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Sauvons notre école… des professeurs « teneurs de classes »

Comme d’autres avant lui, c’est par un livre au titre éloquent[[S. Clerc, (2008), Au secours ! Sauvons notre école, Paris, Oh éditions.]] que Sébastien Clerc se fait remarquer du recteur… et des médias. On peut s’étonner qu’un haut responsable institutionnel propulse si vite un professeur en formateur qualifié, semblant valider l’absence de formation dispensée sur ces questions dans les IUFM et disqualifier ses personnels. On peut aussi s’interroger sur l’influence des médias. Deux interviews de Sébastien Clerc réalisées à l’automne 2008, au moment de la sortie de son livre, permettent d’en juger[[Article AFP, op. cit.]]. Trois journalistes « déchaînés[[Il s’agit du second lien mentionné ci-dessus (interview sur RMC).]] » font dire au professeur que ses difficultés viennent du fait qu’il n’a pas reçu de formation pédagogique à l’IUFM[[Alors même que l’on entend par ailleurs que l’enseignement de la pédagogie à l’IUFM serait une cause majeure des difficultés actuelles de l’école…]]. Suivent à grande vitesse quelques anecdotes totalement décontextualisées et jamais déconstruites avec un questionnement professionnel, et pour cause… Puis, toujours avec la célérité qu’impose ce genre d’exercice, des interventions du type : « vous faites le policier, parfois même vous sauvez votre peau. […] Comment vous avez réussi à instaurer de l’autorité ? ». Absence de formation en IUFM, faits sensationnels destinés à distiller « l’évidence » que rien ne va plus, donc qu’il faut restaurer l’ordre et l’autorité, autant de sésames vendeurs…
Mon propos n’a pas pour but d’accabler ce jeune professeur qui fait sans doute ce qu’il peut sur un terrain difficile, ni de soutenir que les professeurs travaillent suffisamment sur ces questions au cours de leur formation initiale et surtout continue ! Je m’efforcerai d’argumenter sur le fond, en mettant en évidence ce qui fait problème dans la « méthode » proposée.

Des conseils… pour quelles finalités ?

Certains des conseils de Sébastien Clerc semblent aller de soi, encore qu’il y ait plusieurs façons de les mettre en pratique. Ainsi, un professeur doit être en bonne forme physique, avoir une tenue vestimentaire stricte, ne pas s’habiller comme les élèves, exiger la politesse, apporter une attention particulière au début et à la fin de ses cours[[Voir sur ce point P. Jubin, (1999), Les cinq premières minutes en classe ou comment commencer en essayant de ne pas trop se fourvoyer, Site du Ceepi.]], connaître le prénom des élèves au plus vite, éviter certaines répliques inutiles et en privilégier d’autres, veiller à sa gestuelle et à ses déplacements pendant le cours. D’autres préconisations sont plus problématiques. Ainsi cette affirmation présentée comme une vérité scientifique – « dans une classe […], il y a 10 % d’élèves travailleurs, 10 % de chahuteurs et 80 % de « ventres mous » qui peuvent basculer d’un côté à l’autre » – de même la recommandation de ne pas sourire avec des classes difficiles, ou encore celle d’intervenir le plus en amont possible à partir des intentions de l’élève, non pas de ses actes (l’élève : « j’ai encore rien dit ». Le professeur : « vous alliez parler[[ Dans le premier lien indiqué ci-avant (interview sur Le Figaro.fr).]] »), qui nous renseignent sur la représentation que ce professeur s’est construit de ses élèves. Si les élèves sont ainsi considérés d’emblée, on peut se demander quelles perspectives s’offrent aux 10 % de chahuteurs « nés », auxquels s’adjoindraient quelques unités du « ventre mou » et se dire que, peut-être, si le professeur parvenait à se représenter ses élèves en sujets d’éducation et non en ennemis potentiels, la relation d’autorité s’engagerait différemment.
Parmi les « pistes pour restaurer l’autorité des profs », trois dispositifs-phares sont proposés :
– le plan de classe type, qui établit des catégories d’élèves et cantonne chacun dans une posture figée (dos au dossier) ;
– la maîtrise du territoire de la classe, qui répertorie des positions et des déplacements du professeur dans la classe, au service d’un contrôle systématique du comportement des élèves ;
– le système de la note de sérieux, sorte de permis à points[[Voir ici B. Robbes, (2007), « Punition collective, permis à points ou ceinture ? » Cahiers pédagogiques, 451, 31-33.]] qui interroge par ses critères (attente d’un élève modèle, rêvé, idéal ; formulations exclusivement négatives de ses devoirs, critères d’attribution du nombre de points du barème) que par ses finalités (normalisation par la soumission des élèves au service de la tranquillité du professeur ou apprentissage des règles communes indispensables par intégration raisonnée).
Au total, ces trois propositions se présentent comme des solutions sans alternative, orientées vers les objectifs de dressage et de soumission des élèves au professeur. L’élève n’est jamais considéré comme sujet d’éducation, capable de raison et de progrès dans ses apprentissages comportementaux des règles du vivre ensemble. Une telle conception oublie que l’efficacité d’une action éducative ne se mesure pas exclusivement à travers son résultat immédiat, mais d’abord en référence à une éthique respectueuse de la personne humaine qui lui donne sens et valeur[[Le cahier des charges de la formation des maîtres… en IUFM (!) ne stipule-t-il pas en effet, dans la première compétence intitulée « Agir de façon éthique et responsable », que « l’éthique et la responsabilité du professeur fondent son exemplarité et son autorité dans la classe et dans l’établissement ».]]. Ainsi, un professeur peut obtenir l’obéissance de ses élèves de bien des manières : par la soumission inconditionnelle (exercice habituel de violences physiques, sanctions humiliantes, pressions psychologiques, chantage, séduction, manipulation du groupe…), par un acte d’autorité – geste ou parole – venant signifier une limite arbitraire ou non, par une influence qui cherche à obtenir le consentement dans la durée…

