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Rendre la parole aux élèves, clé pour les accompagner sur les voies de la réussite

« Vous savez pourquoi vous êtes là dans ce groupe ? – parce qu’on a raté notre vie ! »
Voilà les élèves dits « en difficulté » : étiquetés par les enseignants : « zappeurs, fumistes, consommateurs, décrocheurs… Ils sont décrits comme peu motivés, peu concentrés, peu attentifs. Désemparés, en souffrance, ils ne comprennent pas l’univers scolaire dans lequel ils évoluent; le savoir scolaire « ça les saoule ». Ils ne savent pas ce que travailler et apprendre à l’école veulent dire. D’ailleurs, ils ne travaillent pas pour apprendre. Ils se conforment juste aux règles du jeu et à ce qu’ils croient être les desiderata de l’enseignant. Pour certains, le moment d’apprendre constitue une prise de risque insupportable qui les déstabilise et les empêche de penser, englués dans l’immédiateté et leur pauvreté de langage.
Mais enfin, le système éducatif prévoit bien une prise en charge de ces élèves « en difficulté » ! Certes, dans la classe, la pratique dominante que constitue le cours dialogué ne leur donne pas beaucoup de place. Même les pratiques plus innovantes, pas toujours bien maîtrisées par les enseignants, ne donnent pas d’effets suffisants sur le plan cognitif.
Quant à leur valorisation par un enseignant bien intentionné, elle peut les mettre mal à l’aise devant leurs camarades. La baisse du niveau d’exigence dans ce qui leur est demandé, ne les fait pas plus apprendre ; ils ne sont pas dupes de cette mise à l’écart effective des enjeux de savoirs.
Les dispositifs spécifiques se succèdent et s’empilent, reconduits ou abandonnés sans réelle évaluation. Contre-productifs, ils aggravent les inégalités : stigmatisation avec les heures supplémentaires à faire, mise à l’écart de leurs camarades. La tendance à l’externalisation de la prise en charge, atomisée entre différentes personnes, différents lieux qui communiquent rarement provoque des effets pervers : l’élève travaille moins en classe puisqu’il sait qu’il va être aidé à l’extérieur, les enseignants s’en occupent moins pour les mêmes raisons.
Dans cet ouvrage, deux formateurs, forts de leur expérience de cinq ans avec ce type d’élèves, proposent une démarche, inspirée du travail avec les adultes, pour vraiment les accompagner vers la réussite. Ils ont cheminé avec des élèves qui ont rencontré des difficultés lors du passage d’un degré ou d’un cycle à l’autre et l’ont vécu comme une rupture: 6èmes, 2des, 2des bac pro.
Les animateurs veillent d’abord à installer un cadre en rupture avec le fonctionnement habituel: installation dans la salle, règles de prise de paroles énoncées et explicites, avec une clause de confidentialité. Le jeu des présentations constitue ensuite un temps fort qui permet à chacun de se rendre compte qu’il n’est pas le seul à connaître des difficultés. Il ouvre la voie de la réflexion, de la lucidité par le biais de l’écriture individuelle. Pourtant, ça ne marche pas toujours : pas facile de faire adhérer les élèves aux réflexions proposées. Les élèves à la fin du dispositif reconnaissent cependant : » pouvoir parler sans être contredits ni jugés », »pouvoir réfléchir sur eux-mêmes, se poser des questions qui leur ouvrent les yeux ».
La grande difficulté, c’est toujours le moment de la réflexion sur la pratique : les animateurs ont recours à la médiation de films, de textes littéraires pour les inciter à revenir sur eux-mêmes ; ils font des retours sur ce qu’ils ont appris, ce que les auteurs appellent « la pause réflexive » ,l’occasion de réfléchir à la fin d’une séance avec les élèves sur leurs erreurs, leurs oublis, mais aussi leurs compétences et leurs connaissances.
Ils organisent des séances régulières d’ échanges de pratiques scolaires, adaptant les GEASE conduits avec les professionnels : une fiche-guide pour stimuler la réflexion individuelle dans la phase initiale, l’encouragement des élèves par l’animateur à s’exprimer de la manière la plus précise qui soit, l’incitation aux interactions entre eux.
Malgré tout, le retour sur leur vécu scolaire se fait difficilement et la capacité à penser leur expérience est limitée. D’où, l’acharnement des animateurs à privilégier les pratiques réflexives sous toutes leurs formes : écrite et individuelle systématiques avant les échanges oraux collectifs.
D’une tension à l’autre
On peut regretter que l’organisation du livre et la structuration des chapitres ne favorisent pas la lecture : le trousseau des sept clés, les 10 Fiches outil pour animer des séances avec les élèves , les trois chroniques qui mettent en scène des parcours des petits groupes en difficulté , la segmentation des textes , les renvois à d’autres pages, les schémas divers font penser à ces livres-jeu où vous êtes le héros d’une quête aventureuse ; chaque page vous oblige à faire un choix pour emprunter le bon chemin. Une fois le risque de l’abandon écarté faute de patience, la richesse de l’expérience des auteurs est communicative.
Oui, la parole des élèves est un levier essentiel pour surmonter la difficulté scolaire. Pas seulement pour les élèves, mais aussi pour les intervenants qui entrent dans un processus de coformation . Position d’équilibriste pas toujours facile à tenir : pas de langue de bois, pas d’engagement personnel dans les échanges avec les élèves. Tâtonnements successifs. Recherche permanente de qualité pour résoudre les problèmes imprévus ou momentanément insolubles.
Le livre s’achève sur de nouveaux questionnements : cette démarche ne peut-elle être importée dans le cadre de la classe ? Les pauses réflexives et les échanges de pratiques ne trouveraient-ils pas leur place dans les enseignements disciplinaires, avec des élèves issus de la même classe ? Allons-nous rester sur une division du travail : la prise en charge des élèves en difficulté par des intervenants spécifiques, extérieurs à l’équipe et des enseignants chargés de la transmission du savoir ? Ne peut-on imaginer l’intégration de la posture d’accompagnement dans l’exercice ordinaire du métier d’enseignant ?

Michèle Amiel