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Relever le défi de l’intégration

Le précédent dossier des Cahiers pédagogiques consacré à la prise en charge du handicap date de 1989, quelques mois après la loi d’orientation sur l’Éducation. Nous avons voulu, à l’aube d’une nouvelle loi, élucider les enjeux actuels de l’enseignement spécialisé et plus généralement de la prise en compte de la différence.
Les pratiques pédagogiques et éducatives relatées dans ce dossier questionnent l’accessibilité de l’École et la continuité des parcours scolaires des jeunes (Hervé Benoît). Tendre vers une scolarisation réussie reste un défi quotidien qui passe par une anticipation globale de l’intégration de l’élève dans l’école. À la manière de Bertrand Dubreuil, nous souhaitons nous inscrire dans une dynamique de l’ouverture où la sensibilité, le pragmatisme et l’éthique contribuent à faire évoluer notre réflexion et à clarifier notre action, où que nous soyons placés dans le système éducatif. Les changements de conceptions, de dispositifs ou de formations qui permettent d’inclure la différence sont au cœur de ce dossier.

Comment se positionner ?

La première partie propose d’analyser le développement de l’éducation spécialisée par le positionnement des acteurs de l’intégration scolaire. Si l’on peut parler d’intégration scolaire par l’adaptation de l’école du 1er degré et du 2nd degré (Hervé Benoît), il faut encore rester prudent sur l’efficacité et la pertinence des dispositifs existants. Le « réseau d’aides spécialisées » dans le 1er degré tente d’assumer le paradoxe de maintenir le soutien en recherchant une moindre stigmatisation (Roland Depierre). Les « unités pédagogiques d’intégration » au collège nécessitent une cohésion importante de l’équipe pédagogique pour intégrer les élèves dans une classe ordinaire (Christine Magnin). Pourtant des défis sont relevés : la conquête d’une plus grande autonomie physique par une pratique effective de l’EPS (Jean-Pierre Garel), le partage des sensibilités lors d’un atelier d’écriture par des élèves d’UPI intégrés dans une 6e (Maryse Madiot). Les principes d’action qui suscitent ces réussites tiennent souvent au dépassement lucide et patient de paradoxes parfois paralysants et pourtant féconds (C. Roiné, José Seknadjé-Askénazi). Parfois, contre toute attente, des élèves accèdent à la fonction symbolique du langage. C’est aussi dans la traversée déstabilisante du quotidien d’une CLIS que l’enseignant rencontre le désir de savoir des élèves (Pierre Martinet).

Et si l’on s’autorisait ?

La deuxième partie invite à changer de regard sur la prise en compte des différences à l’École. Imaginons, propose Bertrand Dubreuil, que les instituts médico-éducatifs (IME) deviennent des établissements publics et que les élèves aillent ici aussi à l’École au lieu de s’intégrer à part. Alors, oser ! Oser proposer aux élèves de CLIS le cadre et les moyens pédagogiques de la pédagogie Freinet et institutionnelle (Luc Bruliard), oser faire partager ses passions de plasticienne avec des adolescents d’IME dont certains se réconcilient avec eux-mêmes par la pratique de formes nouvelles d’expression et d’apprentissage (Elizabeth Dubois), oser confronter les élèves aux connaissances scientifiques ou technologiques par l’adaptation de l’enseignement à leurs représentations pour qu’ils accèdent aussi à la rationalité, à l’abstraction (A. Peyronnet, Ignace Rak), oser enfin en Segpa pratiquer des discussions à visée philosophique pour ce qu’elles induisent : la reconnaissance de la pensée mais aussi l’amélioration significative des compétences langagières et réflexives (J.-C. Pettier).

Quelle professionnalisation ?

La dernière partie envisage les enjeux professionnels de la prise en charge des élèves à besoins particuliers, qui touche le 1er comme le 2nd degré. La formation des enseignants de l’AIS (adaptation intégration scolaire) a fait l’objet d’un changement que Philippe Cormier analyse sous l’angle des limites de l’alternance entre l’IUFM et les pratiques, en s’interrogeant sur les découpages de contenus qu’il estime contraires à la dynamique d’analyse de pratiques dans cette formation. Du côté des établissements, on assiste à des évolutions fécondes en Segpa : une prise en compte des intérêts de l’élève et des démarches de projet, plus d’échanges et de réciprocité avec les professeurs de collège, une formation professionnelle renouvelée (A. Philip). L’évolution des identités professionnelles passe aussi par une transformation des pratiques dans la classe. L’entrée des « auxiliaires de vie scolaire » modifie l’accompagnement cognitif et relationnel des élèves et suppose une formation minimale à la gestion des relations humaines (Marc Édouard). L’expérience d’Annie Chiffoleau, professeur de mathématiques auprès des lycéens handicapés, trace avec sensibilité et réalisme le chemin patient et passionnant qui rend leur intégration possible et réussie. Enfin, Charles Gardou (coordonnateur du dossier précédent : n° 276) nous invite à partager une révolution culturelle qui s’adresse à tous les acteurs de l’Éducation et qui passe par une reconnaissance de la vulnérabilité : une dynamique de reliance [[Titre de la revue du Collectif de recherche situations de handicap, éducation, sociétés (CRHES, université Lumière Lyon).]] engagée depuis dix ans à l’université de Lyon.

Kristel Godefroy, conseillère pédagogique 1er degré à Nantes.

Remerciements à Patricia Biteau et Christophe Roiné (conseillers pédagogiques AIS) qui ont aidé à la réalisation de ce dossier et à Hervé Benoît, rédacteur en chef de la Nouvelle revue de l’AIS qui a apporté une contribution décisive.