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Sic itur ad astra

Crime ou suicide collectif ? Je n’ai pas compétence pour en décider, mais ce sont bien soixante-quatorze membres de l’OTS qui, pensant par là peut-être opérer simplement leur « transfert » vers Sirius, sont, en langage courant, morts. On évoque, autour de ce drame, littérature ésotérique et apocalyptique, cérémonies secrètes pour initiés, et il y avait sans doute dans tout cela une part de trucages et une part d’escroquerie. Mais cela ne concernait pas (pas seulement ?) des personnes faibles, facilement manipulables ; il y avait dans ces groupes, et peut-être des deux côtés, des personnes cultivées, raisonnantes, sachant décider, par exemple un chef d’orchestre réputé, un médecin (homéopathe), un pharmacien, des policiers, des chefs d’entreprise, etc.

Dans le même temps, madame Teissier soutient une thèse portant sur la « situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés postmodernes ». Il est intéressant de s’interroger sur la sociologie des adeptes et des adversaires de l’astrologie. Mais toute une querelle s’ensuit, qui, à en juger d’après les articles publiés, semble plutôt une querelle entre sociologues : avait-on le droit d’accrocher un titre universitaire à un sujet comme celui-là ? Là encore, je n’ai pas compétence pour savoir s’il y a eu déviation des règles académiques. Mais ce qui peut inquiéter, c’est l’impact qu’une telle thèse peut avoir sur l’opinion publique, dans un pays où les astrologues prospèrent et où certains d’entre eux, à commencer par l’impétrante, ont l’oreille des décideurs. Que des grands personnages, depuis toujours, aient accordé foi à l’astrologie ne rend pas optimiste quant aux possibilités d’une conduite raisonnée des affaires du monde. Encore que la gravité n’est pas la même selon qu’il s’agit de rois du Moyen Àge par exemple ou de responsables contemporains, comme naguère Reagan. Mme Teissier, désormais docteur, se targue de ses relations professionnelles avec le président Mitterrand ; ces relations sont consternantes. J’entends bien : il s’agit d’une thèse de sociologie, pas d’une étude falsifiable de l’astrologie, que l’on risque d’attendre longtemps. Mais, alors qu’une étude universitaire sur les conceptions de la sexualité et de la reproduction chez les Baruya de Nouvelle-Guinée ne va pas entériner l’idée que « le sperme est l’unique substance qui fabrique l’enfant, et le lait maternel qui le nourrit après sa naissance est conçu comme une transformation du sperme du mari que celui-ci donne d’ailleurs régulièrement à boire à son épouse quand elle va être mère » (Maurice Godelier, Esprit, mars-avril 2001), une thèse en Sorbonne sur la sociologie de l’astrologie soutenue par une astrologue risque bien d’être interprétée, par cette large partie de l’opinion publique qui est déjà favorablement prédisposée, comme un gage de crédibilité de cette pseudo-science. Même si le directeur de la thèse, M. Maffesoli, affirme, à bon droit d’ailleurs, que « un titre de docteur dans telle ou telle matière ne garantit en rien ce qui peut être dit ou fait hors de la discipline » (Le Monde, 24 avril 2001).

Tout cela nous concerne-t-il ? Je le pense. Comme citoyens d’abord : même s’il ne faut pas réclamer une censure des sujets de thèse ou des publications, le poids des astrologues et la vogue de l’ésotérisme et des mouvements sectaires, ne peut qu’inquiéter ceux qui se soucient de la santé mentale du pays et de ses dirigeants. Et comme enseignants et éducateurs aussi : la culture scolaire, héritière des Lumières, fondée sur la rationalité scientifique, considère peut-être trop hâtivement que le problème ne se pose plus… Et pourtant, lectures d’horoscope, tables tournantes, ou verres habités par les esprits frappeurs, fleurissent dans le quotidien, et pas seulement de nos élèves, même si leur âge fait d’eux des « clients » privilégiés. Alors, organiser la rencontre entre les savoirs scolaires superbement didactisés dans un rationalisme qui ne va de soi que pour ceux qui les maîtrisent, et les expériences quotidiennes, sensibles, où l’irrationnel va de soi cette fois sans restriction, semble plus que jamais à l’ordre du jour. Des sujets d’exercice, qui devraient intéresser aussi bien les professeurs de sciences que ceux de français ou d’histoire : analyser ces horoscopes, pour en montrer le caractère résolument vague de façon à convenir au plus grand nombre, en faire le pastiche, voir dans quelle mesure des prévisions précises (rares) se sont réalisées, approcher épistémologiquement non pas la sociologie de l’astrologie mais l’astrologie elle-même, etc. Et aussi réfléchir sur la tolérance. On ne brûlera pas les astrologues comme jadis les sorcières, mais on ne tolérera pas que leur discours soit légitimé : toutes les théories se valent ? N’importe quoi !

Jacques George, Professeur honoraire de l’IUFM de Paris.