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Suzanne Citron dans le texte

«Par les programmes, on nous impose donc, sans vouloir l’admettre ouvertement, une orthodoxie qui correspond à des partis pris et des postulats, contestables et contestés, sur la nature de l’Histoire, et par suite détermine la démarche même de la connaissance !
[…]
Nous sommes d’autre part bien obligés de constater que le ministre, en perpétuant certaines manières de faire élaborer, diffuser, transmettre des programmes détaillés, prend en fait position contre la rénovation, puisqu’il continue à officialiser le type d’école française traditionnelle, dans lequel le primat va à la discipline et non à l’enfant. Nous avons essayé de montrer que le problème fondamental des finalités résidait dans la version du rapport entre l’enseignant et enseigner : le système traditionnel consiste en la soumission de l’enseigner au primat du programme et de l’héritage culturel ; l’école nouvelle repose sur l’exploitation de méthodes et de connaissances dans un but de formation de la personnalité.»

Extrait d’un article de commentaire de Suzanne Citron sur les nouveaux programmes d’histoire-géographie-instruction civique, dans le numéro 87 des Cahiers pédagogiques, en janvier 1970.

Une histoire plurielle pour une France à réinventer

«Notre « crise d’identité » vraie ou supposée est à bien des égards une crise de l’imaginaire historique et de la vision de la chose publique. Quelle méthode nouvelle d’exploration du passé, quels regards permettraient de combler le déficit de sens et l’absence de projet dont pâtit aujourd’hui la collectivité française ? Quelle histoire commune et plurielle permettrait ici et là de lutter contre les fanatismes, les haines ou la simple désaffection ?
Ce que nous prenons pour « notre » histoire résulte, nous l’avons vu, d’une manipulation du passé par les élites au service ou à l’appui des différents pouvoirs. Une historiographie apologétique de l’État et d’un « génie français » hors normes sous-tendait l’imaginaire national construit par la Troisième République. Distanciée aujourd’hui comme « roman national », cette histoire n’en demeure pas moins prescrite dans les programmes du collège, étape décisive de la scolarité obligatoire. Les instructions officielles présentent le découpage traditionnel, qui remonte à 1802[[Voir la suite édifiante des «programmes de l’enseignement secondaire général» in Patrick Garcia et Jean Leduc, L’enseignement de l’histoire en France de l’Ancien Régime à nos jours, Armand Colin, 2003, p. 296-307.]] comme une histoire « patrimoniale », qui serait tout à la fois mémoire collective, mémoire nationale, mémoire partagée. Ce qui est faux, puisque le récit de la France Gaule méconnaît l’histoire des trois quarts des Français, qu’ils soient corses, alsaciens, juifs ou arabes, petits-enfants d’immigrés et/ou d’anciens colonisés… Et cette histoire « patrimoniale » est totalement inefficace puisque les quêtes mémorielles dans la société adulte, comme chez les élèves, ne peuvent y trouver d’inscription[[Sur la demande de mémoire et notamment d’histoire coloniale, voir, entre autres, l’enquête menée à Toulouse en 2003 in La Fracture coloniale. La société française au prisme de l’héritage colonial, sous la direction de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Sandrine Lemaire, La Découverte 2005, p.263-300.]].
[…]
Repenser les modalités de prescription de l’enseignement de l’histoire dans un système scolaire souple et décentralisé, est-ce un rêve fou, politiquement incorrect[[Le colloque d’Amiens – dont les Actes seraient à relire – l’avait préconisé en mars 1968 dans son rapport sur l’ « évolution des structures des établissements ».]] ou une piste à saisir pour transformer la France ? Un cadrage à grand maillage de l’histoire de l’humanité, relié à des séquences de durée courte concernant plus particulièrement la France, selon différentes échelles de l’espace et du temps, constituerait le socle commun, la toile de fond d’un passé proposé à tous et à chacun, à différents niveaux de la scolarité. Des séquences diverses, des mises en ordre partielles, chronologiques, thématiques, sur différents sujets, sur des mémoires fières, douloureuses, oubliées seraient proposées en options. Les établissements, les enseignants en équipe y puiseraient selon leurs besoins et leurs publics.»

Extraits de l’épilogue de l’ouvrage Le mythe national – L’histoire de France revisitée, de Suzanne Citron publié aux Éditions de l’Atelier / Éditions ouvrières, 2008.

Des extraits plus larges et une recension sont également disponibles sur notre site.


Pour aller plus loin:
Réforme du collège et des cours d’histoire : derrière ce tollé absurde, un malentendu, tribune de Suzanne Citron du 19 mai 2015 parue sur le site Le Plus du NouvelOb.

Pour une République citoyenne, tribune du 24 septembre 2014 de Suzanne Citron dans Libération.

Suzanne Citron: «Une France des diversités et des multiples racines reste à inventer», entretien paru dans L’Humanité le 26 mars 2014.

Réforme de l’éducation : la gauche au défi, tribune du 27 aout 2010 de Suzanne Citron dans Le Monde.

Et sur l’enseignement de l’histoire:
Le roman national, la barbe du Père Noël et la moustache de Clovis, Antidote n° 4, par Yannick Mével

L’enseignement de l’histoire, entre savoirs universitaires et politique, par Annie Feyfant

Enseigner l’histoire à l’école, recension de l’ouvrage de Benoit Falaize, aux éditions Retz, 2015, et interview de l’auteur.