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Il est de bon ton de décrier la partie « commune » de la formation professionnelle des enseignants, qui serait au mieux un gadget et au pire du temps perdu... Mais que dirait-on d’une formation de médecins qui ne connaîtraient que leur seul domaine de spécialité ?
Le mémoire professionnel, qui s’est imposé année après année comme un irremplaçable outil de la formation des enseignants dans l’alternance entre pratique de classe et réflexion distanciée, serait remis en cause du fait de sa « lourdeur » supposée et de son utilité prétendument douteuse... Les formations médicales prétendent-elles pouvoir se passer d’un mémoire de fin d’études ?
Selon nos « réformateurs », en première année les étudiants n’auraient que faire des « compléments d’âme » apportés dans les IUFM, alors qu’en deuxième année les professeurs stagiaires n’auraient guère besoin d’un recul critique pour éclairer leur pratique de classe - de ce « luxe inutile ». Toute la vérité du métier serait dans « la pratique de la classe », à telle enseigne que l’expérience de terrain serait accrue de moitié (voire prolongée sur deux années), et que les formations universitaires seraient diminuées d’autant... Que penserait-on de formations médicales soit totalement coupées des métiers de la santé, soit totalement déconnectées de la recherche médicale ?
Le nœud de cette mauvaise querelle, qu’il soit explicite ou qu’il reste masqué, c’est bien le peu de prix que l’on attache à la recherche scientifique et universitaire dans les sciences de l’éducation et le soupçon de son inutilité pour la formation professionnelle des enseignants... Autant la recherche médicale est socialement valorisée, autant les recherches en éducation sont encore dévalorisées.
Que dirait-on en effet d’un projet de réforme de formations médicales qui ferait fi de toutes les recherches dans le domaine médical ? Or, toutes les recherches (nationales et internationales) en sciences de l’éducation convergent pour montrer qu’il ne peut exister de véritable formation sans l’éclairage des travaux menés sur l’enseignement et sur l’apprentissage. Seul cet éclairage peut permettre à l’enseignant (en formation initiale ou continue) de penser et repenser son métier en l’apprenant et en le pratiquant.
Il n’est pas question de revendiquer quelque immobilisme d’autosatisfaction, mais bien de revendiquer les moyens de continuer. Non certes qu’il n’y ait rien à réformer dans la formation des enseignants dans les IUFM, mais c’est bien au contraire à une refondation de ces jeunes institutions qu’en appellent les esprits clairvoyants... pas à leur démembrement.
Alain Legardez, professeur des universités en sciences de l’éducation, IUFM d’Aix-Marseille.
le 5 juin 2003À l’heure où l’actuel ministre de l’Éducation nationale envisage des changements dans la formation initiale, que pensez-vous de la façon dont sont définis les IUFM ?
Les IUFM ne sont pas assimilés à des instituts universitaires notamment sur le plan de leur structure : nomination du directeur par le Ministre et non par ses pairs ; sur le plan de leurs missions : pas de possibilités de recherche en propre ; et sur le plan de leurs modes de recrutement : fréquemment par des commissions de spécialistes réellement indépendantes des universités proches. Ainsi, ces instituts ne sont-ils pas réellement autonomes, et les formations dispensées ne sont pas irriguées par la recherche. Comme de surcroît les contenus de formation sont définis par des normes nationales, l’émulation entre IUFM existe peu.
Dans la plupart des pays européens et au Québec, la formation ne relève pas d’écoles professionnelles comme les IUFM, mais de l’université (cf. le Québec et Genève entre autres). On peut pourtant reconnaître quelques avantages à une formation placée sous la totale responsabilité de l’université : pour l’instance de formation : une autonomie des formations dispensées en relation avec les exigences de l’employeur, des liens plus étroits avec la recherche ;
pour l’université : une meilleure connaissance du terrain qui pourrait ainsi être davantage irrigué qu’il ne l’est actuellement par la réflexion ;
pour le ministère : des possibilités de comparaison des formations et de leurs impacts.
Que répondriez-vous aux stagiaires IUFM qui revendiquent davantage de « concret » dans les formations ?
Il existe me semble-t-il trois manières d’envisager la formation : 1) une formation construite à partir de l’épistémologie des disciplines de référence et de leurs didactiques ;
2) une formation conçue à partir des compétences professionnelles à maîtriser (être capable de monter une séquence différenciée, être capable d’évaluer de manière formative, parvenir à dialoguer avec les parents...) ;
3) une formation qui propose un mixte entre les deux et qui nécessiterait que les formateurs didacticiens et généralistes puissent, en fonction des besoins locaux, occuper la position 1 ou la position 2.
