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Responsabilités, vers une thématique, vers une problématique

Les ouvrages collectifs suscitent toujours la perplexité du lecteur : s’agit-il d’un manteau d’Arlequin, cas le plus fréquent, ou d’une œuvre commune ? Curiosité aiguisée par l’intitulé de celui que nous propose Alain Picquenot, Responsabilités, vers une thématique, vers une problématique. Autrement dit, qui est responsable ? Autant le dire tout de suite, l’entreprise est une réussite : la responsabilité est à la mode dans l’environnement républicain et la polysémie du terme nécessite de l’aborder sous plusieurs angles.
Bernard Toulemonde établit avec son brio et sa clarté habituels l’indéniable équivoque sur laquelle reposent nos incantations à la responsabilité et pose le problème majeur qu’aborde cet ouvrage : « dans une société démocratique, il ne peut exister une « caste des intouchables » : tous les citoyens sont soumis au droit, à la même règle du droit » (p. 60). Oui, mais alors, qu’en est-il des agents de l’État ? Il est vrai que ses fonctions régaliennes les exonèrent de deux des trois responsabilités juridiques : en matière de discipline, il traite par ses propres voies (le tribunal administratif) les questions dont il veut bien s’emparer et, depuis 1937, il substitue sa responsabilité civile à celle des enseignants quitte à entamer une action récursoire contre eux. Comment s’étonner que les avocats conseillent aux parents de rechercher la responsabilité pénale puisque c’est la seule qui reste ?
La figure de proue de la responsabilité en matière d’éducation devient celle du chef d’établissement. Représentant de l’État et personne au contact de tout ce qui fait la vie d’une communauté, il ne peut que développer une sensibilité extrême à cette recherche du coupable à tout prix. « Cette sensation assez pesante de se trouver sur le fil du rasoir, je l’ai éprouvée tout au long de mon existence professionnelle, à chaque fois que des aspects humains étaient en jeu » nous confie Gérard Mamou (p. 81). C’est à ce contributeur que revient le mérite d’introduire dans l’ouvrage le pendant éducatif de la responsabilité qu’est la prise de risque à travers l’apologue d’un élève transgressif mis face à son déni de la réalité. Il repart chez lui sur son vélomoteur, il est victime d’un accident (le sermon du proviseur ?)… heureusement sans gravité. Finalement réinséré grâce à ce biais au sein de sa famille et de la communauté éducative, il donne à penser que la prise de risques s’est faite à bon escient. La responsabilité éducative n’est-elle pas avant tout émancipatrice ?
Ce que confirme avec vigueur l’un des deux enseignants invités à s’exprimer, JM Zakhartchouk. Il ne tergiverse pas et pose immédiatement les trois règles de son engagement responsable : « mettre au travail et en réussite » (p. 89), « construire une progression efficace » (p. 90) et enfin « allumer la flamme […] et l’entretenir » (p. 90). Il dresse du coup un réquisitoire contre tous ces enseignants qui s’assurent de faciles succès de librairie en expliquant joliment (?) pourquoi ils ne peuvent plus exercer leur métier : « Nous, enseignants, sommes responsables de l’image que nous donnons de notre métier vis-à-vis de l’opinion publique, de la population » (p. 95).
Ce discours pédagogique rencontre un écho chez l’autre enseignante invitée, Marthe Mullet, qui exerce en lycée professionnel. Le ton se durcit et elle dénonce le discours sécuritaire qui recherche les coupables pour mieux les exclure faisant virer au « cauchemar » ce qui n’était que problème à affronter dans un cadre éducatif.
C’est à un responsable des ressources humaines, Gérard Bourliaud, qu’il revient de rappeler cette évidence qui traverse l’ouvrage sans convaincre tous ses rédacteurs que « Être responsable, avoir des responsabilités, pour tout acteur du système éducatif, c’est être frappé par la diversité ou l’hétérogénéité du régime de la (des) responsabilité(s) » (p. 151). Ce qui lui permet de confirmer, non sans humour, qu’au-delà d’être (responsable) ou d’avoir (des responsabilités) il convient de fonder l’action de l’école sur le droit. Notre code de l’éducation a moins de dix ans ce qui confirme la nouveauté de cette attitude de responsabilité dans le monde de l’école !
