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Nathalie Balsan-Duverneuil, photographe fondatrice du studio B612 à Montpellier, formatrice, auteure d’un manuel de photographie de référence, nous livre son expérience professionnelle construite sur un chemin de vie, une maison à soi.
le 28 novembre 2019Que peut-on dire d’un enseignement interdisciplinaire imposé au collège à la rentrée 2016 (les EPI), à une échelle encore jamais vue (six projets par élève en trois ans), mais qui n’a duré qu’une année scolaire, puisqu’un seul projet par élève est désormais obligatoire ? Quelles étaient les difficultés rencontrées par les établissements, côté direction et côté équipes pédagogiques, dans la mise en place de ces EPI inclus dans la réforme du collège ? Au-delà de la réforme elle-même, comment les enseignants intègrent-ils des pratiques et des projets interdisciplinaires dans leur quotidien ?
C’est à ces questions qu’ont tenté de répondre les partenaires du projet Erasmus+ Cross-curricular Teaching (Crosscut) [1] lancé en septembre 2016 dans six pays européens, à l’initiative du Centre international d’études pédagogiques (CIEP) et de l’Institut français de l’éducation-ENS de Lyon. L’objectif était d’apporter un regard européen en France, à une époque où étaient engagés des débats houleux sur l’intérêt d’ajouter un nouvel enseignement interdisciplinaire à une réforme déjà très complexe, car apportant en même temps de nouveaux programmes disciplinaires à tous les niveaux et un nombre impressionnant de changements à anticiper au niveau de l’organisation des enseignements (horaires disciplinaires, brevet et évaluation notamment) [2].
L’angle choisi par les partenaires européens dans ce projet était l’enseignement transversal, qui a pour objectif de développer les compétences clés des élèves, définies de façon commune au niveau européen et dont chaque socle commun national, comme en France, est issu. Les partenaires du projet Crosscut ont choisi une définition de l’enseignement transversal pouvant s’appliquer dans les six pays concernés : « un enseignement impliquant une volonté d’utiliser simultanément des connaissances, des aptitudes et des compétences issues de plus d’une discipline, en vue de former des citoyens autonomes, solidaires et responsables au sein d’une société démocratique, inclusive et équitable » [3].
Au total dans les six pays, une enquête cherchant à rendre compte des pratiques transversales existantes dans l’enseignement secondaire a concerné vingt-six établissements européens. Vingt-neuf personnels de direction ont été interviewés, des entretiens collectifs ont eu lieu avec 136 enseignants, et trente-quatre séances d’enseignement ont été observées et analysées, par exemple : des semaines dédiées à un projet (France, Danemark, Norvège) ; des activités hors programme, réalisées en dehors de la salle de classe (Portugal, Pologne) ; ou une coordination entre les enseignants sur un thème commun, enseigné dans leur propre matière (Norvège, Finlande).
Une relecture des données recueillies lors du volet français de l’enquête, réalisée dans cinq collèges en 2016-2017, permet d’identifier des enjeux liés non seulement à l’enseignement interdisciplinaire, mais également à une réforme et ses effets sur les pratiques enseignantes. La note de recherche issue de ces réflexions, publiée en novembre 2019, montre que si les enseignants de l’établissement avaient déjà organisé depuis plusieurs années un travail collectif (par exemple à propos d’un travail sur les mêmes compétences dans plusieurs matières), les EPI et l’enseignement transversal de manière générale étaient abordés de manière sereine. La mise en place de ces énièmes projets interdisciplinaires étant différente de celle des précédents (il y a depuis plusieurs décennies de nombreux projets au collège) [4], leur intégration dans les programmes et les heures disciplinaires a obligé les enseignants à s’impliquer dans l’organisation même de la grille horaire. Chacun défend sa matière, mais aussi s’investit dans la compréhension des autres matières pour envisager un EPI commun. Au final, ces projets semblent être les révélateurs des changements induits par les réformes successives dans les établissements. Le développement des compétences des élèves à travers les différentes matières est, dans certains collèges, devenu un objectif pédagogique pris en charge aussi bien au niveau de la classe que de manière collégiale (voir par exemple l’importance de plus en plus grande des conseils pédagogiques et du projet d’établissement).
