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Sciences et langage à l’école : apprendre par et avec le Vivant

Faire des sciences à l’école maternelle, nous disent les textes, c’est agir, c’est penser, c’est exercer des compétences langagières.
S’interrogeant sur ces principes, une équipe d’enseignants s’est formée à l’automne 2004. Elle a rassemblé, autour de préoccupations initiales liées à la didactique des sciences et portées par un formateur de sciences de l’IUFM de Lorraine, des enseignants maîtres formateurs des écoles maternelle et élémentaire annexe Jean Errard de Bar le Duc. Elle est devenue plus qu’un groupe de travail, un groupe de recherche réfléchissant sur des questions liées à l’enseignement des sciences.

Un projet de recherche s’est construit autour du rôle du document biologique dans la démarche d’investigation des activités scientifiques à l’école. Puis il s’est orienté sur l’influence de la posture de l’enseignant dans cet enseignement. Enfin le langage et la l angue se situent au départ de ce travail comme des outils susceptibles de constituer des repères pour analyser et pour comprendre les différentes interactions et l’évolution des compétences langagières des enfants. Nous préciserons ces différents concepts évoqués, document, posture, interaction langagière à chacun des paragraphes concernés.

Les activités élaborées et observées par le groupe se sont organisées autour des questions suivantes :
– Quelles sont les caractéristiques des documents vivants ou de leurs substituts dans leur relation avec le sujet ?
– Les postures de l’enseignant modifient-elles le rapport au document de celui qui se l’approprie ?
– La posture de l’enseignant influence-t-elle le développement langagier des enfants ?
– Quels effets ces interactions ont-elles sur l’appropriation des élèves et leur questionnement (curiosité, créativité, invention) du document problème ?

Le recueil des observations des différentes activités a été effectué dans les premières séries de situations pédagogiques à partir de classes organisées en deux groupes réputés comparables. La consigne est donnée par l’enseignant. Le matériel à partir duquel les élèves se questionnent, est constitué de glands germés, de blattes, de phasmes et de photographies et dessins des différents objets biologiques cités. Tous les échanges langagiers sont notés par deux observateurs. Ils constituent les données, supports de l’analyse présentée dans cet article.

Nous présenterons successivement le rôle du document en sciences de la vie, puis la question des postures de l’enseignant.

1. Le document en biologie peut être le vivant et son substitut.

C’est dans le cadre d’un groupe de l’IUFM de Lorraine, appelé OREST (Observer, Raisonner, Expérimenter en Sciences et Technologie) que se sont faites les premières réflexions sur le document en Sciences et Technologie. Elles ont souhaité situer le document dans la démarche d’investigation des disciplines scientifiques. Nous avons essayé de répondre pour les Sciences de la Vie et de la Terre.

1.1. Le document en sciences

Le document en sciences de la vie, et peut-être plus qu’ailleurs, possède un statut particulier. La biologie étudie le vivant et les organismes vivants. Elle étudie aussi les mécanismes affectant ces organismes quelle que soit l’échelle. De l’invention du microscope à l’imagerie biomédicale, des territoires inconnus, des connaissances, des problèmes sont apparus, le champ de la biologie s’est agrandi. Les techniques ont progressé et l’objet de la biologie est devenu « le prolongement de l’intelligence plus que de la vue » (cf G.Canguilhem) Dans cette perspective, le document en biologie est ce qui instruit, pose et permet de poser des questions. Les objets biologiques qu’ils soient « du vivant » (blatte ou danse de l’abeille ou contraction musculaire) ou substituts du vivant (schéma, scanner ou IRM) sont des documents parce qu’ils instruisent l’observateur qui les détient. Ils deviennent des objets scientifiques dès l’instant où un interlocuteur questionne l’objet biologique perçu, blatte ou schéma ou scanner. En effet l’objet scientifique est une réponse à une question posée à un objet de perception en l’occurrence ici, le document, quel que forme qu’il ait.

C’est parce que le vivant et son substitut (le non vivant soit photographie, soit schéma, soit dessin, maquette, scanner, …) sont questionnés, c’est-à-dire dans une situation problème, qu’ils deviennent l’un ou l’autre, un objet scientifique. De la sorte un document devient un objet scientifique. Le document n’est pas isolé. Il participe, par le questionnement auquel il est soumis, à des échanges multiples avec un ou des interlocuteurs. Nous utiliserons alors la notion de document problème pour bien montrer dans quelle perspective se situe le document, objet d’étude. Nous situons notre travail dans le cadre des interactions langagières multiformes et de la structuration des connaissances.

