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Refonder l’école, l’affaire de tous

Pourquoi vouloir « refonder » l’école ? L’école est dans la société, évolue avec elle, contribue à son évolution. Elle accueille désormais des enfants équipés de moyens de communication sophistiqués et grandissant dans un univers façonné par le multimédia, des enfants d’origines culturelles diverses et plus ou moins reconnues, des enfants qui doivent trouver leur chemin dans un monde difficile marqué par l’accroissement des inégalités et le souci de la « compétitivité ». Ses finalités comme son fonctionnement sont interpelés au quotidien dans les classes, et son image dominante dans les médias est celle d’une institution en difficulté, qui peine à assurer ses missions. Alors oui, il est temps de repenser la place de l’école dans notre société, ce qu’elle peut et doit apporter dans l’éducation de la jeunesse. Il est temps de dépasser en particulier la séparation des tâches entre une école qui instruit et la famille qui éduque, pour prendre en compte la contribution de nombreux autres acteurs, institutionnels, mais aussi associatifs, médiatiques, etc.

C’était bien l’esprit de l’appel de Bobigny en faveur d’un « grand projet national pour l’enfance et la jeunesse », signé par des organisations représentant des lycéens, des étudiants, des enseignants, des professionnels du monde éducatif, des élus locaux, des bénévoles du secteur associatif. Il s’agissait d’appeler à « la mobilisation de tous autour de l’éducation et de la formation, dès la petite enfance et tout au long de la vie ».

Le nouveau président de la République a déclaré vouloir faire de l’éducation une priorité de son quinquennat. Qu’en est-il à l’épreuve de la réalité ? Les signataires de l’appel de Bobigny ont-ils été entendus ? Oui, si l’on considère la relative réussite de la concertation pour la refondation de l’école lancée en juillet : ouverts à tous les acteurs associatifs, syndicaux, institutionnels, les débats ont permis des échanges fructueux, contribué à faire évoluer les positions, abouti à des points de consensus. Nettement moins, si l’on considère les péripéties de la préparation de la loi ces dernières semaines.

Certes, il faut bien traduire les grandes ambitions en décisions précises et concrètes. Mais il ne faudrait pas que la refondation se limite à la seule question des temps éducatifs, que celle-ci ne soit posée qu’à l’école primaire, qu’à l’échelle de la journée et de la semaine, et qu’au final on considère que ce n’est qu’une question de temps de service des enseignants ou de problèmes financiers pour les collectivités locales. Il ne faudrait pas que des enjeux qui concernent de nombreux acteurs se limitent à des négociations entre le cabinet du ministre et les représentants syndicaux des enseignants, à des compromis entre l’État employeur et ses fonctionnaires. Il ne faudrait pas que le souci de l’intérêt général, l’ambition de construire collectivement une école plus juste, plus efficace laisse place à la seule défense des intérêts catégoriels, légitime, mais forcément étroite.

Le passage de la loi au Parlement, puis sa traduction dans des décrets d’application seront l’occasion de poursuivre les débats. Trois conditions sont indispensables pour ne pas retomber dans les ornières du passé :
– ne pas réduire les questions éducatives au seul cadre scolaire, et donc associer tous les partenaires du monde éducatif à la réflexion et à la mise en œuvre des réformes ;
– ne pas réduire les questions scolaires aux seules conditions d’exercice des métiers enseignant, et donc considérer qu’il faut repenser en priorité les modalités d’apprentissage proposées à tous les élèves ;
– ne pas réduire les problèmes professionnels du monde enseignant aux seules questions syndicales, et donc considérer que c’est l’ensemble de la profession qu’il s’agit d’écouter et de mobiliser, au-delà des négociations paritaires.

La refondation de l’école, la construction d’un nouveau cadre éducatif sont bien l’affaire de tous. On ne peut que souhaiter que tous les personnels concernés aient les meilleures conditions de travail possible pour assurer leurs missions. Mais c’est aussi en s’appuyant sur des convictions fortes comme l’éducabilité de tous, sur l’énergie et l’enthousiasme de chaque professionnel de l’éducation pour faire progresser chaque enfant, sur la volonté des équipes de contribuer à une éducation commune que nous pourrons, chacun à notre mesure, être à la hauteur des enjeux.

Patrice Bride
Rédacteur des Cahiers pédagogiques