Pas de recettes miracles : des solutions simples

Dans son argumentation, Sébastien Clerc avance pourtant deux propositions auxquelles nous souscrivons : il n’y a pas de recettes miracles ; les questions de « tenue de classe » (nous dirions « d’exercice de la relation d’autorité ») doivent être anticipées en formation initiale. Mais lorsqu’il déclare que « sous prétexte qu’il n’y a pas de recettes miracles, il ne faut pas se refuser de réfléchir à tous les types de solutions qui simplifient incontestablement le métier[[Interview sur Le Figaro.fr.]] », nous avons plus de difficulté à suivre ce projet de doter le professeur de solutions simples. De même, lorsqu’il indique à propos de sa méthode, « c’est un ensemble de techniques qui facilitent la tâche et que j’ai découvert au fil des années[[Ibid.]] », il souligne là les limites d’une réflexion solitaire.
Nous voudrions bien faire crédit à cet enseignant, lorsqu’il prend soin de dire que ses solutions ne sont pas des recettes miracles, mais il ne cesse de proposer le contraire… Chaque technique est présentée comme LA seule et unique bonne réponse, comme LA bonne façon de faire avec tous les élèves en toutes circonstances. Il suffirait que le professeur adopte le comportement ou l’outil adéquat(s) à chaque situation, ceux-ci étant anticipés et répertoriés, pour que le problème soit réglé. Nous avons bel et bien là des recettes, en conformité avec une conception pédagogique applicationnelle, comportementale, de la formation et de l’exercice du métier d’enseignant.
Le problème est qu’une telle conception ne résiste pas au terrain. Elle oublie que, particulièrement en matière de « tenue de classe » et d’élèves en difficulté, tous les comportements ne peuvent être prévisibles et la solution immédiate à chacun d’eux encore moins anticipée. Le professeur ne sait jamais à l’avance LA solution qui fonctionnera, parce qu’il a face à lui des personnes humaines dotées de réactions autonomes. Elle oublie aussi que la pertinence d’une réponse se mesure toujours dans le contexte particulier où elle est produite. Chaque solution prise isolément peut très bien fonctionner, ou pas… Il n’y a donc pas une réponse unique, mais plusieurs plus ou moins pertinentes, « dictées » par les exigences d’une situation qui contraint toujours le professeur, parmi une palette de réponses possibles, à « bricoler » une solution adaptée au contexte et à l’élève considéré dans sa singularité. Il est donc dangereux de faire croire aux professeurs en formation qu’il suffirait de quelques recettes simples pour s’en sortir, car en cas d’échec, ils n’ont comme recours que de se dire qu’ils sont seuls responsables de ce qui leur arrive.

Les recettes ne sont pas des principes d’action

Nous pressentons que derrière cette recherche de solutions univoques efficaces en toutes circonstances, s’exprime une insécurité professionnelle bien compréhensible en même temps que la recherche maladroite de principes pouvant guider l’action. Mais ce qui distingue les principes indispensables à l’action pédagogique des recettes, c’est justement leur relative souplesse, leur nécessaire adaptation à la situation vécue. Là où la réponse comportementale enferme le professeur parce qu’elle le met en situation d’appliquer UNE solution prévue à l’avance, à l’exclusion de toute autre, le principe d’action lui permet d’orienter ses interventions, par la réflexivité sur la situation rencontrée, l’ouvrant à plusieurs réponses possibles, en réglage constant à la situation replacée dans son contexte. C’est pour cela que la recette est un leurre, une fausse bonne réponse qui quand elle fonctionne, conforte le professeur dans une modalité d’action exclusive et quand elle échoue, le laisse totalement désemparé, sans outillage intellectuel pour penser la situation et sa reprise. La quête de recettes entretient l’illusion qu’il serait possible de faire l’économie de l’élaboration réflexive, comme s’il était impensable de tenir compte de la complexité des variables en jeu dans une situation d’enseignement. En isomorphisme à l’effet attendu sur les élèves, la recette développe chez le professeur des comportements-réponses produits par dressage, évitant soigneusement de questionner le sens et les effets d’éducation puisque seul le résultat tient lieu d’évaluation. On est dans la réponse instantanément efficace, jamais dans la construction d’une relation d’autorité qui tiendrait compte de la durée, faisant confiance à la capacité de l’élève d’advenir progressivement en sujet responsable de ses actes, auteurs de lui-même. À l’ère des réponses simples, cette représentation professionnelle qui peut séduire n’en est que plus dangereuse…

Bruno Robbes, ancien instituteur, sciences de l’éducation, université de Cergy-Pontoise/IUFM de Versailles, université Paris Ouest Nanterre La Défense.


NB : Dans un texte en ligne sur notre site intitulé « Exercer une autorité éducative : principes d’action et dispositifs de formation possibles pour les professeurs », Bruno Robbes prolonge cette réflexion puisqu’avec ses collègues, il forme de futurs professeurs à la gestion de la classe et à l’exercice de la relation d’autorité.
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