Référence
Catherine Reverdy, « Les projets interdisciplinaires comme révélateurs des réformes récentes du collège. Outils de réflexion issus d’une enquête européenne », Note de recherche - Veille de l’IFÉ, ENS de Lyon, 2019. En ligne :
https://eduveille.hypotheses.org/13985
Si la révolution MOOC (massive open online course) n’a pas eu lieu, le e-Learning a pour autant intégré notre quotidien. Des formations professionnelles en ligne aux tutoriels du web, il nous est désormais possible d’apprendre partout et tout le temps. Côté professeur, le Graal de la formation en ligne serait cet objet à effet vicariant [5] capable d’impulser le désir de développement professionnel et l’appropriation réflexive de contenus. Ergonomique et économique, cet espace de formation intègrerait pleinement les besoins de ses utilisateurs : le temps, la sécurité, le sens. Et si cette solution existait déjà ? Et si Instagram était l’arme de formation massive des enseignants ?
Côté ergonomie d’abord. Pas de problème de compatibilité, un environnement numérique épuré, le tout version mobile first [6]. Un accès à mon espace de formation en un clic, coincé entre les actualités du jour et la promo du dernier succès littéraire. Côté agencement des contenus : un média, un texte court à déployer et un espace commentaire réduit à sa plus simple expression.
Ici, on ne me demande pas de me lancer dans de grands débats pédagogiques. J’aime ou j’aime pas. Les échanges sont essentiellement unidirectionnels et franchement cybercourtois. L’appel à l’action est d’une efficacité rare : le lien unique contenu dans la biographie conduit vers un dossier en ligne ou un blog dans lequel je retrouve la fiche action qui m’invite à mettre en place l’activité. L’indicateur d’impact de la proposition, c’est le taux d’appropriation. Facile à évaluer, puisque l’on pourra retrouver quelques heures plus tard la même activité présentée par un follower, le plus souvent mentionnant l’auteur de la ressource et son cortège de mots balises qui assurent la viralité de la publication. Quand approbation pédagogique va de pair avec validation sociale à coups d’@ et de ❤, l’effet est imparable.
On ne peut que s’incliner devant la clarté des lignes éditoriales et la cohérence des chartes visuelles de l’univers instagogique. La photo de la classe photoshopée, en paillettes et baskets, qui donne envie d’y être, même quand on n’y est plus. Un espace intime, souvent dépeuplé de ses turbulents occupants, où l’on peut partager, en toute intimité, les temps hors élève avec notre micro-influenceuse préférée. D’ailleurs, elle vous appelle « mon chouchou ».
À grand renfort de placement de produits, de publicité en ligne sur le blog ou des EdTechs [7] en arrière-plan qui ont vite compris le potentiel de diffusion de ces nouveaux producteurs de contenus, les modèles andragogiques (destinés à la formation des adultes), économiques et autopromotionnels semblent parfaitement articulés.
Certains de notre trouvaille, nous interrogeons une jeune collègue pour valider notre intuition. « Instagram, j’y vais machinalement. C’est sympa, ça m’inspire, mais c’est pas des vraies séquences. Pour ça j’ai les bouquins. »
Mince, nous qui pensions avoir trouvé le Learning Management System idéal ! [8]
le 28 novembre 2019L’école française, depuis les années 80, développe de multiples formes de partenariat avec les parents, pendant longtemps tenus à distance. Mais les recherches montrent que malgré les incitations à la coopération, les parents ne savent pas vraiment comment intervenir pour la scolarité de leurs enfants, surtout dans les termes attendus par l’école. Ils ne connaissent pas suffisamment le fonctionnement, les codes, la culture scolaire pour y faire face comme de réels partenaires. Pierre Périer montre qu’en fait, les parents les plus « éloignés » de l’école s’en éloignent encore plus.
L’auteur a cherché à faire émerger la parole des « invisibles » et des « inaudibles », en se rendant attentif à chacune des configurations familiales, à partir d’une enquête auprès de trente familles dans une zone urbaine sensible. Des familles définies comme vulnérables du point de vue de plusieurs critères : insécurité, rapport très instable à l’emploi, affaiblissement de liens sociaux, voire repli sur l’entre-soi.