Ainsi se pose à nous la question de savoir si le document en biologie, vivant ou substitut du vivant, interagit de façon identique avec le sujet, ici l’élève ou les élèves. Observe-t-on des échanges langagiers différents tant dans leur contenu que dans leur forme selon le document proposé ?

1.2. Influence du document, vivant ou son substitut

Le groupe de réflexion a travaillé selon ces deux types de documents, le vivant et le substitut du vivant, et à partir de situations pédagogiques authentiques : plantations (glands, bulbes), élevage (chenilles, phasmes, blattes). Les deux observateurs ont transcrit, noté autant que possible les échanges langagiers et relevé les marqueurs de cognition ; vérification d’hypothèses : Loula (Gs) : « parce que cornes et antennes, ça se ressemble pas, y a pas de A, N… comme dans ANTENNE ! » des signes repérés par l’élève : de l’objet en document.

Proposer des phasmes ou leurs photographies à un groupe d’enfants, c’est leur permettre d’exercer des compétences langagières : cette situation pédagogique dans une classe de moyenne section avec des phasmes vivants, montre des élèves qui disent, décrivent, comparent, expliquent. C’est une libre expression langagière presque ludique :

Maîtresse : on va dire tout ce qu’on peut écrire sur la bête (phasmes vivants).
Bryan : Elle a plein de pattes.
M : Ensuite, qu’est ce qu’on peut dire d’autre ?
Lucile : Elle a un p’tit peu des p’tits traits.
Bryan : On voit des yeux.
Maëva : Elle a des yeux pointus.
M : Où ? Elle va un peu vite, on va la calmer.
Lucas A : Elle va vite comme un lézard.
Rémi : Elle est verte.
Loula : On dirait une branche.
Lucas : Elle s’accroche à la branche.
M : Comment on va leur dire comment elle est ?
Lucas : C’est comme un caméléon.
M : Pourquoi tu dis caméléon ?
Lucas A : Les caméléons i changent de couleur.
Lucile : Elle dort ?…

L’échange suivant a lieu entre des élèves de grande section face à des blattes vivantes : les élèves recherchent ici la précision lexicale caractéristique des activités scientifiques. Ils s’écoutent, interagissent et progressent dans la description du document.

Brendan : La petite, elle a une carapace…
M : Et les grandes ?
Brendan : Une petite peau.
M : Qu’est-ce que c’est ?
Camille : Une coquille.
Victoria : Une grande peau.
M : Simon ?
Simon : Des ailes…

Nous pouvons alors constater dans l’échange suivant avec des élèves de la classe de moyenne section face à des photographies de ces mêmes phasmes qu’ils essaient de nommer, de comparer, d’expliquer, d’interpréter.

M : Vous allez me dire tout ce que vous voyez et après on ira dans la classe et on verra si c’est la même chose.
Tom : Là, y a une patte et la…
Lucas C : Moi je peux dire, des cornes et des pattes…
Bérénice : Y a des feuilles et pi…
Lucas C : En petit, petit, petit, je peux voir des yeux.
Tom : Moi j’ai vu un aquarium avec de la famille dedans.
M : « Des tout petits yeux », tu avais dit, rappelle toi Lucas.
Lucas : Des tout petits yeux et pis des cornes et des pattes.
Eé : Moi j’ai vu une grosse tête.
M : Combien d’yeux, de cornes de pattes, vous n’avez rien dit…
Anaïs : J’ai vu par-là …
Bérénice et Lucas C : 4 pattes !
Tom : 1, 2, 3, 4, 5 et 6
M : Et toi, Iliès ?
Iliès : 1, 2, 3, 4, 5
Tom : 6 !
Lucas C : 4 pattes et 2 cornes !
Tom : C’est 6 pattes parce que les p’tites bêtes comme ça, elles ont pas d’cornes !

