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Comment apprendre aux élèves à « faire de la science » ?
De nombreux témoignages de pratiques « scientifiques » mises en œuvre à tous les niveaux de l’enseignement scolaire.
Des contributions d’André Giordan, Jean-Pierre Astolfi, Joël Lebeaume...
À noter dans le même numéro un entretien avec Bernard Charlot :
« Aides éducateurs : une dérive communautariste ? »
La nouveauté est autant affaire de mémoire que d’imagination » : ce livre pétillant d’érudition légère, recueil d’articles parus en Suisse pour la plupart et qui donne au lecteur l’impression agréable d’être intelligent, nourrit d’histoire la réflexion sur l’école d’aujourd’hui. Il est utile à notre vanité de rappeler qu’ailleurs qu’en France et avant Jules Ferry il y avait des pédagogues et des réformateurs et que l’on débattait entre « apprendre des choses » et « apprendre à apprendre ».
Plusieurs articles pertinents traitent de la Révolution française et de ses tentations intégralistes et scientistes. Mais l’essentiel porte sur les missions de l’école et sur l’Éducation nouvelle. « Changer l’école ! Changer l’école ! Il y a cent ans que l’on dit ça... », et qu’éclate la contradiction : « 1) seule l’initiative des particuliers est vraiment novatrice ; 2) mais pour qu’elle transforme l’éducation nationale, il lui faut être généralisable, 3) et c’est sa généralisation même qui, dans tous les cas, lui signifie sa perte ou entraîne sa perversion ». Cela peut se discuter : les 10 %, les PAE ont-ils perdu d’être généralisés ou de ne pas l’être vraiment ? Et demain, peut-être, les TPE ou les IDD ? Mais « on comprend la perplexité de bien des gens dits de gauche quand ils ont le courage de s’avouer que leurs penchants décentralisateurs, voire autogestionnaires, se retrouveraient assez bien dans une relative privatisation des établissements scolaires » (ce pourquoi, mais D. Hameline ne le dit pas, d’autres non moins dits de gauche restent bloqués sur l’uniformité centralisée et traditionnelle...), et des « lopins de liberté » ou d’innovation, comme nos Cahiers pédagogiques.
Sur l’Éducation nouvelle, deux gros articles, passionnants, bien plus complets que notre dossier du Cahier 395. Ils remontent plus haut dans l’histoire et le concept, par exemple avec Henri Marion à la Sorbonne dans les années 1880. Ils soulignent le charisme des fondateurs, le rôle du contexte politique, celui de la Grande Guerre, ils rappellent l’influence de la théosophie dans la naissance du mouvement, puis celle des Internationales, et, en France, l’entrisme stalinien dans le GFEN des années 1930. Une simple note (page 210) ajoute que « cette aspiration religieuse laïcisée » (celle de la théosophie) peut « reprendre presque intacte sa fonction de réservoir des lieux communs orientalistes, cosmistes, panthéistiques ou éthiciens » quand « la grande intimidation marxiste sur les intellectuels progressiste cessera dans les années quatre-vingt » : cela peut corroborer des observations, mais on aimerait plus de précisions. 148 notices sur les hommes et les institutions qui ont marqué cette histoire achèvent de rendre ce livre utile.
Jacques George
Ce livre rend hommage à Louis Cros (1908-2000), dont nous avions signalé la disparition dans le Cahier 381. On y connaîtra sa vie de militant, président des CEMEA, fondateur du Comité de liaison de l’Éducation nouvelle en 1965 (CLEN, qui préfigure le CLIMOPE actuel ; le CRAP en faisait partie) - il a transformé le vieux Musée pédagogique en Institut pédagogique national (devenu CNDP et INRP par la suite) -, il fut directeur de l’administration générale au ministère. Rénovateur, il fut membre du cabinet de Jean Zay, puis de celui de René Billères, collaborateur proche de Gustave Monod et lié à l’aventure des classes nouvelles, il préconisait l’autonomie des établissements (dans un article du Cahier 112 en 1973, reproduit ici). Ce livre permet de mieux comprendre les difficultés de la rénovation pédagogique en France depuis soixante ans, et il devrait dissiper une confusion trop fréquente : il n’y a pas « l’Administration » rétrograde qui étouffe toute velléité de rénovation de la part des enseignants, il y a une (petite) partie de l’administration qui veut changer fondamentalement les choses en s’appuyant sur une partie des professeurs, et une (grande ?) partie des professeurs et de l’administration qui ne veulent pas bouger, pour des raisons très diverses. Les points de vue et les documents rassemblés ici le montrent.
