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Réformes, ou le « dessein » dans le tapis

Parallèlement à la position  » officielle  » de notre mouvement exprimée dans la rubrique Paroles du CRAP, une analyse proposée par la responsable de cette rubrique, afin de resituer l’actualité dans le long terme. Comme le précédent, ce texte nous fait mesurer l’ampleur de nos tâches pour faire passer les intentions dans une réalité qui ne soit pas décevante.

Voici venue une rentrée symbole qui va conduire les écoliers vers le troisième millénaire. Nous y entrons munis de plusieurs viatiques ; la charte  » Pour bâtir l’école du XXIe siècle « , le rapport  » Le collège de l’an 2000 « , la réforme du  » lycée du XXIe siècle « . Cet ensemble composé de textes de nature variée, traduit un état d’avancement de la réflexion sensiblement différent d’un degré à l’autre. Le collège vient de vivre des changements importants dont les dernières étapes ne sont pas encore achevées. L’école et le lycée vivent sur des changements de structures plus anciens et dont on peut déjà tirer un certain nombre d’enseignements. La lecture est instructive à la fois par ce qu’elle révèle de références à des pratiques éducatives et pédagogiques semblables, de contenu idéologique en évolution très sensible.

Le préambule du rapport sur les collèges  » Un débat nécessaire  » est sans conteste le plus politique. Les textes sur le lycée sont techniques puisque nous en sommes à la mise en uvre. Néanmoins, on peut s’étonner qu’il existe, notamment dans le discours d’ouverture de Bernard Toulemonde (DESCO) pour le lancement de la réforme de la classe de seconde et dans la lettre du ministre qui présente les aménagements de programmes, si peu de références aux enjeux politiques désignés de façon précise par le rapport sorti de la consultation. Quant à la charte pour l’école, elle s’ouvre sur un préambule tout entier pédagogique. Ce n’est certes pas non plus un hasard, si c’est le seul texte qui évoque expressément un accompagnement par la recherche et auquel est joint un texte du directeur de l’INRP. Différence d’inspiration ? Prudence politique pour ne pas rappeler les idées qui fâchent ? Reconnaissance des différences de culture entre les degrés d’enseignement ?

Quelques motifs semblables se retrouvent pourtant dans tous ces textes. La référence à l’école de la république et la volonté d’éduquer à la citoyenneté 1 est sûrement le point le plus frappant. La citoyenneté est la grande affaire de l’école : est-elle aussi celle de l’ensemble de notre société ? La société civile n’est-elle pas en train de se décharger sur l’école d’une tâche qu’elle se révèle impuissante à mener à bien, non seulement auprès des jeunes mais aussi auprès des adultes ? Si le flou règne sur les contours du concept de citoyenneté, une certitude paraît sous-tendre tous ces textes : la socialisation des adolescents ne relève pas de la seule responsabilité des éducateurs ; les enseignants doivent en prendre leur part. C’est bien une mutation majeure de la profession qui se dessine progressivement au fil des textes.

L’autre mutation est portée par la mise en place de dispositifs variés d’aide aux élèves. Depuis le rapport Bourdieu-Gros sur les contenus d’enseignement, l’idée que la maîtrise des techniques du travail intellectuel est une des clés de l’apprentissage, semble avoir fait son chemin. Mais on peut aussi s’interroger : la multiplication des dispositifs n’entérine-t-elle pas l’idée que les pratiques de classe résistent à prendre en charge les accompagnements nécessaires à l’apprentissage et constituent finalement le point aveugle des réformes ? En particulier, il faut souligner le silence pudique des textes sur les pratiques d’évaluation et d’orientation. Seul le rapport sur les collèges évoque la question du pilotage des établissements sans entrer dans les raisons pédagogiques qu’impliquerait un tel pilotage (existe-t-il des  » indicateurs simples des performances des collégiens  » ?). Or, c’est bien là que se situent les enjeux : rapport au savoir, maîtrise du métier d’élève, relations dans la classe, possibilité de se projeter dans l’avenir, estime de soi, etc.

Car il semble bien que ces textes ne progressent pas dans la transposition pratique de la différenciation pédagogique, celle que définissait Louis Legrand comme résultat d’une double exigence, maintenir l’hétérogénéité des classes tout en visant des objectifs communs pour tous les élèves. Il est instructif de remarquer l’usage désormais courant du substitut  » diversification « . La rubrique  » Des parcours divers  » (Le collège de l’an 2000, pages 136-137) est tout à fait représentative de ce discours volontariste, mais sans grand rapport avec la réalité : après avoir affirmé avec force le principe de la communauté des objectifs et celui de l’hétérogénéité des classes, on préconise le maintien des classes spécifiques qui, toutefois, ne doivent pas se transformer en filières de relégation. Sachant ce que nous savons, pouvons-nous y croire ?

Les choix politiques de la démocratisation de l’école française (une même école pour tous, avec des finalités communes) conduisent à un paradoxe pratique : comment conduire des groupes hétérogènes à un même but ? On a tenté d’assouplir le fonctionnement des établissements, de renforcer les moyens éducatifs dans les zones les plus exposées. Mais le passé a montré que les changements de structures et l’affectation des moyens ont des effets ambigus qui ne valent que ce que vaut leur mise en uvre. Ils sont impuissants à changer la réalité intime des classes. Il semble bien que la tâche prioritaire des premières décennies du millénaire sera de construire ensemble de vraies réponses pratiques aux questions du quotidien (comment faire ?) que se posent les enseignants et les éducateurs, de penser l’environnement des actes éducatifs (temps, locaux, moyens) en fonction des nécessités de l’apprentissage et de cesser de plier les apprentissages pour les faire entrer de force dans les interstices laissés par l’organisation matérielle et les structures.

rançoise Clerc, professeur à l’IUFM de Nancy.