Ils ne décrivent plus, ils évoquent, ils découvrent progressivement, ils attendent les confirmations, les sollicitations de la maîtresse pour affirmer, « j’ai vu … » ou pour orienter leurs observations. Les compétences langagières mises en œuvre se révèlent différentes selon le document proposé.

Comparons maintenant des échanges entre les mêmes élèves face à des documents différents, le vivant et son substitut, des phasmes et leurs photographies.

GS : substitut du vivant GS : vivant
Maître : Regardez les photos et dites ce que vous avez envie de dire.

— Lucas : Moi j’ai vu une libellule.

— Sasha : Moi j’ai vu un papillon … Je dirais plutôt que c’est une fleur.
Maître: Pourquoi as-tu changé d’avis ? Tu dis un papillon ou une fleur ?

— Sarah : Une feuille parce que c’est vert.

— Lucile : Un papillon ici.

— Ouaïs : Moi je connais pas trop ces animaux, ces insectes … Je vois un insecte tout seul !
Maître : Ouaïs a raison quand il dit « insecte » ; les fourmis, les papillons, des sauterelles, c’est des insectes, Ouaïs, il a raison ?

— Ouaïs : Je vois trois trucs pointus.

— Marion : Là il y a des antennes.

— Thomas : Non c’est des feuilles.

— Marion : Une grenouille ?
Maître : On va revenir sur ce qu’a dit Ouaïs : « des insectes »…
Je vous ai ramené …
Sarah : Des phasmes !
Maître : Comment ils sont ?

— Nicolas : Hein, les petits ils n’ont pas d’ailes ?
Maître : Il se peut qu’il y ait des phasmes qui ont des ailes. Qui vient nous décrire les phasmes ?

— Sarah : Ils ont des grandes pattes.

— Louis : Des cornes… des antennes.

— Sarah : On avait dit qu’ils avaient 6 pattes, des grandes pattes, des antennes.

— Nicolas : Des touts petits yeux…

— Nicolas : Et un grand corps.

— Ouaïs : Des grandes pattes… des oreilles…

— Sarah : Des grandes antennes.
Maître : C’est bon, maintenant, j’ai mis des phasmes dans des boîtes, approchez, regardez (des phasmes de différentes tailles dans les boites).
Les enfants échangent entre eux : des mamans, des papas, des bébés, des grands frères.

Dans la comparaison de ces échanges, et ce fut pour nous une surprise, il apparaît que le document substitut du vivant semble plus susceptible de questionner les élèves. Plus énigmatique et inconnu, plus nouveau et plus original, le document substitut se place facilement dans une situation problème et suscite de la part des élèves un questionnement fourni, dense et varié. Ils découvrent du nouveau et le traitement de l’information est plus interrogateur ! Les expressions des élèves relèvent du doute, « moi je connais pas trop ces bêtes », de l’étonnement, « je vois trois trucs ». L’imagination est en activité au risque de dévier, « une grenouille ». Avec le document substitut, l’enseignant semble procéder plus méthodiquement pour assurer une découverte plus favorable au traitement de l’objet. Il insiste sur le mot insecte. Cette heuristique semble favoriser les interactions et les enfants se risquent à justifier leur propos. Nouveau, le document substitut ne favorise pas le langage d’évocation comme nous le constatons avec l’échange parallèle, « on avait dit… ». Le langage de situation prend alors toute son importance et le document se pose comme problème. Malgré tout ce langage de situation s’exprime alors aussi avec le document vivant. Par exemple en grande section avec les blattes.

Le maître organise, après des échanges, le vocabulaire utilisé par les uns et les autres :

Maître : donc les petits sont les bébés, les moyennes ont déjà grandi et …
Chloé : Les bébés ils sont tout petits.

Manon : Là c’est une adulte (désignant du doigt).
Rozenn : Ils ont enlevé sa peau … sa peau de bébé …
Elsa : Sa peau perdue …
Maître : Les PLUS jeunes, ça veut dire quoi ?
Chloé : C’est les toutes petites !

Le lien semble se faire entre âge et taille. Il convient alors de revenir sur ces énoncés et de mettre en œuvre une nouvelle situation problème. Avec le document substitut, les registres de langue sont différents, la syntaxe est précise, le lexique s’affine.

