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Scolariser les deux ans, affaire de formation, de moyens, de politique ?

Notre école, composée de 8 classes est située en ZEP. Son architecture est moderne, ouverte largement sur l’extérieur, dans un quartier défavorisé : quartier d’Ivry-Port, ancienne zone industrielle en mutation, friches, logements insalubres et délabrés, petite cité ancienne et beaux HLM tout neufs.
Les parents sont d’origines diverses ; prés de 50% des enfants entendent parler chez eux une autre langue que le français.
Avant l’année scolaire 2000/2001, les enfants de 2 ans étaient scolarisés dans les mêmes classes que les enfants de 3 ans. Nous adaptions les activités des 3 ans (avec moins d’exigences) aux deux ans alors que ces enfants sont en train de construire des savoirs spécifiques. Je me souviens d’un enfant non-francophone qui apprenait à parler en faisant de l’écholalie. Bien que consciente du besoin qu’il ressentait d’être écouté, je m’occupais d’abord de ceux qui entraient dans des apprentissages plus scolaires. Dans ces petites sections où sont mélangés 2 et 3 ans, la priorité est donnée aux élèves qui iront en moyenne section. On n’enseigne pas comme on le ferait dans un double niveau.

Changement de regard

À la suite d’un stage inter partenarial (ATSEM, enseignants, animateurs, aides éducateurs, représentants de parents) , qui a abouti à l’élaboration d’une charte de coéducation- des interventions de Miriam Rasse, psychologue de l’association Pickler-Lockzy de France, sur la spécificité et les besoins de l’enfant de 2 ans, ont permis à l’équipe enseignante de faire le constat que les tout-petits étaient les « laissés pour compte » de l’école. L’éducation nationale ne prévoit en effet aucun programme spécifique pour cette tranche d’âge.
À notre retour de stage, notre regard sur la scolarisation des deux ans avait changé. L’équipe a donc pensé que l’intégration des 2 ans ne pouvait se faire à n’importe quel prix. À la rentrée suivante, l’inspectrice de l’époque a soutenu notre projet d’ouverture d’une classe de deux ans et nous avons ouvert une classe de 18 tout petits. Il fallait une enseignante volontaire pour ouvrir cette classe spécifique et cette décision n’était pas facile à prendre pour nous car le rôle de l’enseignant des 2 ans n’est plus vraiment d’enseigner. J’ai accepté de jouer ce rôle. Les premiers changements ont porté sur les activités (elles se sont diversifiées) puis sur les rapports entre adultes (ATSEM, animateurs sont devenus ceux de véritables coéducateurs) et nos idées ont mûri durant le second semestre. Cela nous a amenés à des transformations concrètes.

Changement du cadre

Aménagement des lieux
L’architecture de l’école avec de larges et claires aires de circulation autour des classes nous a permis d’envisager d’installer un « espace d’accueil » où enfants et parents peuvent pratiquer ensemble des activités de découverte de jeux, de livres, d’objets, d’aliments. Ce lieu d’accueil est un lieu « transitionnel » entre l’intérieur et l’extérieur de la classe, lieu dans lequel l’enfant peut passer un moment avec l’adulte qui l’accompagne avant de le quitter et entrer dans la classe. Cet espace est aménagé pour prendre une collation. Ce qui permet de désencombrer la classe de tables inutiles. L’aménagement de la classe est pensé de manière évolutive et non plus figé par un mobilier encombrant. Tapis de gymnastique, objets roulants, cabanes pliantes, chemins, piscine à balles, bac à sable créeront des évènements dans la classe et favoriseront les besoins de mouvement. Le bac à eau trouve naturellement sa place dans les toilettes attenantes à la classe.

Aménagement des horaires
L’heure de la cantine est avancée pour les tout petits. Les animateurs viennent les chercher à 11 h30. Les enfants mangent dans le calme et vont dormir avant les autres. Le réveil échelonné était déjà mis en place dans l’école où les dortoirs sont attenants aux classes de petits.

Aménagement de la pédagogie
La pédagogie avec les 2 ans ne se définit pas par les contenus mais surtout par la démarche. Cette classe ne s’adresse pas encore à des élèves ni à des parents d’élèves. L’enseignant a ici le rôle d’un accompagnateur.
Les objectifs doivent répondre aux besoins psychologiques de l’enfant et viser le renforcement du sentiment de sécurité, la valorisation de chaque individu dans sa globalité. L’environnement essaiera d’être attrayant, convivial, chaleureux et incitatif pour accueillir les enfants sur le chemin des apprentissages de l’école.
C’est dans la conception des activités, leurs présentations, leurs animations, leurs diversités leurs originalités et leur mise en œuvre que l’on favorise la socialisation et l’envie d’apprendre.

