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Cette enquête dans une ZEP met en évidence le rapport complexe à la lecture d’élèves de CE2 dont les parents ne savent pas lire.
Nous avons tenté de définir le rapport à la lecture d’élèves scolarisés en ZEP en nous appuyant sur une série d’entretiens menés auprès d’une classe de CE2 d’une école dite difficile d’un quartier de Montpellier dont la population est en grande majorité issue de l’immigration maghrébine.
La façon dont la famille a présenté l’écrit à l’enfant joue un rôle très important et il ressort de notre étude que des enfants en difficulté sociale voient la lecture comme un savoir salvateur qui pourra les faire sortir de leur condition, les faire évoluer au sein de la société.
La lecture, entre école et plaisir
Le rapport à la lecture observé en milieu défavorisé présente tout d’abord une dimension scolaire dans le sens où le mot lecture renvoie automatiquement à l’acte de classe et non à une pratique personnelle. Ces enfants entendent par le mot « lecture » une discipline scolaire correspondant à une plage horaire imposée durant laquelle ils font de la lecture orale mais aussi de l’explication de texte ou encore des fiches de lecture. Preuve en est que pour eux la lecture « ça sert à apprendre à lire ! » Rares sont les enfants qui comprennent « lecture » en tant qu’acte de lire, moment d’intimité ou d’évasion.
Le rapport à la lecture est également social car si ces enfants ont une représentation si fonctionnelle de la lecture ce n’est pas parce qu’ils n’aiment pas lire mais parce que, pour eux comme pour leur entourage, il y a urgence. La plupart de ces élèves rencontrent l’écrit seulement après leur entrée à l’école. Il n’est donc pas étonnant que pour eux « lecture » rime irrémédiablement avec école. De plus la grande majorité de leurs parents ne sait pas lire le français et pour eux le but premier de l’école est d’apprendre à lire à leurs enfants afin qu’ils ne rencontrent pas les mêmes difficultés qu’eux. C’est pour cette raison que la lecture est perçue par les enfants comme une discipline on ne peut plus sérieuse qui ne peut être vue comme une distraction, comme un loisir.
Cependant il serait faux d’affirmer que les enfants que nous avons interrogés ne lisent jamais pour le plaisir. Seulement, la lecture plaisir est perçue comme une activité qui se démarque totalement de la lecture « scolaire » et qui passe au second plan. Ainsi pour Ouafa : « parfois quand tu rentres chez toi tu demandes à ton père qu’il t’achète des, plein de livres, et après il te les achète, des romans et tout ça, et après tu les prends, quand, quand, quand t’as pas de devoirs tu les lis ». Ces paroles mettent en avant l’existence, dans l’esprit des élèves, de deux manières d’appréhender la lecture. En fait, ils font une différence entre faire de la lecture et lire un livre. La première lecture est un travail (ça sert à apprendre !) et les enfants ne manquent pas de préciser que l’on ne pratique la « seconde lecture » que lorsque l’on a terminé ses devoirs. Lire un livre apporte peut-être des sensations nouvelles mais ce n’est pas quelque chose de sérieux. Et le sérieux c’est primordial quand on apprend à lire pour s’en sortir, « pour avoir un métier plus tard », en bref pour vivre comme tout le monde au sein de la société.
Conflits d’appartenance
Pour mieux comprendre pourquoi certains de ces élèves réussissent et d’autres échouent, écoutons-les parler de leurs parents. L’acte d’apprendre se situe dans un système d’identification. Nicole Mosconi, dans le collectif Formes et formations du rapport au savoir [1] , fait la différence entre « rapport au savoir théorique » et « rapport au savoir pratique ». Les élèves des milieux populaires développent le plus souvent un « rapport au savoir pratique » puisque c’est celui que leurs parents utilisent et valorisent. Une fois à l’école, ces enfants sont obligés d’acquérir un savoir qui n’est pas celui qu’ils ont rencontré jusque là dans leur famille. Non seulement ils sont en position de faiblesse par rapport aux enfants de milieux plus aisés, formés dès leur enfance au savoir commun dispensé à l’école, mais ils se sentent également obligés de choisir entre leur culture d’origine et la culture scolaire.
Le savoir est, de plus, lié à la structure psycho-familiale dans le sens où l’enfant identifie le maître comme figure de la continuité parentale ou comme dérivée. Si cette figure s’avère, aux yeux de l’enfant, trop différente, il doit, consciemment ou inconsciemment, décider quel savoir adopter, ce qui peut créer des conflits identificatoires chez certains élèves.
Certains enfants issus de l’immigration échouent à l’école parce qu’ils se sentent tiraillés entre leur culture d’origine et la culture qui leur est inculquée en classe ; l’enfant qu’ils sont dans sa famille s’oppose à l’élève qu’ils doivent être à l’école. Le fait de se sentir « supérieurs » à leurs parents, de se sentir en mesure de leur enseigner des choses, inverse les rôles et peut leur donner envie de ne plus progresser à l’école de peur de perdre leur statut d’enfant au sein de la famille.
Pour le moment les enfants interrogés expriment une certaine fierté à pouvoir aider leurs parents. C’est le cas de Mohamed : « Et ben moi je lis toujours, mon père il me dit : « lis les lettres et explique moi ». Je lui explique toujours même si c’est le travail de mon père. » Ou encore d’Attika : « Moi aussi des fois ma mère elle me dit « regarde, c’est quoi cette lettre » et je regarde, je lui lis et après je lui explique qu’est-ce que ça veut dire et tout. »
Mais, lorsqu’un enfant dont les parents savent lire s’étonne du rôle que tiennent ses camarades au sein de leur foyer, le réflexe de défense de ces derniers laisse entrevoir une gêne qui risque d’augmenter à l’adolescence, à mesure qu’ils comprendront que leur place dans la famille n’est pas tout à fait « traditionnelle ».
Marwa : Parce que sinon et ben quand on est grand, on sait pas lire et tout et on sera obligé, quand on sera grand on sera obligé d’encore y aller à l’école. D’aller à l’école comme les papas et les mamans qui ne savent pas écrire.
Animatrice : Il y a des papas et des mamans qui vont à l’école ?
Marwa : Oui, comme mon papa.
Mohamed : Ton père il sait même pas lire ?
Marwa : (en colère) Et ben c’est pas la peine de te moquer, et ben ça existe !
Atika : Moi aussi ma mère elle va à un truc là à la maison pour tous pour apprendre à lire. Elle y va tous les vendredis après-midi, et les mardis après-midi.
Projet des enfants, demande des parents, rôle de l’école
Ce n’est donc pas dans le plaisir proprement dit que les élèves trouvent leur motivation mais dans l’envie et le besoin d’aider leurs parents dans certains actes quotidiens lorsque ceux-ci ne savent pas lire. Pour ces élèves, l’écrit n’est pas absent de la maison, mais il est méconnu et ses diverses formes d’utilisation le sont encore plus. Les parents ne lisent certes pas de romans mais sont tout de même confrontés au courrier, aux affichages de prix et aux panneaux de signalisation. Quand leurs enfants commencent à déchiffrer, ils deviennent le relais qui unit les parents au monde de l’écrit et à la société tout entière. Ainsi donc certains enfants ont un projet pour eux mais celui-ci englobe toute leur famille et il en est d’autant plus motivant. Dans le cas d’un grand nombre des élèves qui ont pris part aux entretiens, le pouvoir signifiant de l’écrit est apparu et il se crée quelque chose qui les motive et leur donne envie d’apprendre.
Il apparaît ici que la motivation, si elle n’est pas toujours antérieure à l’apprentissage, peut en découler directement. Les enfants interrogés étaient déjà motivés par leur milieu social et très certainement par les demandes de leurs parents ; cependant, et même s’ils ne l’ont pas clairement exprimé, le fait qu’ils soient à présent capables d’aider leurs parents, et que ces derniers fassent appel à eux, leur montre certainement ce que la lecture peut leur apporter. Ils se trouvent donc dans cette interaction où les effets produits par leur capacité à lire motivent leur apprentissage et leur donnent encore plus envie de lire. L’école leur a montré ce que pouvait leur offrir le monde de l’écrit, même si l’utilisation qu’ils en font est pour la grande majorité exclusivement utilitaire, et on peut espérer qu’ils seront pris dans une spirale qui leur donnera l’envie d’aller plus loin et leur permettra de découvrir des formes plus culturelles de la lecture, nécessaires à leur réussite scolaire ultérieure.
Un enfant qui n’a pas rencontré l’écrit avant l’école, à plus forte raison si le français n’est pas sa langue maternelle, a toutes les chances d’avoir plus de difficultés qu’un autre élève pour apprendre à lire. Sa motivation ne lui viendra que de l’école et le plaisir qu’apporte la lecture ne lui aura pas été transmis dans une sphère intime. Le fait de savoir déchiffrer à voix haute sera perçu par son entourage comme une preuve de sa capacité à lire et l’enfant risque de se limiter à cela. Cependant, aucun enfant ne saisira mieux l’importance de l’apprentissage de la lecture qu’un enfant qui a vu ses parents souffrir de leur illettrisme et qui a compris combien il est handicapant de ne pas savoir lire. De plusieurs facteurs dépend la réussite, ou l’échec, de chaque élève et c’est en grande partie le rôle de l’école de tenir compte du rapport au savoir et du rapport à la lecture de chaque élève afin d’offrir à chacun les mêmes chances de réussir.
Amélie Mellier, Étudiante en 3e cycle, Université de Montpellier 3.
le 10 mars 2004Quand lire aide les élèves à se poser des questions scientifiques. Quelques exemples d’albums.
Si l’association entre la lecture d’écrits documentaires et la maîtrise des compétences relevant de la découverte du monde semble aller de soi, l’intérêt d’associer littérature et biologie n’est pas aussi évident. Pourtant, le rapprochement entre la lecture de certains albums et l’enseignement des sciences potentialise les apprentissages réalisés dans les diverses activités menées dans les deux domaines. Il ne s’agit certes pas de tout mélanger - car établir la distinction entre textes documentaires et textes de fiction est un point de repère important pour de jeunes enfants. Mais les albums sont le miroir des curiosités de l’enfant et de ses interrogations sur le monde. Occasions de renvoyer, tout naturellement, à des activités scientifiques. La littérature nous parle de nous-mêmes et du monde ; en multipliant les échos nous aidons les enfants à s’intéresser de plus en plus au monde de l’écrit.
Certains albums peuvent aider l’enseignant à « lancer » une notion ou à en faire la synthèse. Le choix de l’album est ici déterminé par le contenu du récit.
