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Récemment, le Conseil constitutionnel a rejeté la ratification par la France de la Charte européenne pour les langues régionales proposée par le gouvernement. Le président de la République en a pris acte et n’envisage pas de modifier la Constitution, à la grande joie de ceux qu’on appelle les " souverainistes ", coalition hétéroclite qui va de Pasqua-De Villiers à Chevènement (un de ses lieutenants, Georges Sarre commençait à mettre en uvre une campagne virulente contre la ratification).
Dans cette affaire, l’enseignement est concerné, c’est pourquoi il nous a semblé utile de réouvrir un débat déjà présent dans les Cahiers qui ont publié un dossier spécial sur le sujet en janvier 1981 " Parler son pays à l’école ".
Un tel débat va plus loin que le simple développement de la diffusion des langues régionales dans l’hexagone, il touche à des questions essentielles aujourd’hui (hétérogénéité de la société française, place accordée aux différences, conception de la nation). Notre revue accueillera volontiers d’autres points de vue que ceux exprimés dans les deux textes qui suivent, lesquels sont d’abord des réactions " à fleur de peau " d’amoureux d’une langue (ici le créole et l’occitan) qui se sont sentis blessés par une décision jugée brutale et rétrograde.
À suivre
le 10 novembre 1999La rentrée scolaire est un bon moment pour publier des livres sur l’école. Aussi avons-nous vu des éditeurs sortir plusieurs publications sur le sujet. Le Monde a rendu compte, sous forme d’entretiens croisés, de deux d’entre eux [1] sous le titre pompeux : " Rentrée : le débat sur la démocratisation de l’enseignement ". Encadré en milieu de page cette citation : " Nous sommes d’accord pour dire que le retour à " l’école de papa " n’est pas possible. Mais la fuite en avant, c’est-à-dire encore plus de pédagogie, non plus ". Diable, serait-ce là le point d’accord entre les protagonistes ?
Pédagogie théorique ?
À ma droite deux universitaires, philosophes.
Nos compères dénoncent l’introduction massive de " la pédagogie théorique ". Je dois avouer n’avoir jamais rencontré de " pédagogie théorique ". Il m’avait semblé jusqu’à présent qu’il s’agit plutôt d’un ensemble de pratiques qui puisent éventuellement leurs références dans des savoirs théoriques. Tous les enseignants le savent, du matin au soir, ils bricolent, ajustent.
Tout le mal viendrait de la différenciation dont nous apprenons qu’elle est la doctrine officielle des IUFM. Tiens donc ? Est-il possible d’ignorer superbement (ou de feindre d’ignorer) que s’il existe de la variété en matière de références c’est bien dans les IUFM ? Des personnes malveillantes pourraient même dire qu’il y existe une extraordinaire cacophonie, puissamment orchestrée par les corporatismes qui y sont représentés et par les intérêts divergents des partenaires de la validation finale, à travers la diversité des cultures des formateurs et les dispositifs variés de formation. J’ai même entendu soupirer quelques stagiaires (de mauvais esprits sûrement) après un peu de convergence dans les messages pédagogiques dont ils sont les destinataires...
Mérite
Il faut réhabiliter la notion de mérite. Comme çà, sans rire, nos deux philosophes balaient un siècle de savoirs théoriques : nous savons que l’apprentissage n’est (hélas) pas affaire de morale ; qu’on peut être vertueux et parfaitement ignorant ; qu’on peut être intelligent, méritant et cependant échouer à l’école ; que les pratiques culturelles familiales ne sont pas étrangères à la réussite scolaire et au développement de certaines formes d’intelligence, même si les mécanismes en jeu peuvent s’interpréter différemment [2].
" Les enseignants que l’on forme dans les IUFM n’apprennent plus les savoir-faire élémentaires ". Quels sont les savoir-faire élémentaires en question ? Ne serait-ce pas par hasard ce que des esprits vulgaires appellent " pédagogie " ?
Tout ceci ne serait qu’une farce si les deux contradicteurs étaient convaincants (connaissant leur action au sein de l’éducation, je le souhaitais très fort).
Modernité
À ma gauche un historien, ancien recteur, et à ma droite un polytechnicien, ancien directeur au ministère de l’Éducation nationale.
Évoquent-ils l’hétérogénéité des élèves (qui soit dit en passant est un pléonasme : peut-il y avoir dans les apprentissages deux personnes exactement semblables alors que dans tous les autres domaines, le caractère unique de chaque personne est communément admis) qu’aussitôt ils bottent en touche. La réponse serait dans l’autonomie des établissements et la possibilité pour leurs chefs d’utiliser plus librement les moyens !
