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Les auteurs enseignent en ZEP et connaissent bien leur sujet. Imaginez qu’un beau matin on découvre le cadavre d’un principal d’un collège de banlieue particulièrement « gratiné » au nom de... Claude-François, et nous voilà lancés dans une sorte de polar pédagogico-sociologique où « chacun reconnaîtra les siens ». Pas tendres pour leurs collègues nos deux compères ? Ni pour certaines autorités académiques ou ministérielles non plus ? La charge envers les travers de bien d’entre nous est souvent plaisante, parfois jubilatoire, même si on peut la trouver injuste. Oui, mais qui, au juste, raconte ? Quel est le statut de l’énonciation dans ce texte comme ne dirait pas le prof de français rétif aux nouveaux programmes du roman ? Lisez jusqu’au bout et vous verrez que tout n’est pas si simple. Mais n’en disons pas plus ! Sinon qu’on savourera l’évocation de personnages - moins caricaturaux qu’on ne le croit - tels Solange, Rizoli et le bouc émissaire Magi, les interrogatoires d’un policier en verve, les aperçus ravageurs sur certains reportages journalistiques et l’aisance avec le langage des cités des auteurs de Les Céfrans parlent aux Français.
Jean-Michel Zakhartchouk
La notion de rapport au savoir constitue sans doute une notion clé dans le domaine des sciences de l’éducation, en dépit des incertitudes dans l’interprétation du mot « savoir », qui, renvoie parfois à la connaissance en général, d’autre fois à des connaissances, voire à des disciplines scolaires particulières quelquefois à l’institution école.
Deux principales équipes de recherche en France travaillent sur cette question du rapport au savoir : l’équipe ESCOL coordonnée par Bernard Charlot dont nous avons recensé l’ouvrage Du rapport au savoir, éléments pour une théorie, chez Anthropos et l’équipe du CREF de Paris X pilotée par Jacky Beillerot et Nicole Mosconi.
Cette dernière équipe publie Formes et formation du rapport au savoir, après divers autres écrits sur le même thème. Il s’agit d’une réponse à l’ouvrage de Bernard Charlot précédemment mentionné auquel il est reproché de ne développer une théorie du sujet (indispensable pour parler de rapport au savoir) qu’avec un référent sociologique, excluant par là même une approche psychanalytique, attentive à considérer que « la vie ne se limite pas à un langage et une action organisés par la rationalité consciente mais que le sujet a aussi une vie inconsciente, imaginaire et fantasmatique, liant représentations et affects, qui est agissante sur une grande partie de son existence et, en particulier, sur son désir de savoir, ses apprentissages et toutes ses pratiques en lien avec les savoirs ».
Le livre développe une argumentation dans quatre directions. Une partie théorique dont le noyau central s’organise autour d’une approche anthropologique de la notion de rapport au savoir constitue la première direction. S’appuyant sur l’un des derniers livres du sociopsychanalyste Gérard Mendel L’acte est une aventure, Nicole Mosconi propose une anthropologie du sujet dans son rapport au savoir qui se construirait en deux temps successifs dans notre société : une dynamique psycho-familiale et une dynamique sociale (à partir de la crèche, de l’école, et dans le milieu de travail). Trois parties ensuite présentent des recherches, l’une sur les pratiques enseignantes, une autre sur la formation des adultes, la dernière sur le Galilée de Brecht et l’autobiographie de Sartre.
Un livre très riche donc, qui prolonge le débat autour de la notion de rapport au savoir, et qui invite à des suites en privilégiant d’autres voies comme le rapport au savoir dans une dimension épistémologique et une dimension anthropologique. Le rapport au savoir que développent les élèves en particulier, mais quiconque plus généralement, donc nous-mêmes peut être très différent selon les disciplines scolaires. Qu’est-ce qui intervient dans cette proximité ou cet éloignement qui ne relève pas d’une tendance générale à l’égard de quelque connaissance que ce soit ? Qu’est-ce qui fait que l’on se sent davantage attiré par la biologie ou l’économie, par la géométrie ou l’algèbre, par l’histoire ou la géographie ? Ce rapport à des savoirs disciplinaires mérite sans doute d’être regardé à travers ce que ces disciplines représentent pour les sujets. La structure interne de ces disciplines (leurs fondations, à dimension épistémologique) et le lien que le sujet établi entre les questions que ces disciplines abordent et ses interrogations personnelles fantasmatiques (leurs fondements, à dimension anthropologique) sont vraisemblablement concernés.