Allonger le temps du stage en responsabilité et supprimer l’écriture d’un mémoire professionnel vous paraissent-ils deux mesures efficientes ? Comment voyez-vous la liaison théorie - pratique en formation ?
Allonger le temps du stage en responsabilité mérite d’être considéré comme une voie de formation possible, à condition qu’un accompagnement par des formateurs ait lieu. Les étudiants d’IUFM ont le sentiment qu’ils construisent à cette occasion leur identité professionnelle, ce qui est vrai puisqu’à l’IUFM ils sont encore sous un régime d’étudiants.
Les modalités de cet allongement du temps pourraient prendre des formes diverses et les modalités de l’implication des stagiaires à ce propos pourraient être contractualisées (aller en stage pour...).
Le mémoire professionnel constitue sans doute une des avancées fortes de la formation en direction de la liaison plus étroite entre théorie et pratique. Il serait vraiment dommage de le supprimer.
Quant à la question de la symbiose théorie-pratique, celle-ci me paraît relever d’une alternance intégrative entre temps de stage et temps à l’IUFM à travers, entre autres, la construction du mémoire professionnel, la tenue d’un journal de bord, la contractualisation et l’auto-évaluation des compétences professionnelles à maîtriser. Cette symbiose peut être présente à chaque occasion de formation disciplinaire par les réflexions valorisées, l’usage d’une filmographie aboutie, l’analyse de productions ou de comportements d’élèves, l’analyse de scripts de classes... Enfin, les groupes d’analyse de la pratique peuvent la développer, à condition qu’ils ne soient pas sous la responsabilité de personnes non formées.
L’interdisciplinarité représente-elle un enjeu dans un dispositif de formation d’enseignants ? Dans quelle mesure ?
Le terme « interdisciplinarité » recouvre des réalités très diverses. Il peut s’agir d’activités d’enseignement-apprentissage à partir de thématiques non disciplinaires (type travaux croisés), d’un travail en commun entre enseignants de diverses disciplines sur une question pédagogique commune (la question de la lecture en 6e entre profs de diverses matières), d’une réflexion intercatégorielle forcément interdisciplinaire entre CPE et prof ou infirmière et prof, etc. Sans doute faut-il l’encourager pour aider les stagiaires à relativiser leurs certitudes et à s’ouvrir à d’autres visions du métier.
Comment verriez-vous l’introduction de la dimension professionnelle dans les concours de recrutement (Capes-Cerpe-Caplp) ?
Cette dimension existe à travers l’évaluation de la pratique de classe par les formateurs et les personnels d’inspection. Elle n’a donc pas à être introduite. On peut s’interroger pour savoir s’il convient de la renforcer, et de quelle manière. L’analyse de productions d’élèves et de documents utilisés par des enseignants, l’analyse d’une séquence filmée en classe peuvent permettre de la renforcer. Je pense que la dimension professionnelle implique l’analyse de la conduite de classe d’un stagiaire par lui-même (pour identifier ses compétences d’auto-analyse) et par une personne extérieure.
Quelles idées-forces traduisent votre opinion lorsque vous dites que la formation doit aider à la fois à la construction d’une compétence professionnelle et à l’émergence d’une identité professionnelle (cf. « Peut-on former les enseignants » ESF 1994) ?
On peut être compétent (savoir faire classe à l’école primaire ou au collège), sans posséder le sentiment d’appartenir à une catégorie professionnelle déterminée (prof d’école ou PCL). Les écoles normales construisaient simultanément ces deux réalités : compétence professionnelle et identité. Les IUFM me paraissent participer davantage à la construction de compétences qu’à la construction d’identités professionnelles (celles du CPE, du PCL, du PLP2, du professeur d’école sont toutes différentes).
L’identité professionnelle se définit par quatre attributs : une qualification (le diplôme), une compétence, une culture d’appartenance (des objets, des valeurs, des actions, des symboles) et une déontologie. L’identité professionnelle des instituteurs hussards noirs de la quatrième République allait de soi (alphabétiser, faire exister le sentiment de république...). Je n’ai pas l’impression que l’on se préoccupe beaucoup de faire exister une identité professionnelle chez les étudiants d’IUFM aujourd’hui. Cela relève sans doute de décisions nationales (mieux définir les missions des enseignants) mais aussi d’initiatives locales. Pourtant, le contact avec la culture artistique et scientifique, avec la recherche, avec les zones sensibles, avec le nouveau peuple scolaire peut y participer si on considère que ces lieux et ces réalités constituent aujourd’hui des éléments forts d’une identité d’enseignant.