Les finalités qu’ils assignent à l’école relèvent du grand écart : " transmettre un patrimoine, se plaçant ainsi positivement dans une approche conservatrice et prendre en compte la modernité ". Quel beau sujet de bac on pourrait faire à partir de cette question : " Qu’est-ce que la modernité ? ".
Je ne relèverai pas la perfidie qui consiste à affirmer que les universitaires ne se sont jamais préoccupés de ce que pourrait être un enseignement de masse au lycée (écoute-t-on ceux qui s’y intéressent ? Les choix politiques n’obéissent-ils pas à d’autres raisons ?), pour attirer l’attention du lecteur sur l’invocation de " la didactique des disciplines ". Car voilà un refrain connu : l’une, la didactique, serait porteuse de sérieux et pour tout dire de scientificité, l’autre, la pédagogie, serait " vide ", " aux contours flous " [3]. Si les découpages des domaines universitaires conduisent à distinguer la pédagogie et les didactiques (car il en a autant que de domaines d’enseignement), les opposer n’a aucun sens car il n’existe pas de pédagogie sans didactique, ni de didactique sans pédagogie.
J’ai le regret de dire que l’on se moque
Les stagiaires avec lesquels les formateurs travaillent depuis la création des MAFPEN et des IUFM posent des problèmes qui sont en général formulés de façon très pratique (ils les appellent souvent " concrets ") : " J’aimerais que mes élèves apprennent plus efficacement leurs leçons ", " J’ai un problème avec cette classe ", " Je ne sais pas comment faire avec cet élève ", " Comment évaluer correctement l’oral ? " etc.
À ces problèmes pratiques, ils entendent que soient apportées des réponses pratiques : " Si je veux aider mes élèves à apprendre leurs leçons, je peux ", " Lorsque X commence à être impertinent, je peux essayer de ", " Je vais passer une sorte de contrat avec cette classe ", " Évaluer l’oral suppose une organisation particulière de la classe " Pour mener à bien des actions pertinentes, il vaut mieux, bien sûr, s’appuyer sur des savoirs, connaître par exemple comment fonctionne la mémoire, tenir compte de ce qu’on sait sur la coopération intellectuelle entre enfants.
Nos philosophes feignent d’oublier que " la pédagogie différenciée " n’est pas sortie tout armée du cerveau enfiévré d’un théoricien, qu’elle résulte de la mise en forme de tâtonnements empiriques et de la prise en considération (j’allais dire au sérieux) de savoirs produits par l’université justement.
Il n’y a pas de " savoir-faire " élémentaires dans les métiers de l’enseignement et de l’éducation. Il n’en existe que de complexes.
L’âge d’or de la réussite au mérite n’a jamais existé, pas plus que la " modernité " d’ailleurs, qui est relative et sans cesse dépassée [4].
Sauf à nier la réalité, les praticiens n’ont pas d’autres moyens de survivre que de changer leur façon d’enseigner, simplement parce que le monde autour d’eux change. Évoluer n’est déjà pas si simple, ne pourrait-on cesser de jeter de l’huile sur le feu ?
Comment dites-vous ? " Ils sont devenus fous " ?
Françoise Clerc
le 10 novembre 1999Entre le syndrome du prof de philo et le syndrome du sociologue, notre vie n’est pas facile.
Je découvre un bel exemple du premier syndrome dans un ouvrage récent, Que vive l’école républicaine ! d’un prof de philo, Ch. Coutel. C’est le discours habituel, inlassablement ressassé : tout fout le camp, c’est la faute de Meirieu et de ceux qui ont par pure perversité changé l’école en " lieu de vie ", les profs en animateurs, et qui ont bradé les savoirs ou même renoncé à les transmettre. On a lu déjà cela vingt fois, souvent mieux formulé et plus finement pensé, sous la plume d’autres profs de philo. Mais la permanence de ce discours a de quoi intriguer.
Je n’ai rien contre les profs de philo. J’en ai eu d’excellents, j’en connais que j’aime bien, et que j’estime. Mais...
Un prof de math ou de français enseigne à différents niveaux ; s’il a la chance de travailler sur les deux cycles, il peut retrouver ses élèves à différents âges ; il sait d’où ils sont partis, il peut mieux juger de leurs progrès et de leurs difficultés.