Ces prolongements montreraient qu’une théorie du sujet apprenant ne se construit ni seulement à partir de la sociologie, ni à partir uniquement de la psychanalyse, ni à partir exclusivement de l’épistémologie, ni à partir simplement de l’anthropologie des savoirs, mais en prenant en compte toutes ces approches à la fois. Le sujet relève d’une approche biopsycho-socio-culturelle, et c’est pour cela qu’existent les sciences - au pluriel - de l’éducation.
En attendant il faut lire cet ouvrage très riche d’expériences et de référents théoriques.
Michel Develay
Un livre de rentrée qui s’adresse aux parents qui doivent, si l’on en juge de la fréquence des ouvrages qui leur sont destinés, se sentir parfois submergés par la quantité d’écrits qui leur sont destinés. Aussi pour leur donner la parole, Philippe Meirieu propose « d’ouvrir un vrai débat national sur l’école ». La proposition est généreuse, il resterait à l’actualiser. Se posent en effet la question de la forme et de l’usage que l’on souhaite faire des conclusions d’une telle explication. Comment aller au-delà de généreuses intentions, comment ni exclure, ni survaloriser les enseignants et leurs représentations, comment articuler débat sur la place publique et débat au parlement, etc. En d’autres temps, Jacques Chirac avait souhaité une telle entreprise sous la forme même d’un référendum que le ministre Bayrou avait refusé. Claude Allègre dans son dernier ouvrage écrit aussi qu’il s’est rallié à l’idée d’un tel débat national.
Pour alimenter la grande explication, Philippe Meirieu propose dans une première partie des éléments pour « un nouveau pacte éducatif » ordonné autour de trois principes : L’école doit être publique ; la filiation revient à la famille, la transmission des savoirs à l’école par une pédagogie de la vérité et du sens.
L’école doit être un service public, réclamant une obligation de moyens et de résultats, en développant des contrats d’établissement et non seulement des projets d’établissement, en mettant en œuvre une pédagogie du recours.
L’école est une institution dont la définition des missions et des moyens doit être du ressort de la représentation nationale.
Dans une deuxième partie, il est question des enjeux de l’école aujourd’hui. Une troisième partie aborde la question de l’apprendre ; une quatrième est attentive à un agir ensemble dans l’école et une dernière partie traite de projets et d’utopies. On trouvera parmi les nombreux contributeurs de cet ouvrage collectif (même si cet aspect collectif n’apparaît pas en couverture, pour raisons éditoriales) aussi bien nos amis B. Defrance, C. Delannoy ou J.-M. Zakhartchouk que F. Dubet, A. Jacquard ou D. Hameline...
Un ouvrage utile pour alimenter une réflexion, les courts textes des parties deux à cinq, constituant parfois une très riche contribution aux éléments du débat installé dans la première partie.
Michel Develay
L’intégration scolaire des enfants et des adolescents handicapés est de tout temps une question controversée au sujet de laquelle s’interrogent Pierre Bonjour et Michèle Lapeyre. Convient-il d’éradiquer la différence, de chercher à gommer la singularité au profit de ce qui apparaît homogène, universel.
Il y a quelques décennies que Pierre Bourdieu a écrit que « l’indifférence aux différences crée la différence ». Symétriquement, et complémentairement il est possible de se demander comment ne pas faire de la différence un culte au risque d’enfermer dans les particularités. L’école, à travers le couple homogénéité-hétérogénéité a en permanence à se confronter à des questions aussi difficiles que la tension entre l’un et le multiple, le même et l’autre, le singulier et le pluriel, l’universel et le particulier.
L’intégration et l’insertion sont au cœur de la question de l’individuation et de la socialisation. Marie-Agnès Hoffmans-Gosset citée par les auteurs rappelle que « si l’autonomisation est le processus interne d’individuation, la socialisation est le processus externe de différenciation. » L’homme n’accède à la conscience de lui-même que par l’expérience sociale.
Dans une première partie, les auteurs recherchent les fondements anthropologiques qui peuvent permettre de répondre à la question : quelle place l’homme fait-il à son différent ? Au nom de quoi intégrer ? Finalement, qu’est-ce que l’homme ?
Ils y répondent à travers quatre assertions. L’homme est un ego en quête d’assise narcissique. L’homme est aussi alter-ego en quête d’échanges et d’acculturation, sujet tourné vers l’extérieur, imprégné du souci de l’autre. L’homme est un homo sapiens en quête de sens. L’homme est un homo faber en quête de maîtrise.