Dans tous ces échanges, le rôle du maître nous est apparu essentiel. Les interactions langagières, la formulation du problème et l’évolution des compétences langagières des élèves semblent soumises à l’action ou au silence du maître. Cela nous a conduit à nous interroger sur l’influence de la posture de l’enseignant que nous précisons dans le paragraphe suivant.

2. Postures et compétences langagières

2.1. Les postures dans les interactions

Nous avons emprunté le concept de posture à B. Andrieu et Isabelle Bourgeois (Aster n°38) qui le définissent comme le résultat de (ou des) l’interaction(s) entre interlocuteurs, maître et élèves lors d’activité. L’idée de posture consiste « dans l’intention de faire entrer l’élève en activité, à interagir avec lui pour provoquer sa réflexion, par le langage corporel, par l’énonciation et par l’énoncé. La finalisation (étant) …la construction de son savoir.» À la posture prise par l’enseignant, l’élève répond par une posture en retour. C’est à partir de l’analyse de contenu verbal des échanges que se sont dégagés des couples de postures : expert/novice ; accompagnateur/acteur ; guide/ exécutant ; conducteur/exécutant. Ces postures interactives sont repérées après analyse du discours de l’enseignant et celui de l’élève.

Notre questionnement portait sur l’influence de la posture de l’enseignant sur l’appropriation du document par l’élève et sur le langage de l’élève face au document. Nous souhaitions repérer comment à partir de ces postures d’enseignant se définissaient les postures d’élèves. Pour notre étude, nous avons utilisé les postures de guide, d’accompagnateur et celle d’expert. Expert, l’enseignant produit un discours construit avec des liens et des notions, il énonce des savoirs avec des temps de pause, l’élève écoute. Guide, l’enseignant conduit l’entretien vers un but préétabli, ici le savoir du document, de sorte que l’élève exécute, donne une réponse attendue par l’enseignant. Accompagnateur, l’enseignant place l’élève dans une position de découvreur, d’acteur de son savoir, il l’invite à développer et construire son savoir.

2.2. Le cadre de l’expérimentation

Le recueil de données s’est effectué pour cette seconde série de situations pédagogiques selon différentes contraintes :
-le travail se fait en 2 groupes réputés comparables,
-les documents proposés sont des bulbes, des phasmes, des blattes et leurs substituts,
-les enseignants inscrivent, par la consigne, le document dans une situation problème,
-les enseignants prennent des postures différentes pour la séance soit accompagnateur soit guide puis avec le groupe classe expert. Cela est convenu avant la séance.

Les maîtres avec chaque groupe de leur classe doivent :
Avec classe de MS et des bulbes, dire pourquoi c’est vivant, comment ça pousse.
Avec classe de GS, observer des photos de phasmes et classer ou trier.

Deux observateurs notent les différentes interactions dans les postures et leurs effets psychologiques, cognitifs, linguistiques (symboliques, métacognitifs). Ils repèrent des marqueurs d’interactions langagières et les opérations cognitives liées.

2.3. Influence de la posture

a -posture d’ accompagnateur et élèves de MS :

Maître : Oui mais comment le faire pousser (voix appuyée) ?

— Flavie : Faut qu’il pousse. (gestuelle des mains du bas vers le haut)
Maître : Comment ?

— Flavie : … On l’arrose …
Maître : Oui on l’a écrit …

— Manon : Faut …

— Jade : On peut le poser et y faut mettre de la boue pour pas que quelqu’un l’écrase …

— Paul : Faut faire attention à la pointe. (geste désignant la pousse de son bulbe d’amaryllis)

— Théo : Ce petit truc-là…

— Baptiste : La pointe, il faut qu’elle soit en haut !
Maître : Antoine ? Paul a dit quelque chose tout bas.

— Antoine : … La pointe elle a poussé.

— Flavie : Il a dit qu’il faut le planter dans la terre !
Maître : Est-ce que ça vous rappelle quelque chose qu’on a déjà vu ensemble en classe ?

— Léa B : C’est un machin avec un piquant en haut
Maître: c’est pas un machin, je crois que vous connaissez un autre nom …


— Nathan : des …

— Margot : ça, c’est un oignon.
Maître : On l’a déjà vu ce mot en classe, c’est pas un oignon, ça ne se coupe pas pour faire la cuisine, on en a déjà planté tous ensemble …

— Charlotte : Des bulbes !
Maître : Je note aussi moi, continue Myriam… L’enseignante écrit.