Le prof de philo (comme le prof d’IUT ou du premier cycle de fac) reçoit le produit fini, l’élève en fin de scolarité. Il lui propose, en gros, le même contenu qu’il y a vingt ans. Et cela se passe beaucoup moins bien qu’il y a vingt ans. Le collègue est effaré parce qu’ont produit (ou plutôt : n’ont pas produit) douze, treize ou quatorze ans de scolarité. La philo devrait être le couronnement des connaissances, et elle ne mord plus sur des élèves qui sont parvenus en terminale sans aptitude à théoriser, et qui sont même, parfois, rétifs devant la réflexion critique. Ledit collègue (bien des ouvrages de philosophes l’avouent ingénument) n’a pas toujours rompu avec le fantasme de la transmission singulière de maître à disciple, sur les bords de l’Illissos ou sous les portiques. Effectivement, en cette fin de siècle, il est loin du compte.
On a sous les yeux deux données incontestables : 1. Arrivent en fin d’étude des élèves en sérieuse difficulté.
2. Les méthodes et les contenus du primaire et du secondaire ont changé et continuent à changer.
Les meilleurs philosophes pensent, judicieusement, que le second fait est une réponse (une tentative de réponse) au premier : on essaie d’adapter l’école à de nouveaux publics. Les moins bons philosophes, ceux qui font des livres, pensent que le second est la cause du premier : l’école est malade de prendre des remèdes, c’est tout simple.
Cette explication est rassurante : il suffirait de rétablir l’école des années cinquante. Elle est reposante : elle dispense de savoir comment cela se passe pour de bon en primaire, au collège, en seconde (l’ignorance de nos déplorateurs est compacte et résolue). Elle flatte la nostalgie du temps des blouses, bleues, roses ou noires et le pessimisme naturel aux gens qui prennent de l’âge. Mais elle est fausse.
J’aimerais autant que cette pensée bloquée n’invoque pas les immortels principes. J’en tiens autant qu’eux pour la République, la une et indivisible, laïque et obligatoire, et même je l’aime, la République. Et je suis scandalisé qu’on essaie de la compromettre dans des jérémiades conservatrices et paresseusement sous-informées.
Je passe plus vite sur l’autre syndrome, très tendance, celui du sociologue. Ces gens-là font profession d’analyser des différences, ils ont donc propension à les absolutiser. Ils travaillent avec des instruments venus du différencialisme anglo-saxon, et ils en reprennent l’idéologie implicite. Ils voient les élèves dans leur quartier, leur famille : ce qu’ils sont typiques, ces ados ! Et leurs parents, donc ! Quelle différence avec le monde de l’école !
Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que l’école propose la chance d’un autre code, d’un autre regard. Tu viens de tel milieu, tu es né de tels parents. Bon. Mais toi, toi, qu’est-ce que tu vas être ? À chacun, l’école offre la chance d’être traité (abstraitement, oui et quelle chance !) comme un individu. Tu échappes à la logique de ta lignée, de ton quartier. À toi, fille ou garçon, de te découvrir et de t’inventer, aidé par l’esprit de libre examen et les règles du raisonnement droit, face aux savoirs, aux richesses des cultures, en compagnie de garçons et de filles d’autres origines. Voici de nouveaux langages et de nouvelles connaissances à toi d’inventer ta vie selon tes pouvoirs et tes désirs.
J’aimerais dire : philosophes, réveillez-vous, ne nous laissez pas seuls avec les sociologues. Nous avons besoin de nouvelles utopies, de nouvelles perspectives. Nous avons besoin que vous critiquiez notre travail et nos projets, mais en connaissance de cause, ça nous changera. Sociologues, on vous aime bien, vous savez des choses qui nous sont utiles. Mais, décrivez mieux et prescrivez moins. Les oracles du politique ont été les romanciers (Malraux, Sartre, Camus) puis les chanteurs (Montand, Balavoine), et maintenant les sociologues. Bof !
C’est pourtant le boulot des philosophes, la question des valeurs et les moyens de la poser librement et rationnellement. Mais qu’ils se réveillent, bon sang !
Philippe Lecarme, professeur honoraire de lettres.
le 10 novembre 1999Dans le numéro des Cahiers pédagogiques consacré à l’école allemande, on pouvait lire une invitation à "ouvrir yeux, oreilles et disponibilité à la logique d’autres cultures, systèmes, individus afin de prendre conscience de ses propres implicites ".
De la dialectique qui surgit de la confrontation entre l’alter et l’ego naît effectivement une meilleure connaissance de soi grâce à la découverte de l’autre. Mais l’éducation comparée ne peut se confondre avec cette seule démarche
Vertus de la comparaison
L’éducation comparée nous permet d’abord d’aller à la rencontre de l’autre, pour lui-même, afin de satisfaire notre curiosité intellectuelle mais aussi de mieux comprendre la cohérence des autres systèmes éducatifs, la logique des choix qui se font pour améliorer telle ou telle situation, remédier à tel ou tel problème. Pour saisir cette cohérence et cette logique, il est nécessaire d’approcher les questions éducatives dans leur globalité, au sein de systèmes éducatifs marqués par une histoire et une géographie.