Jacques George
Le livre d’Élisabeth Godon est d’abord un récit écrit à la première personne. Témoignage de son travail d’institutrice remplaçante dans plusieurs écoles du quartier de la Goutte d’Or à Paris où elle exerce au sein de classes réputées « difficiles » ; classes de perfectionnement, classes d’intégration, etc.
Élisabeth Godon nous livre sa démarche, ses questionnements, ses doutes, ses réussites et ses échecs avec une grande sincérité. On comprend alors que son témoignage constitue une sorte d’analyse de pratique et apporte au lecteur des éléments de théorisation pour une démarche professionnelle en milieu difficile (violences, handicaps multiples, illettrisme...), notamment dans ce que l’on appelle l’AIS (adaptation et intégration scolaire).
Porteuse d’un projet à l’égard des élèves dont elle s’occupe, l’auteur tente de mettre en place ce qu’elle appelle des « passerelles » entre les élèves, entre eux et elle, entre eux et le monde... Passerelles pour qu’une démarche d’apprentissage devienne possible.
Les mots énoncés en classe, les paroles véridiques, les espaces symbolisés par le langage constituent ces passerelles dans la mesure où elles viennent mettre du symbolique en lieu et place de pulsions le plus souvent destructrices. D’où le titre Mots pour maux à l’école primaire.
On notera dans sa démarche des exemples intéressants « d’inventions pédagogiques » qui prouvent que ce métier est avant tout un univers de créativité dans l’action, de mise en place de dispositifs « sur le chantier » remis en question indéfiniment.
Notons entre autres : un cahier journal particulier ; « Les minutes d’une journée de classe » (avec des couleurs par rubriques d’analyses) ;
« le sac à mots » ; sorte de déversoir symbolique à destination des élèves, servant en début de journée à « déposer » ses angoisses, violences, peurs... avant de commencer à travailler ;
« le tableau d’autorégulation » où les élèves peuvent, en fin de journée, évaluer leurs comportements ;
un espace classe divisé en espace de travail et espace de jeux ;
une réflexion pertinente sur la loi, et la permanence dans l’accompagnement.
Christophe Roiné
Les lecteurs des Cahiers connaissent depuis longtemps les billets du mois de l’ami Philippe, ces 2 000 ou 3 000 signes pétillants d’intelligence, qu’apprécient tout autant ceux qui veulent réfléchir sur la pédagogie et l’éducation que les amateurs de textes bien écrits, denses, où rien ne semble inutile. Comment ne pas saluer l’initiative de la collection Pédagogie/Essais de publier un florilège de cinquante de ces billets, préfacé par Daniel Hameline, qui classe avec raison Philippe Lecarme comme un « de nos bons philosophes de l’éducation » - tant pis pour la modestie de l’auteur. On trouvera même des inédits (rares textes refusés). L’auteur en commente certains, parfois avec sévérité, mais toujours en assumant ce qu’il a pu écrire à telle ou telle époque. Ils ont tous leur intérêt, mais j’ai un faible pour certains d’entre eux. Par exemple « Mardi, de 8 à 9, salle 106, cours de vertu », ou « Vous me reconnaissez ? » ou encore « L’intelligence est dans les mains »...
