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Si le risque est inhérent à la vie et s’il demeure une bonne alternative à l’ennui, la recrudescence, depuis les années soixante-dix, des conduites à risques des jeunes générations laisse perplexes les parents, les enseignants, les travailleurs sociaux. À l’instar d’adultes, néo-aventuriers, qui s’adonnent à des exploits coûteux et très largement médiatisés, de manière souvent plus intime, voire secrète, des enfants et des adolescents cherchent, au risque parfois de leur vie, une plus-value de sens à leur existence. Ces flirts avec la mort ou son signifiant prennent des formes diverses. Parmi les plus connues citons : les tentatives de suicide, les polytoxicomanies, les sports de l’extrême (particulièrement ceux qui font appel au vide, à la glisse, à la vitesse...), la fugue (et toutes ses errances), la délinquance, les violences, mais aussi l’anorexie, la boulimie, et l’atteinte au corps de certaines marques corporelles. De manière plus fugace, de nouveaux « jeux inquiétants » apparaissent : traversée à pied d’une autoroute, pratique du roller accroché à des voitures, simulacres de strangulation, etc. qui, chacun à leur manière, témoignent d’une quête impossible, de la difficulté du passage à l’âge d’homme, d’une détresse.
Ce numéro propose des analyses, des regards croisés de chercheurs, de parents et d’acteurs de prévention dans les établissements scolaires et dans les quartiers. Il donne aussi largement la parole, on le verra, aux jeunes : témoignages denses, poignants qu’il importe d’entendre. À partir de ces analyses et de ces paroles, nous espérons proposer des points d’appui pour l’appréhension de conduites si déstabilisantes. Nous voudrions stimuler les actions collectives concertées, à une époque où le refus de la complexité des problèmes et la recherche de solutions répressives semblent prendre le pas sur la démarche éducative.
Thierry Goguel d’Allondans, éducateur spécialisé et anthropologue.
David Le Breton, sociologue, université Marc Bloch, Strasbourg.
Isabelle de Péretti, professeur de lettres en lycée.
Les lecteurs des Cahiers pédagogiques s’intéresseront-ils une nouvelle fois aux sciences de l’éducation ? Reconnues comme discipline en 1967, elles ne cessent de se questionner sur leur identité. Sans doute sont-elles l’objet d’une double méprise : la confusion avec la formation des enseignants et l’absence de méthodes de recherche spécifiques. C’est autour d’une double définition : des recherches et une discipline que Jean-François Marcel a organisé un symposium dont les préliminaires, les travaux et la rédaction ultérieure ont donné naissance à cet ouvrage.
Des recherches ? Il n’est pas évident que les travaux sur l’école évoqués dans les premières contributions soient le prototype de ce qu’il convient de promouvoir comme chantier scientifique. Et pourtant les recherches évoquées par Claudine Blanchard-Laville, Marguerite Altet, Chantal Amade-Escot et Jean-François Marcel n’épuisent pas le champ. Comme le rappelle Philippe Dessus, la question essentielle est celle du balancement entre description et prescription. Les chapitres rédigés par Francis Danvers et Bernard Sarrazy remettent tout en cause : créer un vocabulaire des sciences de l’éducation ou interroger les rapports entre pédagogie et didactique revient au même, aboutit à raviver des querelles, redéfinir des territoires avec une agressivité parfois étonnante.
