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La scène offre un décor dépouillé très habile, un lit, une armoire « magique », quelques chaises et cubes. Un orchestre en fond de scène – guitare, saxophone, clarinette et clarinette basse, piano et percussions – est sobrement sonorisé, mettant en valeur les timbres et leur fusion avec les chœurs chantés. Didier Grojsman dirige l’ensemble précisément, musicalement, dans une symbiose très efficace avec les chanteurs et les musiciens. Sa présence en front de scène est rapidement oubliée des spectateurs.

Rose est une jeune collégienne qui subit l’enfer du harcèlement. Un jour, un de ses dessins, son autoportrait, s’anime et décide de prendre sa place et de réagir. Doble Rose, mélange de jeune adolescente et de « princesse de mots tordus », deviendra la confidente et la protectrice de Rose et lui permettra de réintégrer progressivement le monde collégien.

C’est sérieux

Le spectateur est tout de suite surpris par la beauté de la musique, son efficacité. Pas de condescendance ; ce sont des enfants et des adolescents qui chantent, mais on les prend au sérieux. La partition comporte des difficultés évidentes, rythmiques, mélodiques, harmoniques. Le timbre du chœur, lui aussi discrètement sonorisé dans la grande salle du théâtre Jacques-Prévert, est chatoyant, juste, émouvant. Mais ça et là, dans des ensembles réduits qui mettent à découvert les voix, on s’aperçoit de l’hétérogénéité constitutive de l’ensemble : ici certaines voix sont encore très jeunes et quelques fois moins assurées que celles des aînés sans que jamais cela gêne le spectacle. On sent que ces quelques notes délicates sont là pour permettre à celui qui débute (c’était le premier spectacle pour certains enfants très jeunes) de prendre date pour son avenir musical.

Car le CREA, dirigé par Didier Grojsman et Christian Eymery, parrainé par Nathalie Dessay, accueille tous les ans des milliers d’enfants et d’adultes dans la pratique du chant et de l’art lyrique. Il a pour philosophie d’allier exigence et plaisir, haut niveau musical et non sélectivité. Il n’y a pas d’audition pour entrer au CREA. Mieux, la mue, qui dans beaucoup de structures provoque une rupture d’étude voire un abandon pour les garçons, est acceptée, vécue, et se voit même offrir une structure d’accueil temporaire : les poildingues !

Toujours en mouvement

Rose et Rose enchaine les tableaux complexes, les changements de décors à vue opérés par les acteurs eux-mêmes. La scène est toujours en mouvement, les chœurs nombreux, souvent polyphoniques. Le spectateur n’est jamais lassé, il prend plaisir (l’ovation à la fin du spectacle n’était pas seulement le fait des parents présents), et ne voit pas le temps passer.

© Rose&Rose - comédie musicale du CRÉA, création 2016 - Photo Erwan Floc’h

© Rose&Rose – comédie musicale du CRÉA, création 2016 – Photo Erwan Floc’h

Ce qui fascine dans ce spectacle est le mélange des niveaux des chanteurs. On sent celui qui a l’assurance de plusieurs années de pratique, qui se déplace souplement sur scène, ou encore le tout jeune qui, discrètement, regarde s’il est bien placé auprès de son voisin plus âgé, a ce petit temps de retard car il ne sait pas tout-à-fait anticiper le mouvement collectif. Et pourtant, jamais l’homogénéité du projet et de la réalisation musicale ne sont mises en danger. Il y a une volonté de permettre au chanteur de prendre le risque de sa voix et de sa présence sur scène, à un âge où cela est délicat, mais sans mise en danger excessive.

En cela, la pédagogie du CREA est remarquablement moderne (mais les anciennes maîtrises procédaient aussi ainsi) : le groupe d’âges multiples fabrique en même temps le présent du spectacle et l’avenir du groupe. L’aîné est le modèle du plus jeune qui, déjà, rêve certainement du moment où il pourra grandir. La musique est mise au service de l’adolescent, le spectacle permet l’émergence du sujet dans le groupe. Le CREA développe un projet musical, pédagogique mais aussi politique, dans le sens où il œuvre à la rencontre, au travail en groupe, à la production collective.

Rose et Rose sera à nouveau donné à l’Opéra Bastille en janvier 2017.

Jean-Charles Léon
Professeur de musique

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