Par exemple, on peut partir de Ce que Thomas voit de C. Merveille et M. Servais (Magnard jeunesse) pour aborder les fonctions de relation, et plus particulièrement la vue. Les fonctions sensorielles chez les animaux sont facilement introduites avec la lecture de 7 souris dans le noir de E. Young (Milan), et leurs découvertes complémentaires d’un mystérieux objet.
L’observation des squelettes fantaisistes de J. et A. Ahlberg dans Bizardos (Gallimard) et la mise en parallèle avec des radios de véritables ossatures d’animaux permet de lancer l’étude de la locomotion chez les animaux.
On pourrait citer encore, dans le chapitre de la fonction de nutrition, Il y a un alligator sous mon lit de M. Mayer (Pastel) pour l’alimentation chez les animaux et La dent de Pierre de J. Ruillier (Magnard jeunesse), pour celle de l’homme. Dans celui de la fonction de reproduction, La promesse de T. Ross (Gallimard jeunesse), qui traite de métamorphoses, ou Alexandre et la souris mécanique de L. Lionni (L’École des loisirs) qui pose indirectement la question : qu’est-ce que le vivant ? Dans le domaine de l’hygiène, un album sur les convenances sociales, Moi, j’adore, maman déteste d’E. Brami et L. Le Néouanic (Le Seuil jeunesse). Et pour la reproduction chez les plantes, Toujours rien de C. Voltz (Éditions du Rouergue).
Mais enseigner les sciences, ce n’est pas seulement faire construire des connaissances (contenus), c’est également développer démarches et attitudes scientifiques. Pour aider les élèves à passer de l’imaginaire au réel et donc à bien distinguer les deux, l’album de fiction est un outil indispensable. Bon appétit ! Monsieur Lapin de C. Boujon (L’École des loisirs) aide à se dégager de la représentation enfantine du monde pour fonder ses connaissances sur une affirmation argumentée.
C’est même à une réflexion critique sur la science que nous invitent certains ouvrages. Un roman comme Le petit humain de A. Serres et A. Tonnac (Gallimard) amènera à réfléchir sur une relation au monde citoyenne et responsable.
Face au foisonnement et à la richesse de la littérature de jeunesse, il serait dommage de se priver des possibilités de faire lien entre les différents domaines d’apprentissage. Lire, au cycle 2, ce n’est pas seulement permettre aux élèves de maîtriser « un savoir-lire de base ». C’est aussi leur donner des raisons de lire, en utilisant et en explicitant avec eux des textes aux résonances riches et multiples.
Anne-Marie Lanoizelé, Professeur des écoles maître formateur à Stains.
le 10 mars 2004Un exemple d’aide individualisée en classe de 2e.
Pour choisir des élèves : les faire parler de leur expérience de lecteurs
Parmi les trente-cinq élèves de ma classe, quinze n’avaient pas lu Bel Ami, malgré mes consignes. J’ai choisi de leur consacrer deux séances d’aide individualisée. Mon premier objectif est de distinguer les non-lecteurs des lecteurs peu intéressés par le roman de Maupassant. C’est par une discussion sur l’objet livre ou sur l’attitude extérieure du lecteur que je mène cette enquête qui ne doit pas se transformer en une accusation stérilisante des non-lecteurs. Je me situe délibérément du côté de la médiation.
Première séance (8 élèves sur les 15)
Je leur ai d’abord posé trois questions sur leurs attitudes de lecteurs mais je n’ai pas réussi à leur faire développer les réponses. J’ai alors distribué la description que fait Pennac, dans Comme un roman, du non-lecteur lycéen qui doit lire Madame Bovary. Tout le monde a ri et a avoué se reconnaître un peu.
Je voulais trouver une étincelle dans leurs souvenirs d’enfant, renouer avec les anciens plaisirs. Mais ils ont évoqué davantage les dessins animés de Walt Disney que les albums ou les histoires de leur enfance. J’ai alors proposé la page, toujours tirée de Comme un roman, où le petit alchimiste transforme les petits bâtons et petits ronds en maman qui sent bon... Aucune émotion chez les élèves présents, alors que l’année précédente, mes élèves de 1re L avaient investi ce texte de souvenirs qui avaient débordé le cours. Nous avons décrypté rapidement le texte pour transposer l’activité du lecteur décrite : la mise en images qui suit le déchiffrement. Puis je leur ai demandé de faire « le film », de donner des images de certains passages de Bel Ami. La différence entre lecteurs et non lecteurs était, me semble-t-il, flagrante. Certains n’ont pu donner aucune image.
Deuxième séance (les 7 autres élèves)
J’ai changé de questions et de scénario parce que j’avais eu l’impression de ne pas entendre assez les élèves lors la première séance. C’est d’abord un échange oral en grand groupe (les élèves et moi) puis un temps de passage à l’écrit avec les questions suivantes qui découlaient de notre entretien : décrivez-vous quand vous lisez, puis décrivez un lecteur passionné ; enfin dites ce que vous préférez, d’un film ou d’un roman. Ces petits textes montrent qui lit et qui ne lit pas.
Fabien écrit :
« Quand je lis, je n’arrive pas à penser qu’au livre, je pense à la journée du lendemain, je me pose des questions sur la journée. Je lis le soir, 15 minutes, souvent avec de la musique. Un lecteur passionné est, pour moi, un lecteur qui est tout le temps plongé dans son livre, dès qu’il a un moment de libre, il lit. Je préfère un film, on est plus facilement plongé dans l’histoire, alors que le roman, il faut le mettre en scène ».
Alors que Jérémie M. confie :
« Le temps que je lis dépend de l’histoire. Si je trouve l’histoire intéressante, je pourrais lire pendant des heures. Je lis n’importe où, du moment que c’est calme. Je mets ni musique, ni télé, ni rien. Je préfère lire sans bruit pour mieux me concentrer. J’oublie totalement l’extérieur. Je ne pense à rien, je ne vois rien que les lignes du livre et cela peut être pire (sic) si je trouve l’histoire intéressante. Je ne sais pas ce que c’est qu’un lecteur passionné. Chacun a sa définition du mot. »
Conclusion :
À l’issue de ces deux séances, j’ai repéré huit non-lecteurs, au profil intellectuel très différent cependant, si j’en juge par les premières évaluations. Mais précisément, je mise sur cette différence pour dynamiser le groupe. Trois élèves en grande difficulté scolaire (Mounir, Issam, Aude). Aude veut y arriver et veut me faire plaisir : « Je n’ai jamais tant lu madame, mais j’ai rien compris ». Peut-être aura-t-elle l’impression, là, de maîtriser quelque chose ! Il faudrait que ces trois élèves puissent repérer dans l’océan de vague et de flou qu’est leur année de seconde, quelques bouées d’ancrage (d’encrage ?).
Une en risque de décrochage scolaire (Sandrine), que j’espère valoriser. Si elle n’a pas lu Bel Ami, c’est qu’elle considère le lycée comme un pensum. (Elle ne viendra pas et sera exclue du lycée, au second trimestre, pour absentéisme revendiqué !)
Quatre en « paresse » ou en adolescence fatigante : (Fabien, Mélanie, Virginie, Jérémie T.) ils savent quel est le comportement attendu à l’école ; ils semblent comprendre les notions vues en classe mais ils attendent que le livre vienne vers eux. J’espère les accrocher en leur proposant des défis intellectuels : la lecture « comme jeu ».
Améliorer ses compétences de lecteur (cinq séances)
Mon objectif est de varier les difficultés d’entrée en lecture sur des textes courts pour plus clairement identifier ce qui ressort des compétences logiques (aptitude à formuler des hypothèses et à les valider), des compétences rhétoriques (entrée dans un genre) et des compétences encyclopédiques [2] .
Nous lirons ensemble de courtes nouvelles. Je choisis, dans Bonnes Nouvelles (Éd. Bertrand Lacoste), des textes qui résistent à la lecture, pour des raisons différentes.
D’abord, Iceberg de F. Kassak est une nouvelle dans laquelle seul compte le jeu. Ce sont essentiellement des compétences logiques qui sont requises ; le décalage du texte par rapport à notre attente nous mène sur une fausse piste et une relecture nous fait comprendre sur quoi a joué l’auteur : la mauvaise identification d’un des personnages par le lecteur, habitué au schéma traditionnel de la triade amoureuse.
La seconde et la troisième séance seront consacrées à la nouvelle de R. Matheson, Cycle de survie. Les difficultés sont plus nombreuses : entrer dans un genre (la science-fiction) mais aussi dans la parodie d’un autre (le roman romanesque) ; savoir ce qu’est le champignon atomique ; enfin, être attentifs aux détails pour identifier les/le personnage(s).
La dernière nouvelle est un texte de A. Skarmeta, Rédaction, dont l’intrigue se passe sous la dictature de Pinochet. La logique du lecteur n’est pas, là, sollicitée par un jeu, mais par l’émotion qui naît de la résistance d’un enfant à la dictature. Les compétences encyclopédiques sont indispensables : non seulement savoir qui est Pinochet, mais aussi imaginer ce qu’est la vie quotidienne sous une dictature.
Je n’ai pas réussi à faire naître dans ce groupe une dynamique très forte, il m’a fallu, constamment, impulser de l’énergie. Pourtant, jamais les élèves n’ont paru s’ennuyer.
Ce que ce travail a permis de construire, avec mon aide : La nécessité de revenir aux textes pour valider ses hypothèses.
La conscience que le texte est une construction qui vise à la manipulation du lecteur.
La nécessité d’une documentation pour certaines lectures (ils sont allés au CDI chercher des renseignements sur les explosions atomiques).
L’évaluation
Il me semblait utile de vérifier ce qui pouvait se passer sans moi et pour le groupe classe dans son ensemble.
J’ai donc proposé, en deux heures, de rédiger le compte rendu de lecture d’une nouvelle de Y. Rivais, Safari, qui joue avec le lecteur comme les nouvelles que nous avions lues et qui est une nouvelle de science-fiction, comme Cycle de Survie.
Je donne aux élèves comme consigne de commencer les deux parties de leur compte rendu de lecture par les phrases suivantes : après une première lecture de ce texte, nous pouvons croire que... Et après une deuxième lecture, nous nous rendons compte que...
Tous les élèves qui ont participé aux séances d’aide individualisée, sauf Aude, comprennent le texte, c’est-à-dire qu’ils identifient correctement chasseur et chassé. Parmi les autres élèves de la classe, deux filles n’arrivent pas à démêler les fils.
