèrent cela comme un crime de lèse-majesté) ; sur la notion de compétences, et en particulier transversales : se demander ce que les élèves doivent acquérir, et non à quelle lumière ils doivent être illuminés…
– travailler dans les établissements scolaires sur la part du négociable : définir ensemble comment on évalue concrètement les compétences hic et nunc, à partir du cadre global défini par le socle, et plus généralement développer les procédures d’autoévaluation par les établissements. Il faut en partie définir ensemble la route…
– à l’égard des jeunes en difficulté, trouver une juste mesure entre l’excès d’attention qui peut être stigmatisant (multiplication des dispositifs de soutien, mises à l’écart de fait) et la négation des difficultés au nom d’une pseudo-égalité formelle. Il faut, en particulier, aider ces élèves à prendre la parole, à exprimer leurs difficultés et à devenir des acteurs.
– sur l’évaluation, il paraît essentiel d’en finir avec une logique de la compensation et donc des moyennes (on en revient à l’idée de vraies acquisitions[[Voir à cet égard le rapport dont R.-F. Gauthier est un des corédacteurs: « les acquis des élèves, pierre de touche de la valeur
de l’école ? »
]]).
– une des pistes qui peut amener à bouger, en dehors du socle, c’est peut-être de se donner l’objectif de 50 % d’élèves qui doivent atteindre le niveau de la licence. On ne pourra y arriver sans faire bouger toute la machine, et surtout pas en revenant à la sélection avec examens d’entrée en 6e, etc.
Il s’agit bien de réponses qui sont bien entendu politiques, même si elles ne sont pas que cela.

Diversité des difficultés, diversité des aides

La journée s’est poursuivie par des ateliers qui déclinaient ce thème de réflexion sous divers aspects. L’ensemble a permis d’aboutir à douze propositions qui ne visent pas à clore le sujet, plutôt à le relancer.

Le Crap-Cahiers pédagogiques


Douze propositions du Crap-Cahiers pédagogiques

– Le système scolaire et ses acteurs sont prompts à déclarer « en difficulté » un élève dont le rythme ou les façons d’apprendre ne sont pas dans «les normes» ou qui achoppe sur un point ou dans un domaine à un moment de
son parcours. Il faut au contraire réaffirmer que
la difficulté est une étape normale de l’apprentissage
qui, dans de nombreux cas, nécessite surtout que les enseignants la repèrent, l’acceptent, la comprennent, et soient à l’écoute de l’élève pour lui permettre à son tour de comprendre cette difficulté et de la dépasser sans
avoir le sentiment qu’il est un « cas ». Peut-on apprendre d’ailleurs sans faire d’erreurs et sans rencontrer des difficultés ?
– Il y a une aide spécifique à apporter aux élèves en difficulté, mais elle doit d’abord être réalisée en classe, dans le cadre d’une pédagogie nécessairement «aidante» et non sélective.
– L’aide doit être marquée par la diversité et la multiplicité des dispositifs d’apprentissage, en recourant en particulier à la coopération entre les élèves et l’entraide mutuelle.
– Les dispositifs d’aide s’inscrivent dans le cadre d’un projet d’établissement qui prévoit au collège des temps institués (études ouvertes à tous, aide individualisée, soutien spécifique et remédiation ciblée par rapport à des besoins identifiés…).
– Il convient d’articuler une aide inscrite dans le cursus normal de l’élève et l’aide sur la base du volontariat. Celui-ci peut cependant se combiner avec un dialogue incitatif avec l’élève, sans quoi les plus en difficulté risquent de n’être pas « volontaires ».
– Tous les adultes d’un établissement doivent être impliqués par l’aide ; une liaison entre les cours et les temps d’aide est une nécessité impérieuse.
– Les PPRE sont un dispositif intéressant, mais qui ne peut fonctionner que sous certaines conditions : implication des élèves et des familles, concertation des équipes, inscription de temps spécifiques (heures PPRE en collège)
dans un cadre global, mise en place d’une évaluation, réflexion sur le travail en classe pour les élèves concernés (pédagogie différenciée).
– Le PPRE doit aussi viser à changer les regards et les discours sur les élèves en difficulté. Un accompagnement des équipes chargées de sa mise en oeuvre est indispensable (formation initiale et continue, travail d’équipe, suivi…).
– L’aide aux élèves doit impliquer les familles. Il faut pouvoir les accueillir dans les meilleures conditions, n’être prescripteurs que pour ce qui concerne notre professionnalisme (conseils pour le travail personnel par exemple). Une formation aux relations avec les familles, trop limitée actuellement, doit se développer.
– S’il faut travailler avec les parents des élèves en difficulté, en étant volontariste pour pouvoir les rencontrer, il est tout autant indispensable de le faire aussi dans un cadre global, où l’on s’adresse à tous les parents.
– Le socle commun peut être une chance décisive pour réduire les difficultés des élèves. Mais pour atteindre cet objectif, il faut que le livret de compétences soit utilisé comme outil d’accompagnement de l’apprentissage de l’élève dans une perspective formatrice, dans un dialogue où l’élève est partie prenante, et non dans une démarche de simple certification ou de pédagogie par objectifs qui fragmenterait, simplifierait connaissances et compétences, qui aurait l’obsession de l’évaluation.
– La mise en oeuvre du socle doit d’autre part être menée dans le cadre d’un travail en équipe pédagogique afin de définir des niveaux d’exigence, en se situant dans la transversalité et dans la continuité des apprentissages (parcours de formation de l’élève), en pensant l’articulation entre les disciplines et le socle.
Le danger existe que le socle soit un moyen d’exclure (ceux qui n’ont – même – pas le socle !). On peut être inquiet d’entendre dire qu’aucun élève ne doit pouvoir entrer au collège sans avoir le niveau suffisant. Si c’était un appel pour une politique forte de lutte contre l’échec et pour une mobilisation de tous dans ce cadre, on ne pourrait que s’en réjouir. Mais il est à craindre que ce soit la porte ouverte à la fin du collège pour tous et ce serait inacceptable.