L’auteur entre dans l’étude fine des logiques sociales des parents, de leurs expériences de collaboration et des ressources qu’ils mobilisent, de leurs aspirations et espérances fortes dans l’école et les adaptations. Pour beaucoup d’entre eux, l’école permet de se préparer à la vie future, à un travail, à être plus stable et indépendant financièrement, selon une vision « utilitaire » du rôle de l’institution scolaire. Les parents aspirent aussi à voir leur enfant poursuivre ses études le plus loin possible. Mais ils finissent souvent par se résigner et ajuster leurs espérances au fur et à mesure des difficultés rencontrées. Pour beaucoup d’entre eux, pèse leur propre rapport à leur scolarité parsemée d’échecs qui reste « une trace mémorielle profonde, vivace et à expulser » (p. 87).
Les familles populaires préparent les enfants à l’école, pour l’école, surtout dans le registre d’une éducation morale (le respect, la politesse, la bonne conduite, l’obéissance, l’effort, etc.). Or, on attend en réalité des parents qu’ils suivent la scolarité de leur enfant, notamment dans le cadre des devoirs. Et les parents des milieux populaires n’ont ni les méthodes, ni les ressources pour faire face, contrairement à d’autres milieux sociaux, et bien qu’ils soient dans une posture attentive et soutenue de surveillance pour que le travail soit fait au risque de conflits réguliers avec leurs enfants. D’où un sentiment d’incompétence, qui génère de la honte et une sorte de « décrochage scolaire parental ».
Lorsque l’échec arrive, malgré les aides, la confiance faiblement gagnée en début de scolarité se perd. Bien que les parents mettent en avant des difficultés comme la taille des classes ou un traitement parfois inéquitable entre les élèves, leurs espoirs dans l’école se réduisent, débouchant sur une résignation : on se prépare à oublier les rêves et on cherche à « garder ou sauver la face », à mettre à distance l’école, afin de ne pas se sentir disqualifié.
Quant aux enfants, ils vivent l’épreuve de la solitude face aux savoirs scolaires, aux choix d’orientation, à l’incertitude et aux impasses, ainsi qu’aux nombreuses sollicitations qui peuvent les dévier des apprentissages. L’enfant des familles populaires doit donc rapidement accéder à une autonomie cognitive et comportementale pour donner sens et valeur aux savoirs scolaires. Cette autonomie, pour rester engagés et conséquents dans les tâches scolaires, malgré leurs difficultés, suppose des dispositions et ressources personnelles importantes.
Ces enfants restent néanmoins des porte-paroles d’un monde à un autre, de l’école à la famille, avec tout ce qu’ils peuvent ou non transmettre d’un côté ou d’un autre, faisant preuve de loyauté en voulant protéger les uns et les autres.
Andreea Capitanescu Benetti
Peut-on généraliser à l’ensemble des familles populaires cette étude ?
Les trente familles (parents et enfants) que nous avons rencontrées à plusieurs reprises durant les deux années de la recherche font partie des plus précarisées au sein des classes populaires, incluant plus d’un tiers de parents immigrés et allophones pour certains. Ces familles habitant un quartier en zone urbaine sensible sont vulnérables au regard des incertitudes de l’emploi, des revenus ou du logement, et leurs enfants sont précocement confrontés à des difficultés scolaires. Au-delà de la pauvreté économique, c’est le cumul des facteurs de fragilité qui renforce leur isolement et les expose au risque de la relégation ou de l’exclusion. Certes, il n’est pas possible de généraliser à partir de ce seul groupe enquêté, mais il est légitime de penser que les types de processus et leurs effets sur ces familles concernent très largement, avec une intensité et des formes variables, les classes populaires, voire certaines franges des classes moyennes.
Notre démarche a eu pour fil conducteur d’entrer en relation avec les parents dits « éloignés » de l’école et d’écouter ceux qui le plus souvent sont sans voix, inaudibles bien que parlés par d’autres. L’enjeu consistait à recueillir leur parole et saisir au plus près leurs préoccupations et ce qui organise leur rapport à l’école. C’était donc moins un regard porté sur ces parents, selon une position d’extériorité, qu’une approche compréhensive à partir de ce qu’ils nous disent de leur expérience, de leurs attentes et souffrances face à l’école.
Dans certains entretiens, on ressent une désillusion dans les rêves que l’on posait sur l’école. Y a-t-il une fatalité ou bien l’école peut-elle encore faire quelque chose ?