Je me propose d’étudier la copie d’Issam, parce que, pour la première fois de l’année, j’ai eu l’impression d’un vrai engagement de sa part lié aux séances d’Aide Individualisée. Il y a manifesté de l’intérêt, bien que mes indices pour l’affirmer soient minces, un regard furtif et un demi-sourire esquissé quand il saisit « le truc » qui permet de comprendre. Il ne participe pas aux échanges avec les autres mais il suit attentivement ce qui est dit. Je fais l’hypothèse que mes compliments répétés, devant sa sagacité, changent son image de lui comme élève de français de seconde... Voilà ce qu’il écrit :
Avant d’entrer dans le texte :
Cette nouvelle peut se lire comme le simple récit d’un safari car il y a plusieurs choses qui peuvent y faire penser.
Le titre du récit s’appelle safari. Un safari est une expédition de chasse de gros animaux sauvages ou une simple excursion au cours de laquelle on pend des photos d’animaux sauvages. Grâce à ce titre, on peut avoir une idée de ce que va raconter la nouvelle. On pourrait penser que le récit parle de chasse.
Issam a fait sienne l’habitude d’utiliser le titre pour se préparer à lire et il a pensé à consulter un dictionnaire.
Fausses pistes
Dans le récit, il parle de débusquer 3 bêtes isolées, et de chasseur, la tanière d’une bête et il traque une bête. Bref, tout ce qui peut faire penser à un safari est présent dans cette nouvelle. Mais en lisant ce texte plusieurs fois, on s’aperçoit très vite que le texte nous met sur une fausse piste. Il y a plusieurs choses dans la nouvelle qui retiennent l’attention du lecteur. On ne s’en rend pas compte au début car on ne comprend pas le texte tout de suite après l’avoir lu.
L’activité du lecteur consiste à sélectionner des indices qui correspondent à son hypothèse de lecture, elle est ici décrite par l’élève. Il nous donne les éléments qui correspondent à la chasse, mais il précise, qu’à un certain moment de la lecture, ces indices se troublent, ce qu’indique le mais. Il faut donc relire, en fonction d’une nouvelle hypothèse et sélectionner de nouveaux indices.
Traduction
Tout d’abord, le texte commence par l’arrivée d’une sorte de vaisseau spatial appelé crabe qui se stabilise dans les nuages. Ce qui est impossible pour la civilisation humaine qui ne possède pas cette technologie. C’est la même chose pour les armes sophistiquées qui n’existent pas sur terre. Il y a aussi la créature qui pousse un petit véhicule primitif à roues et brancards, chargé de tiges moissonnées, ce qui ferait penser à un chariot (caddie). La tanière est donc la maison de la créature. Les plantations vertes sont le champ de la bête. Le double tube est un fusil à pompe. Le liquide rouge visqueux est le sang qui coule de son nez. La nappe liquide assez vaste est une mer ou un océan ou un truc de ce genre. La coquille flottante est une sorte de barque ou un bateau. Je pense que c’est une barque parce qu’il empoigne une espèce de longue barre à extrémités plates : des rames.
La relecture se fait, ici, réécriture. En effet, comme le narrateur est un narrateur interne, un extra-terrestre, qui nous impose son regard étranger sur les choses de la terre, il faut que le lecteur décrypte ce qu’il raconte et prenne en charge cette narration.
Tout ce récit est enfin clair. Ce n’est pas une chasse aux animaux sauvages mais on se rend compte qu’il s’agit d’une chasse à l’homme. Ce vaisseau extra-terrestre a débarqué sur terre... Suit le récit au passé de la nouvelle.
Bilan : échec ?
Il me semble qu’Issam est conscient de l’activité du lecteur : se préparer à lire, sélectionner des indices, mais éventuellement revenir sur les indices choisis quand logiquement le résultat auquel on arrive ne tient pas, donc relire. Mais si le lecteur est satisfait, car le récit est enfin clair, le professeur de français sait qu’il a encore du travail à faire pour que le texte reste une construction dans l’esprit d’Issam, et qu’il trouve, dans ce jeu, son plaisir et du sens. Pour l’instant, Issam reste dans le texte qu’il réécrit, au passé, bien qu’il y ait encore quelques hésitations avec le présent d’analyse. Il n’a pas esquissé de « morale » à l’histoire : dénonciation de la chasse ou de l’anthropocentrisme... Il n’a pas non plus pensé au texte comme une manipulation du lecteur ! Parler d’un texte revient, pour lui, à le raconter, non à l’analyser. Il n’a fait le détour d’analyse que parce qu’il lui était impossible de « raconter » l’histoire. Avant ce travail, il n’aurait pu dire que « je n’ai pas compris ».
Après une heure d’échange sur le texte, échange au cours duquel nous avons analysé comment l’auteur avait fait pour nous « manipuler », j’ai demandé à l’ensemble de la classe de réécrire leur compte rendu de lecture « en expert ». Le travail d’Issam a été plus précis, mais il termine encore en racontant l’histoire, ultime but de l’opération selon lui.
Jacqueline Gérard, Lycée Mistral, Fresnes.
le 10 mars 2004Je tiens à remercier Mme Christelle Fillonneau, M. Alexis Abramé et M. Jean-François Rouet pour leurs commentaires sur une version antérieure du manuscrit.
Cette recherche a été menée dans le cadre d’une collaboration CRIFRE (Convention Régionale Industrielle de Formation par la Recherche) entre le Centre Régional de Documentation Pédagogique de Poitou-Charentes et le Laboratoire Langage et Cognition de l’Université de Poitiers. Elle a été réalisée à la demande du CRDP de Poitou-Charentes, éditeur de BCDI 3, qui est soucieux de proposer à ses clients des produits adaptés à leurs attentes. Le CRDP de Poitou-Charentes a donc souhaité qu’une étude soit conduite afin de vérifier que le logiciel de recherche documentaire BCDI 3, aussi bien dans sa version maternelle qu’élémentaire, était bien adapté aux compétences des élèves.
Dans le cadre de nos recherches sur l’acquisition de la maîtrise de l’écrit, il nous a paru intéressant d’observer les usages effectifs d’un logiciel largement diffusé, l’outil de gestion documentaire BCDI 3 (pour une présentation de ce logiciel, consulter le site Web http://club-bcdi.crdp-poitiers.cndp...). En effet, l’usage de logiciels présente certaines contraintes spécifiques au plan de la lecture et du raisonnement. L’observation en classe est un moyen de mieux comprendre quels en sont le potentiel, mais aussi les limites.
Afin de réaliser des observations sur l’utilisation du logiciel BCDI 3 par les élèves de maternelle et de cycle 3, le CRDP de Poitou-Charentes a mis à notre disposition la liste des écoles de la Vienne ayant acheté le logiciel. Nous avons contacté vingt-six écoles du département de la Vienne pour leur présenter notre démarche. Il s’agit d’écoles aussi bien urbaines, péri-urbaines que rurales [3].
Sur les quatre écoles maternelles contactées, toutes ont accepté de participer à notre projet.
Sur les vingt-deux écoles élémentaires, seules trois ont émis un avis favorable et ont participé à notre projet. Pour les autres écoles, quatre m’ont expliqué que l’utilisation du logiciel était réservée à la personne chargée du bon fonctionnement de la bibliothèque. Neuf écoles ont acheté le logiciel au moins depuis un an mais ne l’ont toujours pas installé. Parmi ces neuf écoles, certaines m’ont expliqué que le logiciel était encore dans son emballage et que sans une personne pour s’occuper de l’informatisation de la bibliothèque il serait difficile de l’installer et de le faire fonctionner. D’autres m’ont précisé qu’elles avaient tenté de l’installer et de le faire fonctionner mais qu’il s’avérait être trop compliqué d’utilisation par les élèves mais aussi du point de vue de la personne responsable de la BCD (i. e : personne qui est chargée d’alimenter la base de données). Pour finir, six écoles ont refusé de me laisser observer leurs élèves en expliquant que les enseignants étaient trop occupés, que de nombreuses interventions d’étudiants étaient déjà programmées ou enfin que mon projet ne les intéressait pas.
1- L’interface maternelle de BCDI 3 est-elle adaptée au développement psychologique des jeunes élèves ?
1.1- Introduction
À l’occasion du lancement de la politique nationale de la lecture et du livre, en mars 1998, le ministre de la Culture et des Communications a présenté une enquête qui avait pour objectif de déterminer le niveau des ressources mises en œuvre pour assurer l’accès au livre et à la lecture chez les jeunes élèves. Ce sondage nous apprend que dans 30 % des écoles primaires, le responsable de la bibliothèque est un parent bénévole. En fait, 76 % des heures consacrées à la gestion de la bibliothèque sont fournies gratuitement par des bénévoles. Une bibliothèque sur trois au niveau primaire et deux sur trois au niveau secondaire possèdent des documents audiovisuels et des documents informatiques (tels que les logiciels), documents qui doivent être aussi facilement localisables que les livres. D’où l’intérêt d’utiliser des logiciels de recherche documentaire informatisée.
En tant que lieu privilégié de contact avec l’information véhiculée par l’imprimé et par l’électronique, la bibliothèque scolaire est au cœur du projet éducatif de l’école et, pour bien des jeunes, l’endroit où approfondir les premiers apprentissages formels acquis à l’école.
Par l’utilisation du logiciel BCDI 3 maternelle, les élèves non-lecteurs peuvent effectuer des recherches documentaires informatisées en quasi-autonomie. Ce logiciel offre une interface à base d’images et de sons pour les élèves des classes pré-élémentaires. Il permet d’accéder à un centre documentaire rangé selon les méthodes généralement pratiquées à l’école élémentaire (i. e : classification de Dewey). Ce logiciel initie les élèves les plus jeunes à la catégorisation, à découvrir ce qui se cache derrière les huit grands thèmes proposés au départ. Ce logiciel peut donc permettre aux enfants d’apprendre à classer les informations, à les regrouper et même à les hiérarchiser, ce qui pourra leur permettre par la suite d’utiliser efficacement des systèmes arborescents.
1.2- Présentation de l’interface maternelle
L’interface pour les non-lecteurs a la forme d’un album d’images qui traduit une classification hiérarchisée des thèmes. Grâce à cet outil documentaire, l’élève peut réaliser deux types d’activité :
L’enfant a la possibilité de descendre dans l’arborescence en affinant la recherche. D’autre part, un mode de recherche “texte“ permet à l’élève de mener une recherche thématique à partir d’un mot recopié.
Une fois que la recherche a abouti, BCDI ouvre le classeur sur les couvertures des documents trouvés. En passant la souris sur les images, qui ne sont en fait que les couvertures de livres numérisées, on entend le titre de l’ouvrage. C’est en grande partie grâce aux couvertures de livres numérisées que les élèves parviennent à sélectionner les notices des livres de leur choix.