On pourrait certes discuter cette mise à plat de quatre dimensions dont la plus importante, d’où découlent sans doute les autres, est vraisemblablement la question du sens. Mais cette rapide introduction se justifie pour conduire à la question du handicap dont il est montré qu’il est d’abord une construction historique dont les visions ont évolué au fil de l’histoire.
Dans une deuxième partie, sont passés en revue les institutions et les acteurs de l’intégration de manière à observer la façon dont l’égalité se trouve ou non référée à des réseaux complexes, à des partenaires multiples, à des relais incessants, conduisant à faire de la rencontre parents-enseignants, « une rencontre nécessaire, difficile et souhaitée » afin d’accueillir, d’informer, d’associer, de soutenir.
La troisième partie plus opérationnelle souhaite unir plus fortement le « faire » qui la caractérise au « dire » qui l’a précédée. On y trouvera des outils pour agir dans le droit fil des quatre assertions de la première partie.
Un livre utile, un livre nécessaire pour quiconque s’intéresse aux enfants « pas tout à fait comme les autres » qui nous aident à réfléchir davantage encore aux autres.
Michel Develay
À Saint-Nazaire, on la voit, la mer, du pré qui longe l’université. Tellement tentante que, malgré l’herbe haute, on s’approche... Et on repart pantalons et chaussures trempés de rosée.
le 10 novembre 2000Juillet 2000 : université d’été du CRAP à Saint-Nazaire : « Prendre la parole, apprendre la parole, apprendre par la parole »
le 10 novembre 2000Montreuil, dimanche 1er octobre : journée d’effervescence pédagogique.
Equipes constituées ou individus isolés porteurs de projets, mouvements pédagogiques, associations : nous étions quelque 200 personnes réunies ce dimanche 1er octobre à la Bourse du Travail à Montreuil, à l’initiative de l’Institut coopératif de l’École moderne (ICEM), de Marie-Danielle Pierrelée - dont le Manifeste a recueilli à ce jour plus de 5500 signatures - de l’association DECLIC [1], et de Gabriel Cohn-Bendit (cf. l’Appel à l’union de tous les pédagogues paru dans Libération du 28 septembre). Le CRAP, avec le GFEN [2], les CEMEA [3] et l’AFL [4] étaient invités.
En toile de fond : la création du Comité national de l’Innovation pour la réussite scolaire présidé par Anne-Marie Vaillé dont un message est lu à l’assemblée : elle assure de son intérêt les initiatives qui se sont fait ou se feront connaître ; rappelle la volonté du ministre de voir se concrétiser à brève échéance les projets innovants ; évoque la tenue de commissions de travail spécifiques autour de tout projet soumis au Comité ; enfin informe de l’organisation de rencontres interacadémiques sur l’innovation courant novembre et décembre.
Fenêtre ouverte donc au ministère sur les projets innovants et, semble-t-il, volonté de s’inscrire dans un calendrier à court terme.
Deux stratégies
Les initiateurs de la journée ont tous souligné cette conjoncture politique favorable, inscrivant la réunion dans un impératif « d’urgence » : pendant quelques mois, « quelque chose » serait possible. Il faut saisir l’occasion : recenser les projets existants ou en gestation (quatorze seront ainsi présentés ce jour-là) ; créer un réseau pour coordonner le tout et maintenir suffisamment fort l’élan créé pour engager un processus durable.
Si l’horizon commun est celui du changement de l’École, deux stratégies se dessinent sans pour autant se figer en camps bien distincts : la première met l’accent sur l’existant. Il s’agit de s’appuyer sur les acquis pour aller plus loin. Acquis institutionnels d’une part : l’Éducation nationale, dans ses évolutions récentes permet - tout au moins dans les textes - de s’engager sur la voie de l’innovation (enseignement par cycles dans l’élémentaire ; travaux croisés en collège ; TPE, Aide individualisée en lycée). Acquis des mouvements pédagogiques d’autre part : le travail sur les pratiques, qu’elles soient coopératives, fondées sur la pédagogie institutionnelle, les méthodes actives, le « tâtonnement expérimental », ou tout autre apport né de plus d’un siècle de réflexion et d’expérimentation pédagogiques - dans lequel le CRAP et les Cahiers ont joué leur rôle - a permis des réussites qu’il faut mettre en valeur. L’ouverture apparente du ministère à ces idées devrait permettre de consolider et d’élargir les expériences menées dans les établissements.