Une discipline ? Un singulier à mettre en doute puisque Chantal Amade-Escot propose même un reversement en parlant d’une recherche et de plusieurs disciplines. À quoi servent les sciences de l’éducation ? La question de leur nouvelle identité à un moment où s’efface le souvenir de la première génération, où s’esquive la seconde et où la troisième est la première à venir de la discipline ne donne pas lieu à une réponse assurée malgré le succès du terme braconnage mais à des admonestations dont la plus vive est délivrée par Jacky Beillerot : assurer la promotion de la discipline non par les plaintes et les demandes mais par la qualité et l’utilité des travaux. « L’ostracisme par exemple dans les sciences de l’éducation françaises de la recherche pédagogique, et, singulièrement celle des mouvements pédagogiques est injure à l’esprit » (p. 202). Merci M. Beillerot et bienvenue aux chercheurs dans nos archives ! Le non-spécialiste découvrira dans cette partie de larges aperçus sur les deux responsabilités historiques de la discipline : ce qu’elle produit comme diplômes et diplômés (même si l’on regrette l’absence de statistiques par ailleurs disponibles) mais aussi sa production scientifique dont la variété explique parfois la faible lisibilité. Il est un point que reprennent tous les auteurs, c’est l’utilité sociale des recherches en éducation, auxquelles les sciences de l’éducation ont vocation à participer, au même titre que d’autres disciplines, et c’est bien ce qui nous intéresse au premier chef. Merci aux auteurs de nous entraîner à la recherche d’une discipline aussi familière que difficile à définir et de nous faire partager les chauds débats de Carcassonne en ce mois de juillet 2000.
Richard Étienne
Partant du constat implicite que les enseignants ne s’occupent pas (ou si peu !) de l’orientation de leurs élèves, Danielle Ferré et Jean-Marie Quiesse les interpellent pour les convaincre que c’est « aussi » leur affaire. Un ton simple et direct, un vouvoiement respectueux et un discours marqué au sceau du bon sens permettent d’amorcer le dialogue. Si le professeur n’est pas seul, il n’en est pas moins directement concerné, surtout s’il est « principal ».
Certes, son acharnement à promouvoir sa discipline et son incompétence (par manque de formation) dans le domaine de l’information lui imposent de procéder à une révolution copernicienne. De manière très opportune, des séances clés et fiches en mains lui sont proposées, ce qui facilite sa tâche... mais aussi risque de lui donner un sentiment d’enfermement dans une routine pensée sans lui. Fondée sur Orientation-lycée des mêmes auteurs, la démarche pourrait sembler répétitive, en fait elle poursuit l’objectif d’impliquer les professeurs dans l’éducation à l’orientation. C’est d’ailleurs là que le bât blesse : quel intérêt ont-ils à s’impliquer dans un processus aussi incertain et intrusif ? Même en appelant à la rescousse la loi d’orientation et l’Europe en construction, il n’est pas sûr que les enseignants se vivent comme les promoteurs d’une « nouvelle conception de l’éducation qui vise à développer des compétences à l’orientation » (p. 81).
Pas de conclusions dans cet ouvrage original mais un kaléidoscope des systèmes européens d’éducation et de formation agrémenté de quelques « plus » qui donnent l’occasion au lecteur de se revoir à quinze ans et d’évoquer le parcours improbable qui l’a fait professeur, de découvrir la méthode Orientation-lycée (encore !), de s’approprier différents outils et de bénéficier d’un glossaire Educ’Nat pour s’orienter de A (ancien bac littéraire) à ZEP (en espérant que cela ne sera pas prémonitoire). Une bonne occasion de réviser ses classiques de l’orientation, voire de découvrir le rôle trop méconnu des professeurs dans ce perpétuel « à faire »...
Richard Étienne
Un passionnant dossier (qui vient de paraître) sur les rapports pas si simples que cela entre l’écriture et les sciences.
Les coordonnateurs du dossier Pierre Fillon et Anne Vérin, notent en introduction que cette question fait l’objet actuellement d’un grand intérêt. On pense de plus en plus que la maîtrise de l’écrit passe par des activités diversifiées dans toutes les disciplines et on insiste sur l’importance de cet écrit dans la construction du savoir scientifique. Mais rien n’est automatique. La plupart des contributions concernent l’école primaire : est-ce à dire que l’écriture en sciences est moins pratiquée dans le secondaire. Rares semblent être en collège ou lycée les enseignants qui en font un objet d’apprentissage, en faisant par exemple réécrire leurs textes par les élèves.