Dans ces familles, les attentes à l’égard de l’école sont singulièrement élevées car, étant dépourvues des ressources et de l’héritage pouvant préparer l’avenir de leur enfant, elles dépendent plus que d’autres des chances et perspectives promises par la voie scolaire. Or, ces familles sont précisément celles qui peuvent le moins, que ce soit pour aider ou faire aider. La déception scolaire est alors fréquemment au rendez-vous, à la fois précocement, durablement et de façon répétée à l’échelle de la fratrie. Comment surmonter de telles épreuves et se protéger, soi et les siens ?
Certains parents perdent toute confiance en l’école, ayant le sentiment d’avoir été trahis. D’autres cèdent effectivement à une forme de fatalisme scolaire, car ils essentialisent les difficultés en les attribuant à une supposée nature de l’enfant. D’autres encore se soustraient au regard et jugement de l’école, qui les renvoient à une image négative de ce qu’ils font, voire, indirectement, de ce qu’ils sont. Plus l’école attend de ces parents-là en particulier, plus elle les soumet à un rôle en réalité inaccessible et à une comparaison avec d’autres familles où elles jouent perdantes. Les invisibles sont surexposés, car la norme dominante de la participation des parents d’élèves, chargés de « suivre la scolarité », souligne leur absence et leur incompétence en la matière.
Les enseignants sont-ils, selon vous, conscients de la vulnérabilité et de la précarité de ces parents ?
Les enseignants n’éludent pas les difficultés de ces familles mais, d’une part, ils n’en soupçonnent pas l’ampleur et les conséquences, et d’autre part, ne savent pas comment les appréhender et les aider à les surmonter. Loin de porter collectivement ces défis, les enseignants les affrontent le plus souvent dans une forme de solitude qui incite à se dédouaner et à rejeter hors de la classe la cause de difficultés qui ne trouvent pas de solution et laissent un sentiment d’échec. C’est un mécanisme défensif qui conduit notamment à surresponsabiliser les parents qui, de leur côté, estiment être injustement jugés et déconsidérés. Lorsqu’elle se produit, la rencontre se fait sur fond de désaccord et chacun peut avoir le sentiment que l’autre ne l’écoute pas et ne le respecte pas.
Face à de tels défis, l’enjeu d’une politique de coopération équitable pourrait se situer sur deux plans. Au niveau institutionnel, en incitant à travailler en équipe tant sur les réponses à apporter que sur les projets à développer en amont. Des actions se développent dans des contextes scolaires contrastés, elles tracent la voie de possibles impliquant une mobilisation locale et une reconnaissance des acteurs engagés [9]. Au niveau individuel, en saisissant les opportunités d’échanges en face-à-face, au gré des interactions spontanées avec les parents. En effet, les récits de parents les moins proches de l’école ont montré que la confiance avait pu s’instaurer dans ce type de situation, sur la base d’une relation « d’humain à humain » comme le dira une mère, sans enjeu de scolarité dans un premier temps, mais qui a pu rassurer dans leur légitimité les parents d’élèves.
Propos recueillis par Andreea Capitanescu Benetti
le 28 novembre 2019Des enseignants de lycée professionnel observent chez leurs élèves un manque de motivation et de concentration. Pour que chacun trouve du sens à sa formation, l’équipe pédagogique allie la pédagogie de projet à un changement de posture. Un séjour scolaire d’une semaine en forêt vient donner corps à leur démarche.
le 28 novembre 2019Nous vivons à l’ère de la postvérité, sans aucune distinction entre les faits et les opinions. L’autorité du maitre se fonde alors sur sa capacité à développer le jugement et la pensée critique des élèves.
le 28 novembre 2019Dans la lignée de Summerhill, l’école démocratique (ouverte en France en 2014) s’appuie sur les valeurs de liberté et de responsabilité. Hors du cadre des programmes, des emplois du temps et des classes d’âge, les enfants y travaillent selon leur choix et à leur rythme. Le fonctionnement de cette école alternative nous interroge : aucune personne (adulte ou enfant) n’exerce d’autorité sur d’autres. Ce qui semble faire autorité, ce sont les institutions collectives de l’établissement.
le 28 novembre 2019
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