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Réussir ses premiers cours

L’entrée dans le métier est une épreuve initiatique forte qui peut laisser des traces durables, marquer l’identité professionnelle et induire un type de rapport plus ou moins heureux au métier, aux élèves, aux collègues. Pour les enseignants, particulièrement ceux de collège auxquels est destiné ce livre, elle est perçue comme « à hauts risques » dans un contexte qui cumule accroissement de la complexité – des difficultés ? – du métier, et réduction de la dimension professionnelle de la formation qui y prépare. D’où l’angoisse bien légitime des nouvelles promotions face au défi de « réussir ses premiers cours ».

L’ouvrage proposé par Jean-Michel Zakhartchouk intervient à point nommé et sera de la plus grande utilité pour tous ceux qui se préparent à vivre leur première rentrée en septembre 2011. Mais disons-le d’entrée : le propos du livre va bien au-delà, et c’est tant mieux, de ce qu’annonce le titre. Certes il s’agit bien de mettre à disposition des enseignants des propositions concrètes pour se débrouiller le mieux possible dans les premiers contacts avec les élèves, les collègues, les parents, le programme… Au-delà, il s’agit surtout de mieux comprendre, de l’intérieur, de quoi est fait le métier réel aujourd’hui, quels en sont les dilemmes, quelles sont les dérives à éviter – à proscrire nous dit même l’auteur – et quelles sont les pratiques qui ont fait leurs preuves, les astuces à retenir. Les moins nouveaux dans le métier pourront donc, tout autant que les novices, lire l’ouvrage avec profit.

Dix-sept chapitres permettent de faire un tour complet des différentes facettes du métier, depuis les premiers cours jusqu’aux valeurs qui fondent les choix quotidiens en passant par la relation avec les parents, la validation du socle ou le rôle du professeur principal. On appréciera la construction qui se répète de chapitre en chapitre : les pratiques courantes, des pratiques plus efficaces, les pratiques dans leur contexte. Cette place accordée au contexte est prépondérante : il ne s’agit pas, pour l’auteur, de prescrire au lecteur les choix qu’il doit effectuer, mais de l’alerter à ce qui est en jeu dans tel contexte précis, avec ces élèves-là, lorsqu’il prend une décision et choisit une manière de faire. Comme le dit Philippe Meirieu dans l’avant-propos, l’ouvrage « aiguise la lucidité et nourrit l’inventivité sans enfermer dans un modèle unique ».

Trois éléments, à notre sens, donnent une consistance particulière à la réflexion proposée. En premier lieu, le lecteur, interpelé directement puisque l’auteur s’adresse à lui tout au long de l’ouvrage, est en présence d’une parole impliquée, appuyée sur une longue expérience : Jean-Michel Zakhartchouk sait de quoi il parle et met généreusement à disposition des lecteurs ce qu’il a expérimenté lui-même et avec d’autres. On retrouve, dans quelques encadrés, les signatures de plusieurs collègues des Cahiers pédagogiques et du CRAP, référence permanente qui irrigue tout l’ouvrage. Un second intérêt tient au souci permanent de l’auteur de ne pas s’enfermer dans tout ce qui peut stériliser les débats autour des questions scolaires, mais d’investir avec ténacité les marges de manœuvre qui permettent de faire mieux, c’est-à-dire de favoriser les apprentissages de tous les élèves. On appréciera enfin la tentative constante de conjuguer – même et surtout si cela ne va pas de soi – ambition et réalisme : « Faisons mieux connaitre ce qui continue à se faire pour maintenir le rôle intégrateur et éducatif de notre école et pour mettre en avant, en quelque sorte, ce qui nous rend fiers d’exercer ce « sacré métier » ».

La lecture des différents chapitres est ponctuée par des encadrés : fiches pratiques, témoignages, astuces. Ces fiches, fort bien faites, pourront sans nul doute donner des idées aux débutants : celle des pages 17/18/19 permet de travailler avec des élèves de 6e sur l’appropriation des règles de vie de classe dès la rentrée ; celle des pages 36/37 est conçue pour aider les élèves à identifier « les comportements qui empêchent de réussir à l’école » et ce qu’il conviendrait de viser pour en sortir. Et au-delà de leur aspect pratique, ces fiches, mine de rien, sont révélatrices d’une vision du métier qui n’est pas neutre, passe par une observation fine des élèves et une invitation à des ajustements permanents afin de créer les meilleures conditions pour leurs apprentissages. Si l’on évoque l’attention des élèves (pages 50/51/52) c’est en différenciant les objets d’attention importants, les types de situation et leurs conséquences sur ce à quoi l’élève doit être attentif, mais aussi sur ce à quoi le professeur doit être attentif. « Ayez toujours présent à l’esprit – nous dit l’auteur – que l’on fait cours avec, dans sa tête, les difficultés des élèves. Pensez toujours à anticiper et apprenez à choisir selon les moments s’il faut réduire les difficultés des élèves ou les aider à les affronter. »

À noter aussi que François Jarraud, pour le Café pédagogique, partenaire de cette publication, propose tout le long du livre des encadrés rendant compte des innovations que son site contribue de façon si utile à diffuser, afin de donner envie sans doute d’y aller voir de plus près.

Le métier, tel que le présente Jean-Michel Zakhartchouk, passe, bien sûr, par la situation de classe et ses différents aspects : la préparation des cours, les supports, la discipline, l’évaluation des élèves. Mais il ne se définit pas seulement par les activités du professeur avec ses élèves dans sa classe. Une part importante du livre est consacrée à d’autres aspects du métier d’enseignant qui en sont pleinement constitutifs et en cohérence avec les textes officiels de référence : les devoirs à la maison, le travail coopératif dans et hors l’établissement, les projets pédagogiques ou culturels, la transmission des valeurs…

La mise en page en est agréable, l’écriture, limpide. Il y a peu de références théoriques explicites – Astolfi, Hameline, Perrenoud et quelques autres sont rapidement cités -, peu de notes de bas de pages, mais on aura compris que le livre vise un large public et veut éviter la dérive savante pour ne pas perdre en route les lecteurs les plus rétifs à une approche théorique. Pour autant le lecteur averti saura reconnaitre et identifier ce qui fonde la vision du métier ici développée : le souci d’une école plus juste qui œuvre avec persévérance et professionnalisme à réduire les inégalités et cherche à permettre à chaque élève d’entrer dans les apprentissages et d’y trouver de l’intérêt. Une des convictions fortes qui traverse l’ouvrage c’est sans doute celle formulée à la page 210 : « Un des arguments des « novateurs », c’est que si l’évolution n’est pas assumée par le corps enseignant, à travers des négociations, elle risque de se faire sans eux et alors vraiment contre eux. » D’où la nécessité, pour l’auteur, de prendre à bras le corps et collectivement tout ce qui fait débat au sein de l’école en vue « d’aboutir à des compromis acceptables. »

Les familiers du CRAP savent la place majeure de Jean-Michel Zakhartchouk dans le réseau et la revue. Pour autant, on aurait tort, au nom d’une connivence avec l’auteur, responsable par ailleurs de cette rubrique « Des livres pour nous », de se priver d’encourager à la lecture d’un ouvrage – le sien – qui, au-delà de son utilité, offre une vision stimulante du métier. Sans en réduire la complexité, il ouvre en permanence sur la possibilité pour chacun d’y trouver de l’intérêt, du défi et du plaisir et d’y imprimer sa marque et son style.

Nicole Priou