On trouvera dans ce numéro une revue des recherches sur la question et surtout nombre d’exemples pratiques développés longuement. Plusieurs contributions insistent sur la nécessité de différencier clairement la fonction que joue l’écrit dans le travail cognitif des élèves. Dans certains cas, il s’agit surtout d’un point d’appui à l’échange oral et à la formulation d’hypothèses. Dans d’autres, les élèves sont amenés à structurer leur pensée et à formaliser et stabiliser un savoir. Le rôle des reformulations est mis en évidence. On lira notamment l’exposé de différentes étapes de production de textes dans l’article de M. Jaubert et M. Rebière (« Pratiques de reformulation et construction de savoirs ») et le récit détaillé d’un travail sur les changements d’état de l’eau par P. Cros et S. Respaud, avec analyse de trois types d’écrit : le compte rendu individuel, réécrit collectivement, l’affiche explicative, le texte explicatif. Une contribution concerne malgré tout le lycée, avec étude de cas.
Un numéro riche, qui n’élude pas les questions vives de la recherche (en quoi vraiment écrire aide-t-il à comprendre, peut-on toujours poursuivre deux lièvres à la fois ?) et fournit des pistes de travail aux enseignants de sciences qui veulent aller plus loin dans leur pratique d’aide à l’écriture, et bien sûr aux professeurs des écoles désireux de mettre en pratique l’idée de faire travailler transversalement la langue.
Jean-Michel Zakhartchouk
le 6 février 2003La force d’une conceptualisation impose de la revisiter, de l’actualiser, de la prolonger inlassablement. Parmi les anthropologues qui ont cette exigeante rigueur, David Le Breton, depuis plus de dix ans maintenant, nous invite, régulièrement, à parcourir les territoires d’errances si actuelles : les prises de risque, chaque fois singulières, comme autant de tentatives de réenchanter l’existence individuelle. « Mon travail de recherche - écrivait-il récemment - me donne parfois le sentiment d’une toile dont chaque ouvrage est un fil, une avancée sur une ligne de crête qui inscrit sa nécessité avant qu’un autre ne la pousse un peu plus loin encore ».
À ce titre, Conduites à risque, qu’il vient de publier aux Presses Universitaires de France, prolonge deux travaux antérieurs Passions du risque (Métailié, 1991) et Sociologie du risque (Que Sais-Je ?, 1995), sans s’y substituer. Dans le premier, il analysait de manières inaugurale et parallèle, les activités à risque (notamment les sports de l’extrême) et les conduites à risque (tout particulièrement des jeunes générations) au regard de liens sociaux distendus. Dans le second, il proposait déjà, mais succinctement comme l’exige la collection, une étude du statut du risque dans les sociétés contemporaines.
La somme qu’il nous propose aujourd’hui va au-delà de la synthèse. En effet, on perçoit tout au long des pages l’ampleur des matériaux recueillis, depuis et inlassablement, par l’auteur. Ceux-ci sont principalement de deux ordres : les nombreux travaux d’autres chercheurs qui, depuis 1991, prouvent la puissance heuristique des passions du risque, et les nombreuses enquêtes que mène l’auteur, avec ses étudiants entre autres, depuis près d’une décennie également. Voilà pourquoi ce livre est avant tout d’une brûlante actualité.
Les conduites à risque, qu’il analyse ici comme des jeux symboliques avec la mort pour parvenir paradoxalement à une intensité de vivre, sont pour nombre de jeunes qui les pratiquent des tentatives souvent désespérées de remise au monde, des quêtes effrénées d’un sens à donner à leur être au monde. À ce titre, ces conduites prennent parfois la forme de rites très personnels de passage. Mais l’intimité décrite méconnaît la nécessaire reconnaissance sociale et traduit encore un peu plus les malaises de certaines adolescences. Rien à voir avec l’insolence des shows médiatiques où excellent certains sportifs de l’extrême. La reconnaissance sociale y est, là, exacerbée. Toutefois les uns comme les autres convoquent des signifiants majeurs, comme la mort, pour donner à l’épreuve personnelle une plus-value de sens.
Le lecteur peu familiarisé à cette anthropologie du risque découvrira les notions fondamentales notamment la naissance, dans le contexte socioculturel si particulier des années soixante-dix, des formes nouvelles de risques extrêmes pour exister, des jeux de mort au jeu de vivre. Il verra se déployer les mythologies de l’extrême, l’ordalie et les rites oraculaires, les rites personnels de passage des jeunes, etc.