La dernière partie de l’ouvrage peut étonner dans la mesure où deux thèmes viennent se combiner avec celui des responsabilités. Mais comment ne pas voir le lien entre la crise, l’évaluation et le fait d’assumer ses responsabilités dans un monde qui se globalise ? Les propos de Roger Monti banalisent la crise, en font même une constante du management. La seule chose que ne puisse prévoir le responsable c’est sous quelle forme, et quelle importance elle va revêtir. L’important serait plus de savoir sortir de la crise et d’éviter de la transformer en catastrophe que de continuer à pratiquer l’ouverture des parapluies qui finit toujours par désigner le chef d’établissement comme couverture idéale. Au lieu de l’analyse rapide et quelque peu discutable de Marks and Spencer ou de Buffalo Grill, on aurait apprécié de lire l’analyse d’une crise dans un établissement scolaire. Enfin, Jean-Claude Emin souligne le paradoxe du responsable qui ne rendrait pas des comptes. Mais est-il bien raisonnable de maintenir cette fiction dans un système où les faux-semblants l’emportent sur la réalité : quelle est la responsabilité d’un établissement ? Quelle est celle de son chef alors même qu’il est nommé dans l’opacité et libre de solliciter son départ chaque année ? Un nombre important de réglages s’impose avant que l’autonomie réelle de l’établissement nécessite un retour sur son action. C’est ce que confirment les comparaisons internationales et les suggestions du directeur du « Haut comité à l’évaluation ». Va-t-on dans ce sens ? La manière rapide et brutale dont le Ministre a mis fin aux TPE malgré le vote du « Conseil supérieur de l’éducation » laisse mal augurer d’une évolution vers plus de responsabilité. On peut aller en revanche vers plus de duplicité dans les contrats que s’apprêtent à passer les rectorats avec les établissements. Mais alors, en justice, ne risque-t-on pas de retrouver l’État condamné comme dans l’affaire des recalculés des ASSEDIC, le plus fameux exemple d’une naïveté d’un État qui se croit encore régalien alors qu’il pousse les feux de la libéralisation sans vouloir en assumer toutes les conséquences, notamment celle de pouvoir être poursuivi en justice et condamné pour n’avoir pas tenu ses engagements ? Certes, il y a le fameux pilotage par les résultats (p. 192) mais cela ne veut pas dire « faire de la bonne soupe avec peu d’argent » !
Heureusement, les toutes dernières pages laissent la parole à Jacques Lévine et l’on entend s’éloigner le chant des sirènes managériales. C’est le retour de l’élève, de Ryad plus précisément, qui parle de tuer son frère, de se défenestrer, et qui, par ces paroles, révèle son angoisse et son désarroi. Il pose un véritable problème de responsabilité puisqu’il ne sait pas répondre de ses paroles ni de ses actes. À l’école donc de développer son sentiment de responsabilité, sa capacité de répondre en être humain. Ce qui donne lieu à la promesse d’un autre livre, à écrire celui-là parce qu’à peine esquissé, un livre consacré à la « pédagogie de la responsabilité » (p. 218).
Cette suggestion à elle seule rétablit l’équilibre entre l’analyse des problèmes de l’école confrontée à une société qui cherche toujours plus de responsables et de coupables. Une école elle-même sommée de manière assez contradictoire d’être efficace et juste. La faible contribution des pédagogues et du psychanalyste fait regretter un déséquilibre qui n’est toutefois pas si étonnant quand on songe à la répartition et à l’attribution des responsabilités dans l’administration de l’école. Le mérite de cet ouvrage aura été d’ouvrir le débat Pour le poursuivre en termes d’éducation et d’enseignement, peut-on suggérer à Alain Picquenot de continuer le travail là où il l’a achevé en envisageant une éducation à la responsabilité donc à l’humanité ?

Richard Étienne


Programmation 2014-2015

Programmation 2014-2015

Voir la présentation de l’ouvrage sur le site du CRDP de Dijon