— Myriam : On a arrosé, et pis après on l’a posé sur la table, et pis après on a mis notre étiquette sur le pot.

— Manon : Et pis après on a arrosé.
Maître : Oui Manon, Théo ?

— Théo : On a mis de la terre dans le pot.
Maître : Très bien, Théo.

— Théo : On a mis le bulbe.
Maître : Oui, très bien.

— Théo : On a mis de l’eau.
Maître : Oui, très bien on peut dire comment aussi.

— Théo : On a arrosé.
Maître : Oui, très bien Théo !

Avec cette posture d’accompagnement, l’enseignant prend le temps de l’écoute, il favorise les prises de parole successives des nombreux élèves. Beaucoup participent à la découverte. Les interventions des élèves sont multiples et diversifiées. Leurs erreurs sont appréciées par l’enseignant qui réagit opportunément. Enfin, les sollicitations de l’enseignant sont souvent positives : « très bien ». Elles mettent en confiance l’élève lorsqu’il prend la parole. Dans cette posture, l’enseignant se fixe comme objectif le développement de l’enfant, de sa curiosité. Il l’entraîne vers la découverte simultanée du document et stimule les acquisitions langagières.

b – posture de guide et élèves de GS :

Maître : Je vais vous montrer des photos, je vais les afficher une par une, il faut lever le doigt et on parlera distinctement de ce qu’on voit…

— David : Je vois une punaise.
Maître : Comment tu sais ?

— David : Parce qu’il vole pas.
Maître : Quelle photo tu voulais montrer, comment tu peux dire que c’est une punaise ?

— David : Parce que y a des yeux.

— Louis : Y a une araignée.
Maître : Comment tu sais ?

— Louis : Parce que y a 6 pattes.

— Apolline : Ca a 8 pattes, une araignée ! Normalement une araignée, ça a 8 pattes et celle-là, elle en a que 6.
Maître : D’accord, Ophélie tu veux parler ?
Hugo explique pourquoi il choisit de mettre seule une photographie.
Maître : Et là ce serait quoi ?

— Hugo : Le ventre.

— Louis : Je suis d’accord avec Hugo.
Maître : Il t’a convaincu !

— Hugo : Là il y a un petit trou, c’est sa bouche.
Maître : Il y a la une bête que tu voulais mettre toute seule !

— Hugo : Celle-là.
Maître : Alors il en reste !

La posture de guide se traduit par un questionnement dirigé et orienté par le maître. Celui-ci définit un cadre dans lequel le document est questionné. Tout écart est sanctionné, rectifié afin que les élèves cheminent vers le but à atteindre. Dès la consigne donnée, la tâche est définie et elle constitue le but à atteindre, l’enjeu des interactions. Nous constatons alors, que progressivement, l’enseignant intervient fréquemment, puis réduit les échanges avec les élèves pour engager une conversation avec un ou deux élèves avec lesquels il dialogue. Ces élèves sélectionnés spontanément par leur prise de parole, par leurs compétences scientifiques ou /et langagières prennent le pouvoir dans le groupe, pouvoir délégué par les autres membres du groupe. Le « jeu » consiste alors à des questions réponses avec un ou deux élèves. Les découvertes sont orientées, les acquisitions langagières secondaires, les renforcements rares, il s’agit d’arriver au but, trouver des réponses au problème.

c – posture d’ expert et élèves de GS :

Après une posture d’accompagnement

Maître : On le met là et j’écris « de plusieurs couleurs ». Si vous voulez me poser des questions c’est le moment … parce que je connais un peu ces bêtes mais pas toutes … Qu’est-ce que vous avez besoin de connaître ? Quelle est ta question ?

— Louis : Moi je veux bien connaître son nom…

Et après une posture de guide

Maître : Maintenant que vous avez fait ce classement, voulez-vous savoir des choses sur ces insectes ?

— Lucas : Celui-là ? Le nom ?
Maître : Ca s’appelle un phasme à tiare ; on l’appelle phasme à tiare parce qu’autour de ses pattes il y a …

— Elève : Et celui-là ?
Maître : J’écris son nom « un phasme morose ». On continue qu’est-ce que vous voulez savoir ?