L’ouvrage comprend aussi une seconde partie, qui est censée justifier un titre dont on regrette peut-être le second morceau : P. Lecarme revendique haut et clair les deux étiquettes. Il est fermement républicain et toujours pédagogue. La synthèse n’a rien d’impossible !
Dans une soixantaine de pages, l’auteur livre son point de vue sur les débats actuels, notamment celui qui opposerait universalistes et « démocrates à tendance communautaire ». Après avoir rapidement mis en pièces la rhétorique des néo-conservateurs qui dissimule mal un élitisme profond, Philippe Lecarme défend avec une grande force de conviction une certaine idée de l’école républicaine. Il émet des critiques sévères envers les défenseurs d’un multiculturalisme dont un des porte-drapeaux serait Alain Touraine. Je ne suis pas sûr qu’il ne se laisse pas aller à des amalgames contestables (les défenseurs de l’excision ou les disciples d’un Tobie Nathan n’ont rien à voir avec ceux qui adoptent un point de vue nuancé sur le port du foulard à l’école par exemple et surtout sur la tactique à adopter en face de ce phénomène resté marginal). Le passage où l’auteur pourfend les adversaires de l’universalisme abstrait me paraît des plus contestables. À certains moments, je crois lire un défenseur quasi inconditionnel des Lumières, qui oublierait la part d’ombre de celles-ci. De même, l’intégration dite « à la française » me semble idéalisée par rapport à ce qui existe dans d’autres pays (en tout cas, il me semble qu’on peut remettre en cause certains aspects de ce qui se passe dans notre pays sans pour autant souhaiter la voie anglaise, qui sert de repoussoir).
Bref, sur tous ces points, le débat n’est pas clos. Mais c’est le mérite de ce livre de le proposer de façon nuancée, sans la présence de ces anathèmes qui bloquent toute discussion, tout en s’appuyant sur des références solides, notamment chez les auteurs qui parlent de l’islam aujourd’hui. Peut-être d’ailleurs les divergences qui sont exprimées ici concernent-elles surtout les stratégies à mettre en œuvre ; sur le fond, je partage entièrement le refus des néo-tribalismes et l’apologie du débat démocratique. Et sur la phrase finale, je n’ai pas le moindre désaccord : « Comment réinventer chaque jour un universalisme ouvert qui n’efface pas les singularités de chacun mais lui ouvre la diversité plénière du monde et de l’histoire humaine ? »
Au fait, Philippe, à quand ton prochain billet du mois dans les Cahiers ?
Jean-Michel Zakhartchouk
Voici un ouvrage qui, si on parvient à surmonter l’obstacle que peut constituer le type d’écriture propre à la recherche (un style souvent impersonnel et quelque peu austère, les références nombreuses, le vocabulaire parfois ardu...), contient de nombreuses pistes qui intéresseront le pédagogue. Les auteurs recensent de nombreux travaux de laboratoire ou d’expérimentation auprès de groupes d’élèves, dont certains qu’ils ont eux-mêmes pilotés, pour tenter de dégager quelques facteurs qui favorisent ou non la réussite à l’école. Ils ont l’heureuse idée de consacrer à la fin du livre une quinzaine de pages qui sont des « repères pour agir » particulièrement intéressants. Ce qui apparaît avant tout, comme l’indique le titre, c’est l’importance du contexte dans lequel on apprend. Ni la maîtrise par l’enseignant du savoir, ni les acquis et les efforts des élèves ne suffisent. La façon dont est présenté le savoir, dont les élèves sont évalués, la manière dont on va gérer la classe dans sa diversité, tout cela est essentiel. Des études montrent par exemple que tout ce qui contribue à rendre publique la difficulté de certains élèves (cela va de rendre les copies à haute voix jusqu’au « qui n’a pas réussi ? » prononcé à la fin d’une tache) aboutit à un renforcement de l’échec. L’anonymat protège finalement les élèves en difficulté, comme le montrent certains tests. Et les complimenter n’est pas forcément la solution, car cela les fait sortir de cet anonymat. Pour les auteurs, qui mettent en garde cependant contre toute déductibilité des pratiques à partir des travaux de recherche, il convient en fait d’être conscient de ces phénomènes pour les gérer au mieux et construire une stratégie à long terme pour rassurer ces élèves et inscrire dans leur mémoire et dans leur histoire personnelle des réussites valorisantes qui influeront sur les tâches ultérieures.