À propos de l’encadrement : nous n’avons pas bénéficié de moyens supplémentaires. Comme dans toutes les autres classes de petits de la ville, une ATSEM est à temps plein avec l’enseignante. Elle a été le fil rouge de l’enfant parce que présente sur le temps de classe avec l’enseignante et sur celui de l’interclasse (cantine) avec l’animateur.

Quel bilan ?

Les enfants ont passé une année riche d’expériences et de plaisir. Sur 18 enfants, 10 seulement sont restés dans l’école jusqu’au CP. Parmi ceux-là, 4 ont fait le cycle 2 en 2 ans ce qui n’était absolument pas un objectif en soi (au contraire les parents étaient prévenus que leur enfant passerait 4 ans à l’école maternelle), 4 élèves sont très brillants, 1 est moyen et 1 reste en difficulté scolaire. Aucun n’a rencontré de difficultés d’adaptation à la classe des petits et ils ont tous été moteurs dans les activités proposées.
Les parents ont appris tranquillement leur rôle de parents d’élèves. Ils ont vu se construire un rapport à l’école fait d’estime de soi, de valorisation, de solidarité et de respect des règles. Des interactions fortes se sont créées entre les parents qui aident à la compréhension entre différents milieux socioculturels. Les apprentissages sont visibles et faits grâce aux jeux et à l’implication de chaque enfant. Les parents comprennent mieux les démarches des enseignants et les pédagogies actives. Ils font d’autant plus confiance à l’école que la séparation à 2 ans a été difficile et qu’ils ont fait un vrai travail d’adaptation. (Personne n’exige la propreté d’un enfant de 2 ans et les couches sont mises tant que cela semble utile)
L’enseignant : cette année avec les 2 ans m’a apporté un autre regard sur mon métier. J’ai appris a observé pour proposer, à créer des stratégies d’incitations basées sur l’envie et le plaisir. J’ai appris sur les différentes manières d’apprendre ; pas toujours de façon active, ni de façon linéaire. J’ai pu voir que celui qui ne chantait jamais avec nous dans le coin-regroupement parce qu’il préférait se balancer sur le cheval à bascule connaissait malgré tout toutes les chansons qu’il retrouvait dans son cahier. J’ai appris en observant les interactions entre enfants. Celui qui transmet ses connaissances à l’autre n’est pas toujours celui que l’on croyait le plus performant. J’ai vu que les élèves aiment apprendre et que parfois le travail scolaire ne leur plaît pas parce qu’il est trop facile et qu’ils ont besoin de faire de véritables recherches. J’ai vu des enfants se lancer des défis et alterner de nombreux essais et erreurs avant de réussir.
Les autres partenaires de l’école, animateurs, ATSEM se sont tous investis dans ce projet élaboré en commun. Cette décision est un aboutissement du stage inter partenarial dont on ne vantera jamais assez les mérites. La place et le rôle de chacun étaient explicites et complémentaires.
Notre expérience a permis de faire bouger la position de la circonscription sur les classes de 2 ans et l’inspectrice (de l’époque) a accepté que les effectifs des classes de 2 ans ne dépassent pas 20 sur toute la ville (2 de plus pour nous mais 5 de moins dans toutes les autres classes).

Cette expérience a déjà 5 ans. Les participants au stage inter partenarial ont bougé. La politique sur l’intégration des 2 ans n’est plus d’actualité. Cette année, il existe une liste d’attente car l’école est complète et il n’y a pas assez de 2 ans pour faire une classe. Nous nous adaptons au concret de nos situations, tout en sachant que de vrais moyens nous permettraient de faire mieux. Je conseille malgré tout à tous ceux ou celles qui veulent voir l’école autrement d’aller dans ces classes de 2 ans. Ce que j’y ai appris est transposable dans toutes les classes ; assurer les besoins psychologiques, observer, favoriser les interactions entre élèves, les accompagner dans leurs apprentissages, individualiser notre enseignement, accepter les différences de rythme, favoriser l’estime de soi…
Si la scolarisation des enfants de deux ans n’est pas l’idéal, elle permet au moins deux choses ; donner matière à la soif de découverte de certains enfants et combler les écarts pour d’autres. C’est le cas par exemple pour les enfants qui ne sont pas en crèche et qui suivent leur maman au travail. La scolarisation à cet âge me semble un moindre mal pour le petit qui prend le métro à six heures dans le dos de sa maman, dort sur la moquette puis joue dans son coin pendant que sa mère fait le ménage dans des bureaux. Au-delà de la question de l’épanouissement de l’enfant, elle soulève aussi la question de la prise en compte des inégalités et celle de la répartition des moyens.

Arlette Boucheny, Professeur des Ecoles à l’Orme au chat, Ivry sur seine.

Lire dans la revue l’article de Nicole Geneix et Laurence Chartier
Pour des politiques en faveur de la petite enfance (p.48)