Quand l’élève a fini sa recherche et a choisi la notice de l’ouvrage qui selon lui correspond le mieux à sa recherche, il lui faut cliquer sur la couverture de l’ouvrage pour qu’apparaisse l’écran des emprunts. S’ils le souhaitent, les élèves peuvent à tout moment réaliser un prêt, pour cela il leur suffit de cliquer sur leur photo. Pour les retours, à chaque nouvelle identification, le logiciel présente le classeur des documents empruntés. L’élève n’a plus qu’à cliquer sur la couverture de l’ouvrage emprunté pour faire apparaître l’écran des retours. Il doit taper le numéro du livre puis cliquer sur le bouton « bleu ».
1.3- Développement psychologique de l’enfant et adaptation à l’interface
L’utilisation du logiciel BCDI 3 maternelle permet le développement des compétences langagières, fait appel à l’esprit d’analyse des enfants en plus de les inciter à être méthodiques et rigoureux.
Par contre, il est vrai qu’une BCD qui ne fonctionne pas, ne fonctionnera pas plus avec l’utilisation d’un logiciel tel que BCDI 3. Si les livres ne sont pas empruntés, si les enseignants n’ont pas prévu de faire des recherches avec leurs élèves, que le logiciel soit présent ou non dans la bibliothèque ne changera pas grand-chose.
Suite aux observations réalisées sur l’interface maternelle du logiciel, il est apparu que, pour qu’un enfant puisse accorder du sens aux opérations à mettre en œuvre pour parvenir au but fixé, l’on doit passer par une phase d’explicitation du logiciel. Ce besoin d’explication s’explique par une théorie développementale classique, celle de Piaget, qui défend l’idée que les élèves qui sortent du stade sensori-moteur et qui entrent dans la période préopératoire vont devoir construire sur le plan mental toutes leurs expériences motrices. Ceci signifie que l’enfant va devoir naviguer, se déplacer de nombreuses fois dans le classeur afin de découvrir son fonctionnement.
Cette exploration permettra également aux élèves de comprendre ou du moins de se familiariser avec la structure hiérarchique conceptuelle du module de recherche. Selon Carbonnel (1978), l’enfant formerait des classes collectives (par exemple les différents éléments de la gare : rails, locomotives, wagons...), au sein desquelles les éléments sont spatialement contigus, avant de former des classes logiques telles que les véhicules (voiture, vélo, locomotives...). Comme l’organisation du classeur n’est pas réalisée sur la base d’un classement effectué d’emblée par les jeunes enfants, il paraît tout à fait possible que certaines catégories dans le classeur de recherche de BCDI 3 restent très obscures pour les jeunes enfants quant à ce qu’elles recouvrent. Kuhlthau (1988) a décrit quatre stades de développement cognitif chez les élèves auxquels elle associe des compétences à utiliser les ressources documentaires de la bibliothèque. Le premier stade (le seul que nous développerons ici car il correspond à la classe d’âge avec laquelle nous travaillons) est celui qui correspond à la petite enfance (2 à 7 ans). Bien que les enfants sachent qu’une bibliothèque est organisée, ils ne sont pas encore prêts à être initiés à un système de classification, ce qui rejoint les propos de Carbonnel. Pour Kuhlthau, le rôle de la bibliothèque consiste alors à créer un désir de lire et à le stimuler. Il faut combler leur besoin d’informations en leur fournissant des livres attrayants et en développant leur compréhension et leur réflexion par des activités reliées à la lecture.
En fait, deux formes de catégorisation, évoquées par Ehrlich & al. (1978), peuvent être distinguées lors de l’acquisition de la langue : « a labelling task » ou « tâche d’étiquetage »
et « a packaging task » ou « tâche de regroupement »
Il s’agit là de deux niveaux de catégorisation différents. Le premier a pour but de construire des catégories telles que « voiture », « poupée » à partir des instances d’objets qui entourent l’enfant. L’élève de maternelle à la vue d’une image va être capable de lui associer un nom et donc d’étiqueter chaque objet d’un nom bien spécifique. Opération qui pose relativement peu de problème aux élèves. Le deuxième permet la construction de catégories de niveau hiérarchique supérieur telles que « les animaux », « les vêtements », « les aliments ». Cette activité semble relativement plus complexe dans le sens où elle demande à l’élève un certain niveau d’acquisition de la langue et de représentation mentale. D’après Nelson (cité par Cordier, 1994), l’enfant se construit le sens des mots à partir des caractéristiques physiques des objets qu’il perçoit. Par conséquent, nous pouvons nous demander s’il est aisé pour un élève de maternelle de parvenir à savoir ce qui va se trouver derrière une image représentant la vie de tous les jours.
C’est également en explorant l’arborescence que les élèves se familiarisent avec les images qui correspondent aux thèmes afin d’acquérir par la suite une autonomie de recherche. Toutes les images n’étant pas toujours très lisibles pour des enfants de maternelle, en particulier celles associées aux notions abstraites pour lesquelles ils ne possèdent pas le codage culturel. Cette lecture d’images est simplifiée par l’apparition sonore du libellé du thème sur lequel l’enfant a positionné le curseur. Cette aide sonore permet aux élèves d’avoir une compréhension commune des images et aussi de pouvoir faire la correspondance entre l’oral et l’écrit. Correspondance qui est essentielle dans le cadre de l’apprentissage de la lecture (Sprenger-Charolles, 1992).
Il semblerait que la multimodalité (image, son et libellé - texte) pour ce type de logiciel de recherche documentaire avec des élèves de maternelle soit plutôt bénéfique.
1.4- Les problèmes ergonomiques présents dans l’interface
Suite aux observations réalisées dans les classes de maternelle, nous avons tenté de répertorier les difficultés rencontrées par les élèves et de les rattacher à des défauts au niveau de l’ergonomie du logiciel. Pour cela, nous nous sommes basés sur la classification élaborée par Bastien et Scapin (1993).
L’ergonomie d’un logiciel ne concerne pas seulement les aspects de surface ou les aspects graphiques directement visibles. La finalité d’un logiciel est de servir à quelqu’un pour faire quelque chose. Dire qu’un logiciel est ergonomique ne veut rien dire en soi : un logiciel est ergonomique pour une personne donnée ayant un objectif donné. Pour être ergonomique, un logiciel doit ainsi répondre à 2 critères : l’utilité, c’est-à-dire la capacité du logiciel à répondre aux besoins « réels » des utilisateurs,
l’utilisabilité, ou maniabilité : l’application doit être facile à utiliser, être adaptée aux différents profils des utilisateurs de la population cible et faciliter l’apprentissage.
On peut donc avancer que l’ergonomie n’est pas « l’application aveugle de recettes toutes faites » mais une approche pratique « adaptée aux problèmes spécifiques du terrain » (Barthe, 1995).
D’après Bastien et Scapin, différents critères doivent être pris en compte pour que le logiciel soit facile d’accès pour l’utilisateur.
Un critère élémentaire pour un bon fonctionnement est celui de la compatibilité. Ce critère se réfère à l’accord pouvant exister entre les caractéristiques des utilisateurs et des tâches, d’une part, et l’organisation du logiciel, d’autre part. Ce qui signifie que les procédures nécessaires à la réalisation d’une tâche sont compatibles avec les caractéristiques psychologiques des utilisateurs ; les procédures et les tâches sont organisées de manière à respecter les attentes ou habitudes des utilisateurs... Il s’est avéré, lors d’observations, que lorsque l’enfant réalise une recherche et qu’il a choisi une image dans le classeur, il clique sur cette image et attend, il ne lui paraît pas nécessaire de lancer la recherche. L’élève pense que le simple fait de cliquer sur cette image va lancer la recherche. Il semblerait que cette action soit peu prédictive mais pourtant indispensable et non dénuée de sens. Dans ce cas-là, on peut penser que c’est par l’apprentissage et l’explication que l’enfant va pouvoir accrocher du sens à l’action à réaliser et va donc ne pas oublier de lancer la recherche.
Il est également apparu que le logiciel n’offrait pas aux élèves après identification, la possibilité d’emprunter ou de rapporter des livres de façon très explicite. Il convient en fait que l’élève clique sur sa photo pour voir l’écran des prêts/retours s’afficher. On pourrait envisager de créer un bouton qui servirait à emprunter les ouvrages et un autre pour les rapporter. Cette remarque a été prise très au sérieux par les concepteurs du logiciel, lesquels ont apporté des modifications à l’interface. Maintenant, les élèves peuvent emprunter un document ou en rapporter un en cliquant sur les deux boutons mis à leur disposition.
Un problème qui est apparu être assez gênant pour les élèves de maternelle est celui du guidage qui renvoie aux moyens mis en œuvre pour aider l’utilisateur lors de ses interactions avec l’ordinateur. Il s’est avéré en fait que les messages oraux apportés aux élèves étaient beaucoup trop conséquents pour être pris entièrement en compte par les élèves de maternelle. Il semblerait qu’il soit plus opportun de proposer des aides courtes, de façon à permettre aux jeunes enfants de pouvoir assimiler ce qui est mentionné. Nous savons que la mémoire à court terme a des capacités limitées, de surcroît chez les enfants. Cette limitation contraint l’élève à demander une aide externe ou alors à se lancer dans des actions dépourvues de sens dans le contexte donné.
Pour ce qui est du sous-critère groupement/distinction entre items, il s’est avéré que lorsque l’enfant fait un prêt ou même un retour, il a à l’écran le classeur de la recherche auquel vient se superposer dans un format plus réduit l’écran de prêts/retour et donc se pose le problème de l’utilisation des boutons. En fait, une grande majorité des enfants ont tendance à ne pas distinguer les boutons appartenant à chacun des deux écrans. Ceci s’observe avec le bouton du « point bleu » permettant de valider l’action de prêt/retour. Ils cliquent sur le « point bleu » de l’écran sous-ordonné et ne comprennent pas pourquoi rien ne se passe.
Pour pallier cette difficulté, il conviendrait de réorganiser le logiciel en proposant dès l’entrée dans celui-ci, 2 boutons distinguant les 2 types d’activités : la recherche documentaire
le prêt/retour
Ce qui permettrait l’apparition d’un écran entier bien spécifique à l’activité souhaitée.
Un autre sous-critère est le feed-back immédiat qui concerne les réponses de l’ordinateur consécutives aux actions des utilisateurs. Les observations menées ont souligné que ce sous-critère a bien été pris en compte puisque l’ordinateur répond dans les plus brefs délais en renseignant l’utilisateur sur l’action accomplie et sur son résultat.