la seconde met l’accent sur les résistances au changement qui annihilent tous les efforts cités ci-dessus. Ainsi Déclic 93 se heurte depuis trois ans au refus « démocratique » de l’établissement censé accueillir une petite structure innovante dans ses murs. Marie-Danielle Pierrelée dresse quant à elle un bilan totalement négatif du collège dont la situation est jugée « gravissime ». La crise de l’École est telle qu’un point de non retour aurait été atteint, nécessitant des mesures urgentes et radicales. Dans ce contexte, il s’agit de créer les conditions d’un véritable débat public sur les missions et le sens de l’École. Débat concernant tous les citoyens, et pas seulement les professionnels de l’éducation. Créer ce débat, c’est créer un rapport de forces permettant l’ouverture d’établissements « pionniers » ouvrant la voie à un réel changement. « Pionnier » est préféré à « expérimental » car il ne s’agit pas de se satisfaire de la création d’établissements parallèles au système, mais bien d’inscrire le changement dans une reconquête de l’École par l’ensemble de la société.
S’inscrire dans la durée tout en tenant compte de l’urgence : deux tendances contradictoires qui ont rythmé la journée en oscillations régulières.
Tantôt le pragmatisme orientait le débat vers des décisions matérielles immédiates : comment s’organiser ? Si mise en réseau il y a, qui assurera la coordination ? Objectif fixé : trouver une adresse nationale, permettant à chacun de se relier au mouvement, de continuer l’action localement tout en construisant les éléments d’un débat national.
Tantôt la question des valeurs venait interrompre le processus de décision. Plusieurs interventions ont jeté le soupçon sur les mots censés réunir les participants : en premier lieu le mot « innovation » jugé insuffisant à définir une base d’accord commune. Quelle est la finalité éducative cachée derrière le mot ? De l’émergence d’un sujet autonome, créatif, capable d’initiatives et solidaire, à celle d’un sujet capable de créer des entreprises, dynamique, inventif et ancré dans un projet de réussite personnelle, le sème discriminant ne réside pas dans le mot innovation qui favorise aussi bien l’une que l’autre. De même, la « réussite scolaire », peut être déclinée en termes contradictoires : dans un modèle compétitif et élitiste - fût-il républicain - ou dans un modèle plus humaniste visant le développement de la personne. Un deuxième questionnement, lié au précédent, posait le problème des limites de l’action commune engagée : certains principes comme la laïcité, la gratuité, bref le caractère public du mouvement ont été posés comme intangibles, excluant toute initiative à caractère privé. Cette position, affirmée fortement par l’ICEM, a révélé quelques failles dans l’assemblée. Le principal débat a porté cependant sur la confiance à accorder au ministère : la création d’établissements innovants en marge du système, qu’ils soient pionniers ou expérimentaux, ne risque-t-elle pas de servir d’alibi à un immobilisme de fait ? La figure de Meirieu, grand absent de la journée, apparaît en filigrane : peut-on applaudir sans réserve la création d’un comité de l’innovation qui marque en même temps la fin d’un processus de réforme visant à transformer l’ensemble du système éducatif ?
Bilan provisoire de la journée :
Au bout du compte, dans l’impossibilité de s’accorder sur une unique « tête de réseau », deux adresses ont été données : celle de l’ICEM, mettant à disposition son propre réseau : freinet. org/icem/, et celle du Manifeste de MD Pierrelée : www.multimania.com/mdpierrelee.
Un temps fort est proposé pour un forum national sur l’éducation : les 10 et 11 mars 2001 (dates à confirmer).
Cela dit, les questions de fond sont restées en suspens, et nous le voyons, beaucoup d’ambiguïtés devront être levées. Elles devront être levées en premier lieu dans notre propre mouvement : ces questions, nous nous les sommes posées, nous nous les posons encore. Quel bilan critique portons-nous sur l’état de l’École ? Le cri d’alarme de M.-D. Pierrelée rejoint les imprécations des pires détracteurs de la pédagogie : cela n’est certes pas une raison suffisante pour refuser de l’entendre. Cependant, devons-nous oublier la loi d’orientation de 1989 qui, tant sur les missions que sur le sens de l’École, est porteuse de bien des innovations ? Où sont les résistances ? Bien sûr dans l’institution, mais aussi dans les corps sociaux attachés à leurs propres représentations de l’École. Si un nouveau débat, plus large, plus citoyen ne peut être que profitable, la nouvelle loi qui en résultera sera-t-elle mieux appliquée que la précédente ? Dans l’immédiat, une question doit être débattue : quel rôle voulons-nous jouer dans la dynamique enclenchée ? Et, corollairement, quelle réponse apportons-nous à la question posée par Meirieu ?
Marie-Christine Chicky, professeur de français.
le 10 novembre 2000
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