Odile Chenevez témoigne des possibilités d’action éducative par le biais de la presse à l’école.
le 5 juin 2003À Rennes, au lycée Jean Macé où enseigne Marie-Christine Chycki, les lycéens ont proposé d’organiser un débat dans l’ensemble du lycée. L’initiative est partie du CVL (Conseil de la vie lycéenne), organisme de concertation paritaire mis en place depuis quelques années dans les lycées.
le 5 juin 2003L’Irak a pendant ces deux derniers mois occupé les écrans, les rues, les consciences.
Il y a eu l’angoisse liée à la chronique d’une guerre annoncée, à ces morts programmées qu’on nous disait inéluctables et nécessaires... Nécessaires !
Il y a eu la réalité de cette guerre qui a, en définitive, pris de court tous ceux qui, jusqu’au bout, ont fait semblant de croire à une autre raison que la raison du plus fort.
Dans nos classes, nos établissements, nous avons été confrontés aux questions de nos élèves, souvent démunis devant les images et les discours d’adultes aux prises avec leurs contradictions.
Quelles réponses apporter ? Quels débats ? Dans quels cadres ?
Patrice Bride rend compte de ce qu’il a pu mettre en place dans le cadre de son enseignement.
le 5 juin 2003Luc Ferry nous propose un grand débat sur l’école. Nous aurions mauvaise grâce à le refuser dès lors que, parmi dix réformes prioritaires, sont annoncés les grands chantiers que sont la lutte contre l’illettrisme, contre la violence, et pour une meilleure formation des maîtres.
Malheureusement, il suffit de parcourir le préambule de la Lettre qu’il envoie aux enseignants pour commencer à avoir des inquiétudes. Si l’école est en crise, laisse en effet entendre Luc Ferry, c’est parce que l’esprit de Mai 68 a trouvé son couronnement dans la loi d’orientation de 1989 [1]. Ainsi, en plaçant l’élève au centre du système, on aurait entraîné l’école dans l’abandon de l’effort, dans la spontanéité d’une expression libérée de toute norme, dans un jeunisme délétère. Et Xavier Darcos de surenchérir sans nuances : « Une certaine démagogie a voulu faire de l’école un lieu de vie, un espace ludique qui bannirait tout effort de l’élève en même temps que disparaîtraient toutes les formes d’acquisition d’un savoir solide, grammaire, dictées, calcul mental. » Voilà qui est expédié ! Nous avons le diagnostic et le remède... Et voilà pourquoi votre enfant ne sait pas lire et pourquoi, de surcroît, il insulte ses maîtres. Revenons aux bons exercices d’autrefois et l’école sera bien gardée...
Passe que des pamphlétaires s’amusent à jongler avec ces slogans simplificateurs. Mais de telles affirmations sous la plume des ministres consterneront plus d’un enseignant. Car, à vrai dire, que signifie « mettre l’élève au centre » sinon que c’est l’élève qui doit apprendre, même si c’est le maître qui enseigne ? S’il est capital de donner aux élèves la possibilité de faire état de leurs connaissances et de leurs représentations, c’est pour leur permettre de les faire évoluer et d’en acquérir de nouvelles. Qui a sérieusement prétendu que le savoir de l’élève devait se substituer à celui du professeur ?
Les « idées simples » qui accréditent l’idée selon laquelle « l’école nouvelle » opposerait l’esprit critique à l’autorité ne peuvent mener qu’à l’impasse. Ce simplisme conforte en effet ceux qui, croyant devoir choisir entre les deux, attribuent aux uns le savoir, aux autres l’ignorance, et qui entérinent ainsi les situations d’échec scolaire.
Enfin, les accusations de capitulation devant l’effort et devant les impératifs de l’apprentissage ne peuvent qu’être ressenties comme injurieuses par tous les enseignants pour qui la prise en compte de tous les élèves tels qu’ils sont est une nécessité si l’on veut que ces derniers apprennent vraiment.
La loi d’orientation en question
Le quotidien des collèges et des lycées est un démenti à ces étranges affirmations selon lesquelles la pédagogie « nouvelle » aurait trahi les valeurs républicaines et ne penserait qu’à détruire l’enseignement en ruinant « les lettres » et « les mathématiques ». Les établissements expérimentaux, que certains considèrent comme les pires exemples du laxisme post-soixante-huitard, sont souvent au contraire des lieux de forte exigence intellectuelle malgré le fait qu’ils accueillent des jeunes en rupture scolaire. Dans nombre d’établissements sensibles, des équipes réussissent à mettre en place des dynamiques d’apprentissage souvent exemplaires. On aurait aimé que le ministre le rappelle ! Comme on aurait aimé qu’il évoque en termes plus positifs toute la richesse du travail effectué à travers des dispositifs nouveaux comme les « travaux personnels encadrés » en lycée ou les « itinéraires de découverte » en collège. Mais le ministre laisse penser qu’au lieu d’innover il suffirait de décréter les vertus de l’autorité et du travail afin de résoudre une crise qu’il croit pouvoir régler en lui trouvant un bouc émissaire !