Pour ce qui est du sous-critère lisibilité. Ce critère a bien été pris en compte puisque les titres, les labels de couleurs sombres sont présentés sur un fond clair ce qui conduit à une bonne lisibilité et permet donc à l’élève d’identifier des lettres ou même des mots. Par contre, pour ce qui est du champ de saisie d’un mot pour effectuer une recherche, il n’y a aucune lisibilité. En fait, les enfants ne l’utilisent JAMAIS car les adultes ne le connaissent pas et donc ne le présentent pas aux enfants. En plus, le curseur n’est pas facilement repérable ce qui peut être gênant car l’enfant n’a pas de feed-back et donc il ne sait que faire.
Un autre critère est celui de la signifiance des codes et dénominations qui renvoie à l’adéquation entre l’objet ou l’information et son référent. Ce critère pose problème pour le prêt car le fait de devoir cliquer sur sa photo pour voir apparaître l’écran des prêts est peu représentatif. L’autre problème, du même registre, qui se pose est celui de l’envoi de la recherche d’un document une fois que le thème a été choisi. En fait, les élèves ont tendance à cliquer sur l’image du thème sélectionné et non sur le « point bleu » pour envoyer la recherche.
À cela vient également s’ajouter le problème de glissement d’images. En fait si l’élève ne maintient pas de façon statique la souris, cela l’empêche de pouvoir réaliser son action.
Un autre constat est qu’un même bouton revêt deux significations différentes :
dans l’écran de prêt : le point bleu = emprunter
dans le classeur de recherche : le point bleu = lancer la recherche
D’un point de vue ergonomique, il n’est pas souhaitable qu’en fonction des écrans présentés les boutons communs changent de signification. C’est-à-dire que les élèves n’ont pas la possibilité d’un écran à l’autre d’utiliser leurs connaissances des actions qui vont être produites par tel ou tel bouton.
Pour finir, un élément présent dans les écrans de recherche et qui devait également apparaître dans les écrans de prêts et de retour est le bouton permettant d’effacer. Si les enfants commettent une erreur en copiant le numéro du document, ils n’ont pas de boutons leur permettant d’effacer, ils doivent utiliser le clavier. Les enfants de maternelle ont encore peu de connaissances sur les fonctions des différentes touches du clavier, ce qui est bien compréhensible à leur âge ! Ne serait - il pas opportun de leur faciliter la tâche en proposant un moyen pour effacer ? En plus cela permettrait de faire un rapprochement encore plus fin entre l’interface maternelle et l’interface élémentaire.
1.5- Conclusion
L’observation d’usages de logiciels en classe est un moyen utile d’obtenir des informations précises sur le potentiel et les difficultés rencontrées par les enfants dans l’appropriation de ce genre d’outil. Pour interpréter correctement ces données, la référence aux théories psychologiques du développement de l’enfant est incontournable, tout comme les travaux des spécialistes d’ergonomie du logiciel. Nous avons essayé de nous inspirer de ces deux sources pour analyser et comprendre les usages du logiciel BCDI 3.
Dans ce logiciel, il n’y a pas d’adaptabilité/de flexibilité de l’interface. En effet, que l’utilisateur ait 3 ans ou 5 ans, qu’il le consulte pour la première fois ou la cinquantième fois, qu’il connaisse ou non les lettres de l’alphabet, le système informatique lui présente toujours les mêmes écrans, les mêmes animations et les mêmes commentaires oraux. Il serait souhaitable, à plus long terme bien sûr, d’envisager que ce logiciel de recherche documentaire ait une possibilité d’adaptation au niveau d’expertise de l’élève.
Les quelques observations menées auprès d’enfants de grande section de maternelle m’ont permis de constater que l’utilisation du logiciel BCDI 3 école ne se limite pas au côté pratique de la gestion de prêt (même si c’est son utilisation la plus courante), mais qu’il possède dans ses fonctions de recherche documentaire un intérêt pédagogique riche. Il est tout de même ressorti de ces observations que très peu de recherches de documents sont menées avec des élèves aussi jeunes (une seule classe sur les quatre observées). Ce qui pourrait s’expliquer par le fait que pour rechercher efficacement une information les élèves doivent avoir été préparés à l’utiliser (ce qui a été le cas de la classe qui s’en sert). Il semblerait donc qu’avec un apprentissage adapté les élèves de grande section de maternelle sont capables de mener à bien des recherches documentaires sur des thèmes pour lesquels une représentation de l’arborescence de recherche est possible.
J’ai pu constater que certaines fonctions du logiciel n’étaient pas connues des personnes chargées d’enseigner aux élèves l’utilisation de BCDI 3. Ici, je parle plus précisément de la recherche à partir d’un mot clé. Cette fonction étant inconnue des personnes avec lesquelles j’ai travaillé, il est impossible qu’elle soit transmise aux élèves. D’où l’importance de la formation des personnes chargées d’enseigner l’utilisation du logiciel aux élèves.
Suite à cette étude, des modifications ont été apportées au logiciel. Les messages sonores ont été révisés pour être mieux adaptés aux jeunes élèves. Dans la mesure du possible, ils ont été raccourcis afin de ne pas entraîner de surcharge en mémoire.
Maintenant, dès son entrée dans le logiciel, l’élève a la possibilité grâce aux deux boutons situés sous sa photo, d’emprunter et de rapporter des documents. Ces boutons sont provisoires car ils ne satisfont pas les personnes travaillant sur la version maternelle et élémentaire du logiciel. Une recherche de boutons beaucoup plus explicites est en cours. Nous vous présentons toutefois ce nouvel écran qui en plus de ce changement en présente également un autre. Étant apparu que la recherche à partir d’un mot n’était pas assez visible, l’interface a été modifiée de façon à faire ressortir cette possibilité de recherche. On trouve maintenant, au même plan, la recherche à partir d’une image et la recherche à partir d’un mot.
2-Quelles nouveautés en ce qui concerne l’interface élémentaire ?
Pourquoi parlons-nous de nouveautés ? En fait, nous avons conduit l’année précédente un travail similaire à celui présenté ci-dessous sur la version antérieure à celle que nous présentons ici. Notre travail précédent portait donc sur la version 2 du logiciel BCDI école et les problèmes et les remarques formulés ont été pris en compte dans la version 3 du logiciel, celle sur laquelle nous avons travaillé cette année.
2.1- Introduction
Aujourd’hui, la documentation des écoles n’est plus seulement constituée de livres et de périodiques, mais de nouveaux supports y occupent une place importante (documents multimédias). De plus en plus d’écoles se connectent à Internet, c’est pourquoi il est nécessaire de préparer les élèves à l’utilisation des nouveaux supports (hypermédias sur supports cédérom ou sur Internet) et à la recherche d’informations. En fait, l’école se doit de préparer l’entrée des élèves dans la société de l’information ; or, grâce à BCDI 3 les enseignants et les personnes chargées de la BCD vont pouvoir le faire. Il faut bien avoir à l’esprit qu’aujourd’hui, le rôle de la personne chargée de la BCD va au-delà de l’apprentissage du maniement des outils (i. e : connaissances procédurales) car cette personne doit apprendre aux élèves à utiliser et exploiter l’information recueillie (i. e : connaissances procédurales). Comme pour l’interface maternelle il convient que les élèves aient été formés à l’utilisation du logiciel et en plus, qu’ils sachent sélectionner et exploiter les documents trouvés. Il est important de souligner que BCDI 3 ne doit pas être vu seulement comme un instrument de recherche mais bien comme un moyen de familiariser les élèves avec « la résolution de problème ». Ce qui signifie que l’élève va devoir être capable de garder en tête l’objectif à atteindre, d’utiliser correctement l’instrument de recherche pour obtenir des références pertinentes, de sélectionner celles qui répondent précisément au but à atteindre, pour finir être capables d’extraire du document lui-même l’information recherchée.
Les élèves avec lesquels nous avons travaillé, entrent dans le deuxième et troisième stade de développement de Kuhlthau (1988), ce sont des enfants âgés de 8 à 13 ans. C’est-à-dire que les élèves seraient capables de maintenir leur attention et leur intérêt de manière beaucoup plus soutenue que les élèves du premier stade (voir partie précédente). Ils sont capables de différencier la fiction de la réalité, ils peuvent se servir de plusieurs types de documents, et surtout ce sont des enfants dont le besoin d’informations est motivé tant par le contexte scolaire que par un plaisir personnel.
2.2- L’évaluation des interfaces élève-machine
Les remarques qui reviennent d’une école à l’autre sont des problèmes d’identification. Dans le peu d’écoles où des observations ont été menées, il apparaît que les élèves ne parviennent pas à retenir la procédure d’identification. Le fait d’appuyer sur la touche F2 pour faire apparaître la liste des élèves n’est pas une action évidente pour les enfants.
2.2.1-Les critères ergonomiques
Trois critères ergonomiques ont été pris en compte pour étayer les observations effectuées. Ces trois critères découpés en sous-critères ont été extraits de ceux mis en place par Bastien et Scapin (1993).
2.2.2-La charge de travail
Le critère « charge de travail » concerne l’ensemble des éléments de l’interface qui jouent un rôle dans la réduction de la charge perceptive des utilisateurs. Plus la charge de travail est élevée et plus grands sont les risques d’erreurs. De même, moins l’utilisateur sera distrait par des informations non pertinentes, plus il pourra effectuer sa tâche efficacement. Par ailleurs, plus les actions requises seront courtes, plus rapides seront les interactions.
La densité informationnelle
Pour l’ensemble des écrans, il apparaît que la densité informationnelle a été considérablement réduite par rapport à la version 2 du logiciel. Le système d’onglets permet d’avoir des écrans qui ne contiennent que des informations utiles pour les élèves. Cette simplification des écrans rend possible une prise en compte exhaustive des informations présentées. Voici un exemple d’écran obtenu par l’élève lorsque sa recherche a abouti :
Les élèves sont capables de trouver les informations dont ils ont besoin comme par exemple le nombre total de fiches trouvées, la cote pour localiser le document dans la bibliothèque...
Le critère « actions minimales »
Il semble que le critère « actions minimales » soit bien respecté. Il s’agit de limiter autant que possible les étapes par lesquelles doivent passer les utilisateurs, car plus les actions nécessaires à l’atteinte d’un but sont nombreuses et compliquées, plus la charge de travail augmente et par conséquent plus les risques d’erreurs sont élevés. Mis à part pour l’identification permettant d’entrer dans le logiciel, les autres fonctions, commandes font appel à des transactions et des procédures assez courtes qui ne demandent pas un niveau d’expérience élevé des utilisateurs.