La méthode comparative est, disait Durkheim, un substitut à la démarche expérimentale proprement dite. Elle permet de travailler sur des phénomènes qui ne peuvent être soumis à l’expérimentation à cause de leur échelle ou pour des raisons déontologiques. La méthode comparative, parce qu’elle est analogique, est aux sciences de l’éducation ce que la méthode expérimentale est aux sciences exactes.
Mais on ne peut pas comparer n’importe comment et il est vain de comparer pour comparer. La rigueur s’impose si on veut que la démarche comparative soit un outil fiable. Ainsi convient-il de présenter les faits dans leur complexité, dans le cadre d’une démarche systémique.
On peut tout au plus dégager des éléments de comparaison, des tendances, en évitant les lois universelles, les spéculations intellectuelles, les transferts hâtifs.
L’objectif reste avant tout de se décentrer, de mettre à distance ce que nous avons tendance à considérer comme familier, habituel et donc normal.
L’éducation comparée est porteuse de potentialités multiples en ce qu’elle prend en considération des logiques plurielles, des normes différentes. Elle est un formidable outil d’investigation de la réalité éducative. Elle suppose, dans son essence même, la mise à distance dans le temps (historique : l’éducation comparée est aussi diachronique) ou dans l’espace, de ses objets d’étude. La connaissance et l’étude des solutions apportées à des problèmes éducatifs dans d’autres contextes fonctionnent souvent comme forces de propositions pour remédier à nos problèmes.
C’est en ce sens que l’éducation comparée représente une discipline vers laquelle chercheurs et décideurs ont intérêt à se tourner pour porter ce regard neuf, parce que décentré, par rapport à leur réali, pour s’inspirer des réalisations déjà expérimentées dans d’autres lieux, les adapter et pourquoi pas, les améliorer. C’est ce que font actuellement de nombreux chercheurs à l’étranger et en France. On ne peut que regretter que les décideurs et responsables éducatifs ne tiennent pas suffisamment compte des résultats de ces recherches.
L’éducation comparée est amenée à se développer pour de multiples raisons : poids des systèmes éducatifs dans les différents pays et recherche de leur efficience maximale, internationalisation des métiers et développement de la mobilité professionnelle, développement des voyages et des échanges scolaires, universitaires, professionnels Il serait urgent dès lors qu’elle soit pratiquée par les enseignants et qu’elle devienne une discipline obligatoire dans les cursus de formation des étudiants des IUFM et des départements de sciences de l’éducation, de sociologie, de langues étrangères, qu’elle fasse aussi partie de la formation initiale et continue des chefs d’établissement et des inspecteurs
Les axes de ce dossier
À partir de cette problématique d’ensemble, nous avons décidé d’orienter ce dossier en nous centrant sur quelques questions, pour lesquelles une approche comparatiste peut être particulièrement fructueuse : Comment la formation des enseignants de langue est-elle conçue et mise en uvre dans plusieurs pays ?
En quoi les échanges scolaires et universitaires sont-ils porteurs d’enjeux forts ? Et en quoi peuvent-ils produire d’éventuelles dérives ? En quoi nous permettent-ils de mieux appréhender d’autres cultures ?
Comment les disciplines peuvent-elles s’enrichir d’une réflexion sur les didactiques, voire les épistémologies comparées de celles-ci ?
De nombreux pays font des propositions différentes en direction des élèves en difficulté. Ne serait-il pas utile de les connaître mieux ?
On retrouvera ces questions dans les différentes parties d’un dossier qui comprend de fort nombreuses contributions, venant des cinq continents, et qu’il a fallu limiter pour des raisons de place.
Pour la coordonnatrice de ce dossier comme pour l’équipe des Cahiers, il est clair que l’éducation comparée ne doit pas être réservée à quelques initiés, mais au contraire appartient à tous : élèves et étudiants qui effectuent des séjours, des stages, des études à l’étranger, praticiens, professeurs des écoles, des collèges, des lycées, chefs d’établissement qui mettent en place des appariements scolaires, et plus généralement tous ceux qui travaillent sur l’interculturalité et sur l’altérité. Elle appartient aux parents qui veulent comprendre la logique et la cohérence du système éducatif qui accueille leurs enfants et qui y réussiront mieux en se référant à d’autres systèmes éducatifs. Elle appartient aussi aux responsables et décideurs divers qui l’utilisent à des fins économiques, sociales et politiques. Puisse le lecteur s’en rendre compte à travers les pages qui suivent...