Enfin, la partie la plus importante de la loi d’orientation de 1989 concernait la définition des missions de l’école ; elle invitait chaque enseignant à s’insérer dans un établissement et dans une équipe de telle sorte que le travail dans sa « matière » prenne sens par rapport à la complexité du savoir aussi bien que par rapport à la prise en compte de l’élève dans la réalité de ses appartenances, des voies de son accession à l’autonomie et de son devenir. Il est clair que le recentrage « sur le savoir » tend à ramener les enseignants à l’intérieur des limites étroites des contenus disciplinaires, ravalant le travail d’équipe, les tentatives de décloisonnement et la pédagogie au rang d’épiphénomènes aussi peu importants que les élèves eux-mêmes.
Le doute au centre du système
Messieurs Ferry et Darcos craignent que l’école doute de ses capacités à relever le défi de l’école en ce début du xxie siècle. En réalité ce sont leurs propres doutes qu’ils mettent au centre du système, et la contre-réforme qu’ils imaginent est un considérable retour en arrière. Les ministres semblent se faire les porte-parole d’un clan crispé sur la représentation passéiste du maître légitimé par son seul savoir. Mais les élèves se chargeront de rappeler, comme l’avait fait Antoine Prost dans son Éloge des pédagogues [2]), ce que comporte de naïf et d’irréaliste l’expression usuelle « transmettre un savoir » si l’on ne prend pas en compte les conditions de cette transmission. Quand on se contente de faire savoir ce que l’on sait, l’élève apprend seulement qu’il est ignorant. Il y a d’autres perspectives plus motivantes et des méthodes plus efficaces. C’est justement parce que, malgré la loi de 1989, ces perspectives n’ont pas encore été adoptées pleinement que l’école n’a pas réussi aussi bien qu’elle aurait dû.
En tentant d’évacuer la loi d’orientation de 1989, Messieurs Ferry et Darcos coupent court au débat. Est-ce vraiment ce qu’ils souhaitent ?
Le bureau du CRAP, le 12 mai 2003.
le 5 juin 2003 Marc-Henry Broch : Dans l’histoire et aujourd’hui
Clara Mourey : Un silence éloquent
Anne-Marie Gioux : La Vie [scolaire],mode d’emploi...
Collectif CPE de Brie Sénart : CPE, que du bonheur !
Olivier Genoux : Les atouts de l’internat
Anouk Pantanella : Les dérives de la décentralisation
Alain Abadie : CPE : Conseiller en Parole et en Écoute
Gardy Bertili : La violence est-elle nécessaire ?
Nathalie Mikaïloff : Entre shérif et psy
Daniel Picarda : S’entretenir avec les élèves...
Patrice Teissier : Très flamenco !
Marie-Clotilde Pirot : « Toi, tu vas aller chez le CPE ! »
Christine Gibon-Alphand : Au cœur du projet d’établissement
Ahmed Bouhaba : Le CPE et la pédagogie
Laure Laborde : Articuler éducation et pédagogie
Alain Suran : Le choix du terrain
Alain Enjolras : Une radio dans la vie scolaire
Olivier Boyer : Ouvrir une Fenêtre au quotidien
Géraldine Marty : Je suis CPE au collège expérimental Clisthène...
Loïc Clavier : La formation des CPE en IUFM
Robert Ballion : La vie scolaire en question
Claude Echerbault : Un espace de socialisation : l’internat [ Lire cet article ]
Jacques George : Surveiller et punir [ Lire cet article ]
Entretien avec Jean-Philippe Ritzler : Le bizness [ Lire cet article ]
Stéphane Auger : L’autorité et les surveillants [ Lire cet article ]
Jacques George : De l’internat à la Vie scolaire [ Lire cet article ]
Frédérique Idrissi : À la croisée des chemins entre l’éducatif et la pédagogie : Une expérience d’étude tutorée [ Lire cet article ]
Jean-Michel Zakhartchouk : Analyse de pratiques et démocratie
Guy Lavrilleux et Gérard Auguet : Démocratique ou démocratisante ?
Florence Casticaut et Christian Frin : Démocratisation des savoirs ?
Richard Étienne et Noëlle Villatte : Une politique démocratique dans un établissement scolaire
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