2.2.3-Le guidage
Le guidage qui indique à l’utilisateur ce qu’il doit faire, ce qu’il peut réaliser, ne semble pas toujours présent dans BCDI 3 ou alors mal adapté. Ces indications permettent à l’utilisateur de gérer son activité et de ne pas se lancer dans des actions dépourvues de sens. Pour cela, il faut que le message délivré aux enfants soit compréhensible et ne comprenne aucune ambiguïté. Par exemple, le message d’identification n’est pas du tout explicite. L’élève, quand il est face à l’écran d’identification, n’est pas capable de savoir ce qu’il doit faire. Il n’a aucune information lui permettant de se rappeler la procédure à mettre en œuvre. Il est vrai que l’élève peut consulter l’aide afin de réaliser une action correcte mais on peut penser qu’une petite information sur la démarche à suivre au sein même de cet écran pourrait diminuer voire résoudre les problèmes d’identification.
Le feedback immédiat
Un constat qui revient d’une école à l’autre, c’est que les enfants sont sensibles au feedback immédiat. Les enfants disent qu’ils peuvent essayer car l’ordinateur va leur dire si c’est bon ou pas. Ces feedback immédiats permettent aux élèves de se limiter dans leurs actions et de ne pas se lancer dans des actions inutiles ou même pouvant entraver la recherche en cours. Voici un exemple de feed-back immédiat :
L’enfant est averti que sa recherche ne va pas aboutir à la consultation de fiches. C’est à l’élève alors de s’interroger sur le problème : est-ce que le mot est correctement écrit ? Ce thème existe-t-il ?
Ces feedback immédiats sont des éléments qui sécurisent l’élève en lui apportant une réponse à l’action mise en place.
2.2.4-L’adaptabilité
L’adaptabilité d’un système concerne sa capacité à réagir selon le contexte et les besoins de l’utilisateur. Plus les façons d’effectuer une même tâche sont diverses, plus les chances que l’utilisateur puisse choisir et maîtriser l’une d’entre elles, au cours de ses apprentissages, sont importantes. Une interface ne peut convenir parfaitement à tous ses utilisateurs potentiels. Pour qu’elle n’ait pas d’effets négatifs sur l’utilisateur, cette interface doit, selon les contextes, s’adapter à l’utilisateur.
Le critère « flexibilité »
Maintenant pour l’identification, nous remarquons que le critère « flexibilité » a été pris en compte puisque des procédures différentes permettent d’accomplir une même tâche. Pourtant, nous verrons dans le point suivant que l’identification pose problème. Nous nous interrogeons donc sur les différentes méthodes proposées à l’élève pour réaliser son identification. Est-on sûr que ces moyens d’adaptation de l’interface aux besoins particuliers d’un utilisateur soient nécessaires chez les élèves du primaire ? Le fait d’avoir deux procédures pour accéder au même résultat n’est-il une source de perturbation pour le jeune élève ? Il est vrai normalement, que plus les façons d’effectuer une même tâche sont diverses, plus les chances que l’utilisateur puisse choisir et maîtriser l’une d’entre elles sont importantes. Ceci permet en quelque sorte d’adapter l’interface à l’utilisateur. Cependant, dans notre cas, il semblerait que l’ensemble des formules proposées ne facilite pas l’identification.
2.2.5-L’identification à l’entrée du logiciel
Cette identification demande à l’élève de mettre en place un ensemble de procédures peu courantes. À ce moment-là, l’enfant doit faire F2 pour faire apparaître la liste des élèves de l’école ou alors taper les trois premières lettres de son nom et faire F2. Puis il doit sélectionner son nom dans la liste qui apparaît et appuyer sur « entrée » ou cliquer sur « OK ». Cette procédure est dans l’ensemble peu connue en intégralité par les élèves. Ils n’ont pas assimilé les différentes étapes à mettre en place. La plupart du temps, le problème est de faire apparaître la liste des élèves (c’est-à-dire penser à appuyer sur F2) et sélectionner son nom dans la liste (c’est-à-dire que les élèves ont tendance à taper les trois premières lettres de leur nom, celui-ci apparaît et ils font « entrée » mais ils n’ont pas sélectionné leur nom dans la liste ce qui conduit à un échec d’identification). Sur l’ensemble des élèves observés, aucun n’a utilisé le double clic pour effectuer son identification.
La procédure qui semble poser le plus de problème pour les élèves observés est celle de l’identification. Ne serait-il pas plus pratique de faire apparaître d’emblée la liste des enfants et de cette façon l’élève n’aurait plus qu’à se retrouver dans la liste et à confirmer ? Le but de ce logiciel est d’être utilisable en autonomie et il semblerait que le plus gros problème observé soit celui de l’identification. Il faut donc absolument repenser la procédure d’identification. La solution de l’apparition d’emblée de la liste serait à tester, il faut bien voir que si c’est le gestionnaire qui veut s’identifier (normalement un adulte), il lui suffira de fermer cette liste et de taper son mot de passe de gestionnaire dans le champ texte.
2.2.6-Les procédures liées au logiciel et les icônes
Pour les élèves, il apparaît que certaines icônes, tels que le bouton pour effacer, le bouton pour élargir la recherche, ne sont pas du tout explicites. Ces actions sont représentées par des symboles peu représentatifs. Les procédures ne sont pas toujours aisées à mettre en place.
2.2.6.1- Le bouton pour effacer la recherche
Il ressort de ces observations que les enfants n’utilisent pas le bouton
pour effacer la recherche , ils effacent avec le bouton « supprime » du clavier. Lors d’observations sur la version antérieure du logiciel, il était apparu que le bouton pour effacer, symbolisé par une flèche, était peu représentatif de l’action « effacer ». C’est pourquoi nous avions préconisé d’utiliser un symbole plus représentatif. Cependant, il semblerait que même avec un bouton « beaucoup plus parlant » (i. e : ici, une gomme), les élèves ne l’utilisent pas. Si on les interroge là-dessus, ils répondent qu’ils ne savent pas qu’il y a ce bouton et qu’ils utilisent le clavier comme lorsqu’ils font du traitement de texte.
2.2.6.2- Le bouton pour élargir la recherche
Il ressort de ces observations que les enfants ne connaissent pas le bouton permettant d’élargir la recherche
et donc ne l’utilisent pas. Ce bouton paraît être secondaire, nous pouvons donc relativiser son faible emploi pour ne pas dire son non emploi. Il convient de présenter à quoi sert exactement ce bouton et à se demander si des élèves de primaire peuvent l’utiliser et ce qu’ils peuvent en tirer. Ce bouton permet de descendre plus en profondeur dans la recherche. Ce bouton, basé sur la hiérarchie du dictionnaire présent dans ce logiciel, permet lorsque l’élève cherche à partir d’un générique d’élargir la recherche aux spécifiques qui lui sont liés (jusqu’à quatre niveaux). Voici un exemple :
Si l’élève réalise une recherche sur les animaux, le logiciel lui propose 197 notices comportant le terme « animaux ». Si maintenant il décide d’élargir sa recherche, le logiciel lui propose 387 notices (ces chiffres viennent de la base de démonstration) (voir l’arborescence du dictionnaire présentée ci-dessous, pour cet exemple).
Structuration du dictionnaire :
Animaux
invertébrés
ou vertébrés
Il faut bien comprendre que l’élargissement de la recherche présente un intérêt si l’élève au départ fournit au logiciel un terme générique. Autre difficulté que peut rencontrer l’élève, ne pouvoir rattacher la fiche trouvée au terme proposé initialement. Prenons un exemple, un enfant qui effectue une recherche sur les mammifères va en lançant la recherche avoir à sa disposition des fiches qui contiennent toutes le terme « mammifère ». Par contre, s’il élargit sa recherche, il va être confronté à des notices traitant des ours, des rats, des singes, des chameaux, des baleines, des grizzlis, des hérissons... Maintenant, reste à savoir si les élèves de primaire ont une bonne représentation, des connaissances sur les catégories appartenant au dictionnaire. Si l’on se base sur les stades de développement cognitif de Kuhlthau (1988), il apparaît que les élèves de primaire appartiennent au deuxième stade (enfants de 8 à 10 ans). À ce stade, les élèves seraient capables d’utiliser une classification et aussi de catégoriser par eux-mêmes.
J’avais pensé dans un premier temps suggérer la suppression de ce bouton mais tout porte à croire que ce bouton n’est pas trop difficile à employer par les élèves à condition qu’il leur ait été présenté.
2.2.6.3- Le bouton pour faire apparaître toutes les notices
Même constat pour le bouton permettant de faire apparaître toutes les notices . C’est un bouton très peu utilisé car les élèves même sans l’utiliser parviennent tout de même à leur objectif. Il permet de faire apparaître à l’écran l’ensemble des notices et de ne pas se contenter de chercher sur les dix premières ce qu’ont tendance à faire les enfants.
2.2.6.4- L’option « je veux »
Les enfants ont quelques difficultés pour faire la distinction entre les différentes options proposées pour la requête « je veux ». Certaines options demandent de prendre en compte le type de documents (i. e : livres, vidéos, périodiques...) mais aussi la nature du document (i. e : fiction, documentaire) et les élèves ont du mal à faire la distinction entre les deux. L’erreur la plus fréquente, ceci, quel que soit l’âge des enfants, est de cocher « des documents » et de ne rien cocher dans les types de documents. Les enfants font bien la différence entre les fictions et les documentaires mais par contre rencontrent des difficultés avec le type de document.
2.3-La démarche de recherche d’informations en tant que telle
2.3.1-Un exemple de démarche de recherche d’informations
Les enfants ont été questionnés sur leur façon de procéder pour effectuer une recherche. Je leur demandais la chose suivante : « Comment dois-je faire si je veux trouver un document sur les animaux de la mer ? » mais pas les poissons. Tous les enfants interrogés ont été capables de trouver les mots clés « animaux » et « mer » mais ne prennent pas en compte le fait de limiter la recherche et donc « d’éliminer » de l’équation de recherche « les poissons ». Cependant certains tapent « animaux de la mer » sur la première ligne alors que d’autres ont très bien compris qu’il fallait taper « animaux » et « mer » sur deux lignes distinctes, soit les deux premières lignes mais aucun n’a pu utiliser le « sauf ». Le problème qui se pose est de savoir si les enfants ne parviennent pas à maintenir l’objectif à atteindre (ce qui expliquerait qu’ils ne font pas entrer dans l’équation de recherche le terme « poisson ») ou si c’est un problème d’utilisation du système booléen. Les élèves sont capables en fonction de ce qui leur est demandé de choisir l’onglet le plus approprié. Ce sont donc des élèves qui dès le début de la recherche se créent un objectif à atteindre et qui emploient des stratégies adaptées pour y parvenir. On peut supposer que les deux hypothèses sont valides. Lors d’une étude menée dans le cadre de ma thèse, j’ai montré que les élèves de CM2 avaient des difficultés à se créer et à maintenir un objectif à atteindre lorsqu’ils réalisent une recherche.
