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Théâtre d’enfance et de jeunesse. De l’hybridité à l’hybridation

Les activités liées au théâtre et destinées à l’enfance et à la jeunesse se polarisent autour d’un débat entre la place faite au texte d’une part, à l’ensemble jeu dramatique/improvisation/expression d’autre part. Cet ensemble a pris un temps le dessus, en partie sous l’influence de l’éducation populaire, à côté des études de textes théâtraux dans l’enseignement du second degré. Christiane Page, qui fait l’historique de ces activités, note finalement un retour de l’auteur avec la création d’un répertoire dédié, depuis les années 70. Pour elle, cela pose la question de la place de l’élève, de la parole de l’élève : derrière les activités texto-centrées à l’école, il y a des objectifs qui impliquent des choix éthiques ou idéologiques.

C’est du répertoire théâtral donné à lire et à voir – plus qu’à jouer, un aspect secondaire ici – que traite ce livre. Le théâtre est un genre hybride car il est à la fois texte et jeu, support de lecture et de représentation, et le répertoire contemporain pour la jeunesse vit les mêmes évolutions que celui qui s’adresse aux adultes, dont une hybridation avec d’autres formes artistiques (conte, musique, arts visuels…)

André Petitjean montre les innovations dramaturgiques partagées par les deux répertoires, adulte et jeunesse, parmi lesquelles une radicalisation des procédés de déconstruction dramaturgique qui exige du lecteur-spectateur de solides capacités d’inférences. Sandrine Le Pors, étudiant les listes, énumérations, inventaires dans le texte théâtral, conclut à l’intrusion d’éléments qui ne relèvent pas du dialogue théâtral classique mais davantage de cette « esthétique du fragment » observée aussi par Petitjean.

Ces textes contemporains, privilégiés dans les suggestions institutionnelles, présentent de réelles difficultés de lecture pour les élèves. Sylviane Ahr prend pour corpus les pièces de la listes de « lectures pour les collégiens » publiée en 2012 par le ministère : outre leur portée éthique et philosophique, ces textes mettent en tension les frontières de genre entre conte et théâtre en particulier, et conduisent à une conception moins normative des genres littéraires. Pour les élèves, les relations intertextuelles peuvent être source de plaisir si précisément un brouillage générique trop important, une écriture désarçonnante (davantage de monologues que de dialogues, dans l’exemple étudié) ne font pas écran au sens. C’est Isabelle de Péretti qui s’intéresse à la réception des œuvres par les élèves en comparant leurs réactions à l’étude de deux pièces inspirées de contes et à la dynamique d’une séquence articulant des lectures et des mises en voix et en espace à un travail d’écriture.

C’est ainsi que le jeu théâtral et l’invention-écriture par les élèves sont réintroduits dans des pratiques ordinaires de classe, au service du sens du texte. Les élèves du CM2 observé ont tous progressé quelles que soient leurs compétences de départ, et ont réussi, certes plus ou moins adroitement, à s’emparer de procédés utilisés dans le texte qu’ils étudiaient pour produire leurs propres textes ou les améliorer, comme en témoignent quelques productions annexées à l’article. L’une des hypothèses de l’auteur est que le langage théâtral, à la fois très construit, élaboré, et proche de l’oral, est un point d’appui utile aux élèves.

La didactique du théâtre évolue aussi parallèlement aux pratiques professionnelles et peut rendre à l’élève un rôle de sujet : Pierre Longuenesse décrit le fonctionnement d’ateliers théâtre en lycée qui s’inspirent des « écritures de plateau » que pratiquent des metteurs en scène comme Pippo Delbono et/ou des compagnies comme le Théâtre du Radeau. Dans ces ateliers, co-animés avec un professionnel, l’écriture est articulée au travail de plateau, le passage au plateau est plus une confrontation des propositions des élèves que la production d’un sens pré-expliqué et préétabli.

Cet ouvrage nous fait découvrir un répertoire riche, exigeant, qui prend les enfants et les adolescents au sérieux qui interroge les codes du théâtre comme le fait le répertoire pour les adultes. C’est peut-être d’ailleurs une partie des enseignants, plus encore que ceux des élèves qui n’ont pas encore construits de stéréotypes sur le theâtre, qui risque d’être déroutée. Pourtant, plus que jamais, ces textes impliquent que l’enseignant se fasse « passeur culturel » et s’autorise des pratiques qui rendent l’élève « acteur » et sujet.

Elisabeth Bussienne