Les études citées mettent aussi en évidence l’importance pour les élèves de se mesurer aux autres. Le plus profitable pour eux est de se comparer à ceux qui sont légèrement au-dessus d’eux (sauf dans des situations où ils ne se sentent pas en sécurité, et où ils ont tendance à se mesurer à des plus faibles). Tout cela s’inscrit dans le parcours de chacun et renforce l’idée de porter une attention particulière à la personne globale de l’élève, avec sa biographie et le sentiment qu’il a de lui-même. Plusieurs pages sont consacrées au travail de groupes. Celui-ci n’est pas la panacée et peut encourager les phénomènes de « paresse sociale », mais il peut être profitable à tous s’il est stimulant et valorisant. La façon d’organiser le travail de groupe est décisive.
Enfin, les auteurs indiquent brièvement le risque que courent certains élèves de s’enfermer dans l’échec s’ils sont souvent confrontés à la comparaison négative. On le savait sans doute, mais il est bon de le voir confirmé par des études minutieuses : la compétition profite surtout aux forts et « certains comportements, et la violence qui les accompagne, ne sont probablement pas indépendants des marquages de comparaison dont leurs auteurs ont été ou sont l’objet » (page 118).
Et n’oublions pas aussi un des messages du livre : l’hétérogénéité et la pluralité sont des facteurs positifs pour l’apprentissage. La « pluralisation » du contexte, nous dit-on, garantit le développement de tous. Il est encourageant de voir affirmés de tels principes, surtout lorsqu’on sait qu’un des auteurs a des responsabilités importantes dans le système éducatif.
Jean-Michel Zakhartchouk
le 4 décembre 2002Saluons l’initiative du dynamique syndicat du premier degré qui nous présente ici une réflexion riche et stimulante sur les problèmes que rencontrent de plus en plus les enseignants au sujet de la sécurité des élèves et sur les questions de protection de l’enfance. L’un de ses membres, Gilbert Castelli, nous livre ici un nombre important d’informations précises sur les responsabilités des enseignants, les risques encourus, les moyens d’exercer le métier avec plus de sérénité grâce à la connaissance de leurs droits et devoirs. Il est indispensable de bien connaître la différence entre justice pénale et civile, ce qu’est juridiquement la « pédophilie », ce que nous indiquent les textes réglementaires, mais aussi les jurisprudences. Les exemples concrets abondent et illustrent les propos (par exemple au travers du témoignage d’un policier alsacien de la brigade des mineurs ou d’un pédo-psychiatre). Le but ici n’est pas de développer le délire de persécution et de défendre l’omerta. Comme le dit le président de la Ligue des droits de l’homme, Michel Toubiana, dans sa préface : « Entre l’impératif de ne pas dissimuler les responsabilités et de ne jamais admettre une quelconque impunité à raison d’une fonction et l’impératif de ne pas transformer nos sociétés en vastes tribunaux où tous nos actes seraient susceptibles de finir, il faut dégager un équilibre. » Et en conclusion, il est affirmé avec force que « la protection de l’enfance, le respect de ses droits [sont] des exigences qui s’imposent ; c’est en prenant en compte cette dimension que les enseignants des écoles sont le mieux à même de voir leur professionnalité reconnue ».
Quelques titres de chapitre permettront de mieux saisir l’intérêt de cet ouvrage : « Un quotidien fait de tracasseries administratives », « Une perception très contradictoire de ce qu’est la responsabilité », « La marche lente des droits de l’enfant »...
Jean-Michel Zakhartchouk
le 4 décembre 2002
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