2.3.2- L’importance du système booléen
Suite aux observations réalisées, il semblerait que les élèves aient des problèmes avec le système booléen. Les élèves ont du mal à comprendre la distinction entre le « et » et le « ou ». Pour eux, il ne paraît pas du tout évident de faire une recherche à partir d’un tel système. Les élèves ont tendance à taper sur la même ligne et sous la forme d’une phrase (le plus souvent extraite de la requête formulée par l’enseignant) ce sur quoi va porter la recherche.
Les observations ont montré que l’écran qui s’ouvre par défaut est celui des « Thèmes », c’est-à-dire celui qui contient le système booléen. On peut se demander si dans un premier temps, il ne serait pas plus pertinent de commercer à faire des recherches à partir de l’onglet « Mots clés » Une fois que les élèves sont bien familiarisés avec cette procédure les faire passer sur l’onglet « Thèmes » (qui contient le système booléen). Il paraît évident que les enfants auraient besoin d’une explication sur le fonctionnement de ce système. Il n’est pas envisageable de laisser les enfants utiliser un tel système sans qu’ils aient reçu un enseignement adéquat. Il conviendrait que le système booléen fasse l’objet d’un apprentissage scolaire précoce puisque l’on demande très tôt aux élèves d’utiliser des outils de recherche qui se basent sur un tel système, pourtant les nouvelles instructions officielles ne vont pas dans ce sens puisqu’elles précisent que la maîtrise des booléens n’est pas exigée en primaire (BO n° 1 du 14 février 2002 p. 94).
Je ne discute pas ici de la possibilité de faire ouvrir le logiciel sur l’écran de recherche par auteurs, titres... Je ne remets pas en cause ces écrans mais ils ne présentent pas le même intérêt de recherche.
2.3.3- Deux phases clés dans la démarche de recherche
Deux questions basées sur la recherche d’informations ont été posées aux élèves. Sélection des documents
Dans un premier temps, nous nous sommes intéressés à la démarche de sélection des documents une fois que la recherche a abouti. Certains enfants se basent sur la lecture du titre pour dire si le document est intéressant par rapport à l’objectif à atteindre. D’autres se basent à la fois sur le titre et le type de documents (dans ce cas se trouvent les enfants qui n’utilisent pas les options de « je veux » et qui par conséquent sont obligés de faire un tri des documents). D’autres encore, affirment que tous les documents sont intéressants par rapport à l’objectif fixé puisque l’ordinateur les a trouvés et ils choisissent par rapport à la date du document qui doit être relativement récente. Et pour finir, la majorité lit les résumés qui sont présentés. Ces élèves expliquent que c’est le meilleur moyen pour savoir si le document traite bien du thème sur lequel la recherche a été effectuée. Ils mentionnent que le titre est parfois ambigu ou pas assez explicite ; selon eux, il peut même induire en erreur alors pour en être bien sûr il vaut mieux se référer aux résumés. Choix de mots clés
Dans un second temps, les élèves ont été interrogés quant à leur démarche de choix d’un mot clé plutôt qu’un autre. La plupart du temps, ils reprennent les mots clés fournis dans l’énoncé de la question, de la recherche. Certains sont tout de même capables d’apporter des précisions soit parce qu’ils ne vont s’intéresser qu’à un aspect de l’élément recherché, soit parce que le nombre de documents trouvés est considérable et qu’ils désirent le diminuer en spécifiant un peu plus.
2.4- Conclusion
La recherche documentaire thématique informatisée apparaît être une activité qui ne va pas de soi. Elle suppose de résoudre des problèmes d’ordres différents. D’abord, il faut se servir d’un ordinateur pour interroger correctement le logiciel de recherche. Ensuite, pour obtenir des documents, l’élève peut utiliser des démarches de recherche différentes (par exemple : recherche à partir du système booléen, recherche à partir d’une collection...). Pour finir, une fois les données obtenues, l’élève doit gérer une masse importante d’informations et de documents. L’abondance des documents disponibles oblige l’utilisateur à se montrer rigoureux dans sa démarche documentaire, à formuler précisément sa demande, à déterminer les documents les plus pertinents par rapport à l’objectif fixé et pour finir, à exploiter l’information collectée. L’étape d’analyse des résultats et du tri des documents, si essentielle et si difficile dans la formation des élèves à la recherche documentaire, en sera d’autant plus importante. Elle fait appel à de bonnes capacités de lecture et de prise rapide de l’information par rapport à un objectif précis (ce que l’on peut assimiler à de la recherche d’informations) mais aussi au sens critique.
Une formation des élèves à la recherche documentaire apparaît donc nécessaire afin de les amener progressivement à acquérir de l’autonomie dans leurs activités de recherche (Rouet, 2003). Il faut bien avoir en tête que les apprentissages sont transférables et que ce que les élèves auront appris en utilisant ce logiciel leur sera utile pour rechercher avec un outil de recherche tel que ceux que l’on rencontre sur Internet.
Lorsque l’élève réalise une recherche en bibliothèque, on lui demande non seulement d’être capable d’utiliser l’outil de recherche mais aussi et surtout de maîtriser de l’information. Nous pensons qu’en initiant les élèves à l’utilisation du logiciel BCDI 3, parallèlement ils réalisent un apprentissage d’une démarche de résolution de problèmes d’informations qui nous espérons pourra être généralisée à d’autres situations. Pour Blanquet (2002), les élèves rencontrent des difficultés pour rechercher efficacement des informations et elle préconise que l’utilisation de classifications peut aider les enfants à construire ou simplement consolider leur infrastructure intellectuelle. Elle pense donc que l’enfant arrive à avoir une relative autonomie dans l’accès à l’information mais n’a pas une réelle maîtrise intellectuelle de la recherche. Elle accorde beaucoup d’importance aux classifications qu’elle présente comme étant efficaces sur le plan de la recherche documentaire mais aussi sur le plan de la structuration de la pensée humaine. Ces classifications sont en fait des tables de termes normalisés utilisés pour l’indexation et qui permettent de réduire les risques de bruit et de silence liés à l’ambiguïté du langage naturel. En reprenant un exemple de Blanquet, si une recherche est effectuée sur le calcul, la classification va d’emblée permettre de distinguer, par exemple, le calcul mathématique du calcul médical.
Béatrice Coutelet, Université de Poitiers, Doctorante au Laboratoire langage et Cognition, Maison des Sciences de l’Homme et de la Société, 99, avenue du Recteur Pineau, 86022 Poitiers CEDEX.
Allocataire de recherche CRIFRE, CRDP de Poitou-Charentes, 6 rue Sainte Catherine, 86034 Poitiers CEDEX
Références bibliographiques : Barthe, M. (1995). Ergonomie des logiciels. Une nouvelle approche des méthodologies d’informatisation. Paris : Masson.
Bastien, J.M.C. et Scapin, D.L. (1993). Critères ergonomiques pour l’évaluation d’interfaces utilisateurs. Rapport technique INRIA n° 156, juin 1993, INRIA : Le Chesnay.
Blanquet, B. (2002). Intérêt pédagogique de l’apprentissage des langages documentaires. http://savoirscdi.cndp.fr/culturepr...
Carbonnel, S. (1978). Classes collectives et classes logiques dans la pensée naturelle. Archives de Psychologie, 46, 1-19.
Cordier, F. (1994). Représentation cognitive et Langage : une conquête progressive. Paris : Armand Colin.
Ehrlich, S., Bramaud du Boucheron, G. & Florin, A. (1978). Le développement des connaissances lexicales à l’école primaire. Paris : PUF.
Kuhlthau, C.-C. (1988). Meeting the information needs of children and young adults : basing library media programs developmental states. Journal of youth services in libraries, 2, 51-57.
Rouet, J.-F. (2003). De la lecture à la maîtrise fonctionnelle de l’écrit. Actes des journées de l’Observatoire National de la Lecture « Continuité de l’apprentissage de la lecture : du CM2 au collège » (pp. 73-92) Paris : SCEREN.
Sprenger-Charolles, L. (1992). L’évolution des mécanismes d’identification des mots. In M. Fayol (dir.), Psychologie cognitive de la lecture (pp141-173). Paris : PUF.
Plus qu’au dispositif lui-même, l’OZP s’intéresse cette année aux acteurs des ZEP-REP, à leur identité et leurs pratiques professionnelles : coordonnateurs - fonction qui n’a pas d’équivalent dans le reste du système éducatif -, responsables de ZEP - personnages clés du dispositif -, enseignants et personnels de vie scolaire, dont le rôle, essentiel, laisse moins apparaître une spécificité en ZEP.
Toutes les fonctions et métiers de l’éducation ne deviennent pas spécifiques lorsqu’ils sont exercés en ZEP. Cependant, que nous travaillions en ZEP par force ou par conviction, que nous soyons acteurs débutants ou chevronnés et quelles que soient les difficultés, les lourdeurs administratives, les blocages ou les tentations du scepticisme ou de la lassitude, nous sentons tous le poids d’une responsabilité beaucoup plus lourde qu’ailleurs, car nous savons que nos échecs éventuels ou ceux du système ne pourront pas être compensés par l’apport d’un entourage familial et social favorisé.
Cette responsabilité peut être aussi un aiguillon. Où et comment, chacun à notre place, du responsable à l’acteur de terrain, allons-nous trouver, inventer et imposer les moyens d’analyser et d’améliorer sans cesse nos pratiques individuelles et collectives, de développer cette exigence de qualité et d’efficacité ? [4]
Travailler en ZEP, une marque de professionnalisme !
L’objectif de ces journées est, à travers des témoignages et des échanges entre acteurs de terrain, d’identifier, pour chacune des grandes fonctions, ces pratiques professionnelles, encore minoritaires, pas toujours reconnues et valorisées mais que nous nous efforçons de développer.
9 h 15 - Séance plénière
Travailler en ZEP, par Jacky Beillerot
Éléments de thématique : tour d’horizon sur la situation professionnelle actuelle des acteurs de ZEP et réflexion prospective sur les conditions d’un exercice plus efficace des différents « métiers » (par rapport au « hors-ZEP ») : conditions d’exercice, statut, contraintes, identité professionnelle, exigences particulières, formation, profil, etc. On évitera les aspects purement pédagogiques (pratiques pédagogiques et attitudes relationnelles dans la classe) qui seront traités l’après-midi.