Ceux qui ont déjà frayé ces chemins, avec ou sans l’auteur, s’apercevront que David Le Breton dessine aujourd’hui une plus vaste anthropologie des limites, et que celle-ci lui permet d’analyser aussi l’évolution sociologique des sociétés contemporaines, ce qu’il avait d’ailleurs commencé à entrevoir dans L’adieu au corps (Métailié, 1999).
Les travailleurs sociaux apprécieront particulièrement les dimensions psychologiques (tels les holding et containing) prises en compte par l’auteur et son intérêt vif pour les activités à risque dans le travail éducatif et social.
Dans une écriture qui est comme un souffle, David Le Breton, très proche en cela d’un Georges Bataille, nous permet d’avancer encore un peu plus dans la compréhension de ces quêtes de sens par le recours à l’excès, que certains reconnaissent dans les multiples visages de la postmodernité.
Thierry Goguel d’Allondans
le 6 février 2003« Enseigner l’histoire autrement », pourquoi pas, même s’il n’est pas vrai que son enseignement secrète toujours « un ennui profond » ? Encore faut-il que cet enseignement reste de l’histoire. Ce livre pose deux questions. D’abord, peut-on proposer aux élèves de « devenir les héros des événements du passé » sans entrer dans une confusion sans fin entre histoire et roman historique ? On propose ainsi une douzaine de démarches, de jeux de rôle, de jeux de formation permettant « aux apprenants de devenir eux-mêmes des protagonistes d’événements historiques majeurs ». Mais peut-on faire en histoire un Jeu des sept sites comme il y a un Monopoly ou un Tiers-Mondopoly ? Si cela était possible, et surtout s’il s’agit de « la formation de l’esprit critique à partir des interprétations plurielles des sources historiques », but évidemment louable, à partir de quels documents ? quelques lignes tirées de l’Histoire générale des civilisations, publiée par les PUF dans les années 50, sont dans doute une information, elles ne sont pas un document sur lequel exercer son esprit critique à moins d’avoir, par ailleurs, une énorme information. Pas plus qu’une page sur Jeanne d’Arc de Michel Peyramaure, abondant et sympathique auteur de romans historiques ou biographies romancées toutes époques. De même, un article de la revue L’Histoire sur l’affaire Thalamas [1] renseigne plus l’ambiance des débats à l’époque du petit père Combes que sur la Pucelle. Des documents sont totalement fictifs, comme (p. 176) ce « dialogue à quatre voix entre un Jésuite, un esclavagiste repenti devenu Jésuite et deux Indiens Guaranis ». Enfin, un grand nombre de « documents » ne sont pas datés, ce qui est pourtant un élément essentiel pour les aborder de façon critique. Ou leurs références sont inutilisables : s’il s’agit par exemple de l’origine du monde, il vaut mieux renvoyer (pour ce qui n’est pas une « théorie ») aux chapitres 1 et 2 de la Genèse, en indiquant la traduction, que, comme page 198, à La Genèse, tiré de la Sainte Bible, Sociep. Ed. 1955 (p. 118-119). Bref on retrouve dans ce livre la même « légèreté épistémologique » que dans L’histoire, indiscipline nouvelle , que M. Huber avait publié en 1984 (cf Cahier 238, p.37).
Jacques George
le 6 février 2003Ce livre est évidemment à confronter avec le précédent, car on y lit justement que, dans les manuels, « huit fois sur douze, les documents sont assimilés à des vérités, dans la mesure où rien dans la consigne ne peut permettre à des élèves de ne pas prendre au pied de la lettre le contenu des témoignages qui leur sont livrés. (...) Il semble que ce soit le document qui doive légitimer un discours qui ne se sait pas, ou ne s’avoue pas être une interprétation historique ». À propos de la situation-problème, il se demande : « jusqu’où pouvons-nous réinvestir ce qui est valable dans l’enseignement de la technologie pour celui de l’histoire ? ». Ce livre appelle à une « mise à distance » de soi, essentielle si on veut comprendre l’autre, l’étude des invasions barbares étant un exemple du rôle central des représentations, tant des élèves que des enseignants, dans leur compréhension de l’histoire.
Jacques George
le 6 février 2003
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