— Billal : Comment il mange ?
Maître : Celui-là je sais, il mange du lierre et des feuilles de mûrier ; celui-là, des feuilles de mûrier. Qu’est-ce que vous voulez savoir d’autre ?

— Léo : Comment ils boivent ?
Maître : Avec leur bouche. Ils aiment bien les petites gouttes de pluie. Qu’est-ce que vous voulez savoir d’autre ?

— Sarah : Comment ils se lavent ?

— Léo : Comment ils vivent ?

— Sarah : Comment ils grimpent sur les feuilles ?

— Elève : Comment ils se font un abri ?…

Selon la posture précédemment vécue, la curiosité et la demande des élèves sont différentes :
– soit ils ont participé à la découverte ; leur curiosité est satisfaite et le questionnement peu important, c’est la posture d’accompagnateur,
– soit ils ont délégué à d’autres le traitement du document ; leur curiosité est vive, alors ils participent de façon animé et intense, nouvelle ; c’est la posture de guide, ils sollicitent l’expert car de nombreuses questions sont en suspens.

Cette posture d’expert peut se situer en fin de séance mais il apparaît que le maître dans une séance se situe dans les différentes postures ; il est parfois, accompagnateur, guide, expert dans une même séance à des moments différents en fonction des signes repérés. L’important nous paraît être le fait de montrer ici, que ces postures agissent sur les compétences langagières des élèves et sur leurs activités intellectuelles en situation pédagogique.

Conclusion

Notre tri du document biologique, en vivant et substitut du vivant, s’est révélé intéressant. Il montre que, selon la caractéristique du document, l’interaction document /élève varie dans la mise en œuvre des compétences langagières et les registres de langue mais aussi qu’avec le document substitut, les élèves engagent une découverte plus questionnante. Ce dernier point nous a « contrarié » en tant que didacticien des sciences prônant depuis toujours la priorité au vivant. Des situations pédagogiques, avec le substitut du vivant, pourraient servir de situations déclenchantes pour un questionnement préalable avant d’être relayées par le document vivant ? Nous avons constaté que des élèves qui, dans un premier temps, traitaient le substitut du vivant, puis dans un second temps, le vivant, semblaient avoir mieux structuré le savoir. Cela demeure toutefois à vérifier !
Ce travail nous confirme dans l’idée que la posture de l’enseignant est primordiale dans l’évolution des compétences langagières des enfants. Selon la posture de l’enseignant les interactions langagières sont différentes. L’appropriation du document se fait différemment : avec une posture de guide quelques élèves spécialistes ou « parleurs » dialoguent avec le maître, ils construisent leur savoir. Qu’en est-il des autres ? Qu’ont-ils appris ? Les interactions suivantes avec la posture d’expert montrent que les élèves passifs durant l’échange ont tout à découvrir du document proposé. Avec la posture d’accompagnement le langage des élèves semble plus structuré, les reprises positives de l’enseignant plus fréquentes. L’acquisition de compétences langagières semble être un des buts prioritaires de l’enseignant plus que ne semble l’être le savoir.
Avec ces quelques résultats obtenus, la pratique réfléchie du maître se pose comme une nécessité dans la pratique quotidienne. En effet sachant l’influence de la nature du document sur le langage des élèves et l’influence de ses postures, l’enseignant se doit d’être attentif à ces paramètres et à son action pour favoriser l’apprentissage et le développement des ses élèves.

Jean-Paul Doste, Professeur de biologie IUFM de Bar Le Duc – OREST.
Annick Harbulot, Directrice d’école maternelle honoraire, Vice présidente de l’AGEEM de la Meuse.


Bibliographie

– Aster n° 37 et 38, INRP
« Apprentissages progressifs de l’écrit à l’école maternelle », PROG.INRP coordonné par Mireille Brigaudiot, Hachette Education
« Temps et temporalité », Mireille Brigaudiot, Benoît Falaize, Scéren, CRDP Limousin
« Parler ensemble en maternelle », la maîtrise de l’oral, initiation à l’écrit, Agnès Florin, Ellipses
« La communication verbale », Robert Vion, Hachette Supérieur
« L’apprentissage de l’abstraction », Britt-Mari Barth, Retz.

Lire dans la revue l’article de Dominique Moinard
Travailler en grand dans le couloir (p.53)