11 h 15 - Ateliers d’échanges
Les facteurs qui freinent ou favorisent notre action. Comment améliorer notre pratique et notre environnement professionnels ?
Quatre ateliers répartis selon les quatre grandes fonctions :
14 heures (ou 13 h 30) à 15 h 30 - Ateliers thématiques
15 h 45 à 16 h 45 - Plénière
Tout ce que nous devons éviter pour que nos élèves apprennent vraiment, par Denis Butlen (IUFM de Créteil)
Entrée libre mais inscription utile pour l’organisation de la Journée, auprès du secrétariat de l’OZP, 20 rue Henri-Barbusse, 92230 Gennevilliers.
Tél. 01 47 33 17 93 ou par courriel : ozp.ass@wanadoo.fr
http://www.association-ozp.net/
Dans notre Université, Lille 2, nous proposons l’accompagnement par le module gestion d’un projet collectif en début de cursus.
Chaque groupe, après un cours théorique en méthodologie de projet, est obligatoirement encadré par un tuteur. Chaque étudiant peut aussi avoir recours, mais de façon facultative, à un accompagnateur. Le tuteur met l’accent sur l’expérience comme vecteur d’acquisitions et sur les contraintes méthodologiques, l’accompagnateur quant à lui écoute la personne, la dynamique identitaire et la construction du sens. Il n’est pas le superviseur du tutorat. Les entretiens menés avec l’accompagnateur sont confidentiels. Le tuteur qui évalue et note n’en a pas connaissance. Face au tuteur, il s’agit pour l’étudiant de valider une note, de réussir. Avec l’accompagnateur, il s’agit de « revenir à soi ».
Élaborer sa biographie
Le dispositif d’accompagnement permet d’engager l’étudiant dans un processus de réflexion sur lui-même et sur son expérience. L’accompagnateur est là pour penser en dehors du cadre de la notation. Il s’agit d’interroger les frontières entre les projets collectif, professionnel et de vie, et de mettre du lien, s’il en est, entre passé et futur, entre soi et l’autre, entre le désir et l’acte, entre le projet et le sens. L’entretien peut mettre en condition de distanciation, de réflexion, il est notre outil pour comprendre ce qui se passe au niveau individuel. La recherche identitaire par l’élaboration de sa biographie, peut aider le jeune à apprendre à se connaître et à se faire confiance. La principale difficulté réside dans cette compréhension de soi pour notre jeune public plus orienté vers des faits concrets que vers la psychologie. Notre démarche a été de proposer un entretien aux membres de deux projets non reproductifs [5] . La méthode consiste à recourir aux entretiens croisés en écoutant des protagonistes d’un même projet. L’analyse se base sur cet entretien, sur le comparatif avec le rapport écrit, noté, rendu un mois après, et sur la lecture de reportings.
L’enjeu des entretiens
Ce dispositif n’est pas simplement une écoute rogérienne, empathique, mais une approche transactionnelle qui met en relation la personne, le contexte, le temps, l’environnement. L’accompagnateur doit prendre des précautions et se demander par exemple pourquoi tel énoncé retient son attention et à partir de quelle projection inconsciente. Le risque est d’aller « chercher chez le semblable la confirmation de sa propre conviction. C’est le piège majeur de l’usage du récit de vie dans le champ de la recherche » [6] , et ne pas se tenir dans une position jouissive de contrôle. L’accompagnateur doit avoir des capacités d’écoute et bien connaître son propre fonctionnement. Le choix d’accompagner ne peut lui être imposé. Pour comprendre les transferts, certains dispositifs requièrent des accompagnateurs en analyse ou bien d’avoir une démarche de développement personnel.
L’entretien est annoncé pour faire le point sur ce qu’on a appris sur soi, son fonctionnement en groupe, le lien entre le projet professionnel et le projet collectif. L’étudiant peut simplement faire « son métier d’étudiant », pour reprendre l’expression de Bautier et Rochex (rapport instrumental au cours pour la note, le diplôme, conformité aux consignes, etc.) ou articuler réellement ses expériences de vie avec son projet professionnel et ses apprentissages pour construire son identité. L’entretien ne fait pas l’objet d’un contrat signé ni d’un enregistrement ; il a un caractère partiel : sur une durée très circonscrite, hors de l’espace du groupe. Il a lieu dans le dernier mois du projet collectif au moment de la rédaction du bilan qui coïncide avec la recherche d’un stage, ce qui met en perspective le rapport entre identité, projet collectif et projet professionnel.
Que font-ils de leur projet ?
Le dispositif étant posé, quels sont les discours entendus et quelle analyse en faire ?
D’après ces entretiens nous distinguons des logiques d’instrumentalisation, des logiques d’appropriation et des phénomènes identitaires qui s’articulent et s’opposent. Nous avons relevé globalement deux discours : le premier est lié aux résultats (évaluables, quantifiables, valorisants) et témoignant de projets réussis au sein de l’institution en occultant les échecs ; le second est lié au vécu (l’expérience, les rencontres).
Après analyse des entretiens, le projet peut relever de trois types d’instrumentalisation.
Une instrumentalisation stratégique au niveau des savoirs pratiques et des méthodes : il y a découverte d’un métier et d’un rôle a y tenir.
C’est le cas de Virginia dont le projet lui a permis de mener des tâches liées à une compétence précise : la conception des supports de communication (dessin, affiches, flyers, relation presse). Elle n’a d’ailleurs pris rendez-vous avec l’accompagnateur qu’après un temps d’enquête et après avoir consulté des plaquettes d’écoles de communication et visité une agence.
Une instrumentalisation au niveau des savoirs relationnels, qui supposent une confiance en soi pour démarcher, convaincre un partenaire. Le comportement « d’autonomie interactionnelle », selon l’expression de Zarifian, concerne la capacité d’ouverture, de recherche d’informations et également la connaissance de sa manière d’interagir, de son comportement : collaborer, expliquer...
Une instrumentalisation au service d’une recherche de bénéfices narcissiques ou de satisfaction de besoin de reconnaissance. Dans le cas de Virginia (voir ci-dessous), cela prend la forme d’un article de presse où elle apparaît seule sur la photo. Le projet lui a permis de faire reconnaître sa personne.
Ces trois processus ont l’avantage de se mesurer par une preuve visible : je suis crédible en tant que dessinatrice, j’ai décroché un partenaire, je suis dans le journal. L’étudiant accède à une visibilité, une individuation.
Enjeux identitaires
L’entretien peut révéler les problèmes personnels loin des discours lissés des soutenances collectives, et parfois permet de lier le projet à l’enjeu identitaire. Il aide aussi à faire le deuil du projet et du groupe pour revenir à soi. Derrière la réussite, les résultats quantifiables, les étudiants nous parlent de la confiance en soi et en l’autre.
Virginia en est l’illustration : elle travaille à faire reconnaître un projet qui n’avait pas convaincu sa classe l’an dernier. Elle évoque sa relation distanciée aux groupes. Elle a fonctionné seule, parfois en binôme. Elle souligne que dans la classe elle n’adhère à aucun groupe. Elle est bien dans une position paradoxale de tension entre le poids du jugement des autres sur sa crédibilité, sur son rôle et le déni de sa personne. À plusieurs reprises, elle présente une image négative d’elle-même évoquant sa « tare », son « handicap » d’être peu « synthétique ». Sont récurrentes chez elle les expressions relatives à l’image de soi renvoyée par autrui : « ceux qui ont cru en nous, si personne ne croit en nous, notre projet ne marche pas », « on n’a jamais cru en moi », voire une dépréciation : « mes idées sont mauvaises ». Le handicap en question est en réalité, après vérification, non pas une difficulté à synthétiser, mais une orthographe non maîtrisée, ce qui explique peut-être aussi son choix du dessin plutôt que de l’écrit.
Autre cas : Andrée renoue avec son père, après sa confrontation avec le milieu des enfants délaissés. Sa principale fierté c’est de s’être prouvé qu’elle était capable de parler en public et d’être écoutée. Cela lui a donné confiance en elle. Le discours improvisé lors de la remise d’un prix a été l’élément déclencheur de cette confiance en soi. Le projet portant sur l’enfance abandonnée, le rapport à la famille apparaît. Ainsi Andrée, en rébellion contre son père, nous parle de l’apprentissage du tennis, de l’aide qu’il a voulu lui apporter au sein du club pour la faire progresser jusqu’à devenir monitrice. C’est à travers ce sport que le lien aux enfants et au père s’est noué.
Le projet peut aussi être le lieu d’une affirmation de soi, dans le jeu. L’étudiante Eva est souriante, elle évoque le plaisir, les échanges avec les partenaires et la convivialité du projet. Sa démarche a été de faire en sorte que les choses soient claires. Elle dit avoir besoin de concret, de contrat, de rigueur. Elle a glissé d’une fonction à l’autre au gré des nécessités, des lacunes ou des envies. Elle a pris l’initiative des dates, des rendez-vous, elle a donné son avis. Elle aurait été « irritée s’il y avait eu quelqu’un qui voulait diriger, quelqu’un de borné et qui voulait tout faire ».
L’accompagnement perçu par l’étudiant ? « Cette étape a été importante car elle a permis à une personne plus éloignée du projet de m’aider à faire mon bilan ». (Extrait d’un rapport écrit)
Isabelle Gillet et Sylvie Scoyez, ESA, Université Lille 2.
Ressources bibliographiques Dauberville, Foulard, Vivre ses projets, ESF éditeur, 2002.
Dubar, La crise des identités, l’interprétation d’une mutation, le lien social, PUF, 2000.
Gillet, Scoyez, Vivre, accompagner son projet, Chronique Sociale, 2002.
Lacourcelle, « Les entreprises recrutent au berceau », Entreprise et carrière, n°668/669, 2003.
Meirieu, « Projet professionnel de l’étudiant : les nouvelles donnes », ONISEP, Références, 2002.
Mérini, « L’accompagnement : un nouveau geste professionnel à introduire en université ? », colloque Lyon 1, 2002.
Pineau, Accompagnements et histoire de vie, L’harmattan, 1998.
Prodhomme, « Accompagnement de projet professionnel et bilan de compétences », Éducation permanente n° 153,2002.
« Savoir, c’est pouvoir transférer ? », Cahiers pédagogiques n° 408, novembre 2002.
Depuis la loi de 1989, l’élève est placé « au centre du système éducatif ». Il a donc des droits qu’il revendique. Il compte bien jouir de cette place. Mais ce système, est-il fait avec lui ? L’élève est-il réellement devenu un partenaire reconnu et incontournable ?
le 21 février 2004
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