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En musique, au collège, nos programmes nous demandent d’aller de la sensibilité à l’analyse. Et c’est ce que nous faisons. D’ailleurs, peut-on être professeur de musique sans vouloir, d’abord, être en contact avec les élèves, avec les émotions des élèves ? Et faire partie de ces premiers adultes qui leur donnent le gout de la musique et les mots pour en parler ?

Percevoir

Bien sûr, il y a du culturel dans nos ressentis. C’est vrai que nous travaillons majoritairement (pas uniquement quand même) sur la musique occidentale, qui ne parle pas de la même façon à tout le monde. Mais l’important, c’est de mettre des mots sur ce qu’on ressent. Au début, les mots, ça se limite souvent à « joyeux » ou « triste » ; mais justement, pour essayer de préciser, nous leur donnons des termes plus précis (avec une fiche, carrément) dans lesquels ils puisent pour mieux colorer leur ressenti, par exemple pour différencier « triste » de « mélancolique », un mot que certains élèves ont tant de plaisir à prononcer qu’ils le ressortent en toute occasion !

Les élèves de 6e aiment bien exprimer ce qu’ils ressentent en imaginant une histoire sur la musique entendue ; les plus grands apprennent peu à peu à nommer les émotions. Et ce qui est bien, c’est que la mauvaise réponse n’existe pas. On part des premières impressions, variées, contradictoires. Parfois ce sont des rires, alors on essaie de comprendre ce qui les a provoqués. L’approche historique aide beaucoup : nous expliquons d’où vient tel procédé musical, comment il a voyagé, ses liens avec d’autres musiques dans d’autres régions du monde.

Bien sûr, il arrive qu’on échoue à faire partager quelque chose à une classe, et qu’on en soit d’autant plus mortifié que c’était une œuvre aimée ; du coup, on la garde pour soi. Mais la plupart du temps, une première réaction négative permet une discussion fructueuse. Ainsi pour le Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima de Krzysztof Penderecki (dix minutes d’une musique de cordes stridente, sans pulsation). Son écoute en classe de 3e (on s’arrête à quatre minutes en général) crée une émotion forte et permet ensuite une discussion sur l’art, la beauté, etc., et sur le fait que la musique n’est pas toujours un art de la connivence avec le public, ce qui est une idée nouvelle pour beaucoup d’élèves.

Produire

Les élèves rencontrent des émotions très fortes, individuelles et collectives, dans la pratique du chant. C’est différent de la justesse technique. Il y a des élèves qui font passer quelque chose de fort, même si tout n’est pas parfait musicalement. Cet épanouissement vocal, c’est difficile à travailler en une heure hebdomadaire au collège (on a plus de temps en chorale) ; ça passe beaucoup par la psychologie, une attitude bienveillante, et le soutien du collectif. Il y a des groupes qui ont l’habitude d’applaudir quand l’un d’eux chante en solo, c’est chaleureux et ça aide à faire tomber les barrières que certains se mettent.

Si nous pouvons aller, dans l’année scolaire, jusqu’à une prestation devant un public, c’est un grand moment qui fait passer les élèves par la peur et les tremblements, parfois jusqu’au bord du refus de dernier moment, « je peux pas ! », et puis la jubilation d’avoir réussi. Des émotions fortes bien partagées avec le professeur. Incroyable ce qu’on se sent soutenu par le public, jusqu’à cette émotion particulière de la fin, comment la nommer ? Un mélange de soulagement, de fierté, de dépassement de soi, de partage, que les élèves auront eu la chance de connaitre.

Isabelle Dumay, Alexandra Godfroy
Professeures de musique en collège dans l’Oise