Dominique Groux, IUFM de Versailles.
le 10 novembre 1999Parallèlement à la position " officielle " de notre mouvement exprimée dans la rubrique Paroles du CRAP, une analyse proposée par la responsable de cette rubrique, afin de resituer l’actualité dans le long terme. Comme le précédent, ce texte nous fait mesurer l’ampleur de nos tâches pour faire passer les intentions dans une réalité qui ne soit pas décevante...
le 10 septembre 1999Longtemps professeur de physique-chimie en collège, je fus appelé il y a quelques années à aller exercer mon magistère en lycée, à cause d’une énième réforme qui supprimait cet enseignement aux élèves de 6e et 5e. Peu s’en offusquèrent. Mais maintenant qu’il y a prescription, je peux dire que l’argument officiel avancé alors n’était pas tout à fait faux : les concepts travaillés étaient trop compliqués pour des élèves de 6e et 5e. Ne fallait-il pas, par exemple, leur faire comprendre que la masse et le volume d’un objet ce n’est pas la même chose ? Puis, comme si cela ne suffisait pas, on introduisait, prudemment il est vrai, la notion de masse volumique et de densité ! Si vous ne percevez pas bien où résident les difficultés conceptuelles, demandez à Claude Allègre de vous proposer " une expérience de pensée " à l’aide de boules de pétanque. Tonton Georges Charpak n’était pas encore nobélisé et ne militait pas pour un enseignement scientifique dès le plus jeune âge. Il n’avait pas édité ses principes de " Hands on ", expérimentés dans les écoles des milieux défavorisés de Chicago, à l’initiative de son copain Ledermann, et ceci avec un remarquable succès. Y compris commercial d’ailleurs, merci pour eux.
Un premier sujet d’étonnement à mon arrivée au lycée, fut la sollicitude avec laquelle on accueillait les " nouveaux " profs : la première personne avec laquelle je fis connaissance fut un collègue arrivant comme moi de collège. Nous nous repérâmes le jour de la pré-rentrée. Nous attendions sous le préau l’ouverture des portes de la salle polyvalente pour le discours inaugural du proviseur. Les anciens bavardaient en groupes, nous étions les deux seuls à errer comme des âmes en peine. Les autres, je ne les rencontrerai et ne leur parlerai, pour certains, qu’aux conseils de classe de fin de trimestre. Bref, les nouveaux n’avaient qu’à s’intégrer et se fondre dans l’institution. Bienvenue aux enseignants anonymes !
Dans ce qui était désormais mon secteur, je découvris que les salles de cours étaient disposées en gradins. Ce que je trouvais, en somme, aussi étonnant qu’incommode. Dans un tel espace, le prof se voit presque obligé de faire du " magistral ", en se réfugiant sur la pointe de cette pyramide couchée. Les élèves, eux, se croient au spectacle. Pour les contrôles, ne pas sombrer dans le syndrome shadock relève pour eux d’une rigueur morale en acier trempé, puisqu’ils ont une vue plongeante sur la copie du camarade assis juste devant. Cela apparemment ne gênait que moi. Mes collègues disaient que les gradins focalisaient l’attention des élèves. Et ceux-ci avaient bien intégré le principe : en cours on écoute et on prend des notes, le travail, le vrai, c’est pour la maison ! Ça fait partie du métier d’élève, ça s’apprend sur le tas. Comme pour la marche ou le vélo, on se débrouille tout seul.
Je fus surpris aussi par mes élèves étonnés voire furieux que je suive le manuel ! (Si on leur demandait d’en avoir un, fallait bien le rentabiliser, non ?) Stéphanie, une de mes élèves, m’avait d’ailleurs dit au cours d’un bilan trimestriel, qu’elle aimerait bien que je fasse un " vrai cours pour qu’au moins ils viennent en classe pour quelque chose. "
Et pour travailler en groupe - j’ai essayé - il fallait répondre comme on pouvait aux protestations de ceux qui n’avaient pas assez de place ou qui redoutaient de tomber dans le vide parce que leur table était au bord d’un escalier...
Mais ce qui m’étonne encore c’est qu’avec l’esprit facétieux qui est le leur, ainsi que leur culture footballistique, les élèves n’aient jamais gratifié une de mes prestations d’une superbe Ola.
Finalement les élèves sont des ingrats !
Jean-Claude Paul, professeur de physique, Nancy.
le 10 septembre 1999
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