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« La loi de 2012 a placé l’école au cœur du débat public », « elle a mis en avant la nécessité du projet éducatif territorial », « une avancée en forme de slogan : la priorité aux plus fragiles », « la loi renvoie à une conception systémique de la réforme, ce qui est un progrès par rapport aux années précédentes où on prenait les choses par petits bouts » : tels ont été les points positifs de la « refondation » pour les quatre intervenants de la table ronde, respectivement Philippe Meirieu, chercheur en pédagogie et vice-président du Conseil Régional du Rhône-Alpes, Yves Fournel, élu lyonnais et un des principaux initiateurs de l’Appel de Bobigny, Philippe Watrelot, président du CRAP et Nathalie Mons, sociologue de l’éducation. Ils venaient de se livrer à l’exercice « tour de chauffe » proposé par les organisateurs qui leur demandaient aussi de souligner un obstacle ou une difficulté qui faisait piétiner la réforme ou la mettait en péril.

Après ce démarrage, les quelques deux cents participants de cette manifestation ont pu assister à des échanges passionnants, loin de la langue de bois et du conformisme, qu’il soit d’approbation ou de contestation simpliste. La clé de la réussite de ce débat a été aussi une organisation favorisant les interactions autour de quatre grandes entrées : le temps de l’enfant et du jeune, la formation des enseignants, les contenus et programmes et les stratégies de changement.
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Bien sûr, nous ont dit nos quatre débatteurs, il y a des raisons d’être inquiets, perplexes, voire déçus devant les écarts entre espoirs et réalisations concrètes. A propos de la formation initiale et des ESPÉ, comme le souligna Philippe Watrelot. Ou de cette formation continue toujours quasi absente, malgré les promesses d’« obligation de formation » du candidat Hollande, malgré surtout son impérieuse nécessité pour accompagner le changement. Ou de cette logique scolaro-centrée qui continue à régner, alors que la forme scolaire inventée en France par Guizot en 1834 est désormais caduque et qu’il faut réinventer autre chose, ce qui ne signifie pas, comme on le fait trop aujourd’hui « externaliser » les problèmes (Philippe Meirieu). Nathalie Mons a de manière très claire dégagé un certain nombre d’obstacles propres à une réforme de notre système, laquelle d’ailleurs a « pris du retard » par rapport à d’autres systèmes européens, en particulier le fait qu’elle concerne tout de suite une très grande partie de la population, dans un pays encore bien centralisé. Et la très grande faiblesse de la formation pédagogique des enseignants leur donne insuffisamment d’expertise pour avoir du poids dans la construction de réformes, alors même qu’il y a à la limite 60 millions d’experts de l’éducation, qui ont tous un avis sur la question. Mais contre une vision enchantée de l’action publique qui conduit forcément à la déception, il faut envisager les évolutions sur le temps long, une échelle de dix ans étant un minimum.
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Ne pensons pas pour autant que l’unanimisme a régné durant cette table ronde. En témoigne l’échange vigoureux et stimulant entre Philippe Watrelot et Philippe Meirieu à propos des compétences. Pour ce dernier, si la notion de compétence est très certainement intéressante et utile, le « tout-compétences » et le paradigme de la compétence sont en revanche dangereux, dans une logique technocratique de l’« employabilité ». Il se félicite cependant de la réintroduction du mot « culture » dans la définition du socle commun, car tout ne se réduit pas aux compétences qui selon lui conduisent souvent au béhaviorisme et à l’évaluation permanente. Philippe Watrelot conteste cette nocivité supposée de la compétence, dès lors qu’on défend un travail par compétences, bien éloigné de la pédagogie par objectifs et qui n’est rien d’autre qu’un « savoir en action ». Un débat déjà amorcé entre notre mouvement et notre ami Meirieu qui devra être poursuivi, notamment à l’occasion de la réécriture des programmes.

Un après-midi où l’on a débattu sans polémique, réfléchi à plusieurs, avec de nombreux questionnements et interpellations de la salle, où l’on a pu mesurer la complexité de tout changement, organisé par un de ces mouvements qui, comme l’a souligné Philippe Meirieu, rappelant l’importance historique de l’éducation populaire et de la pédagogie, constituent bien une force innovante que l’institution devrait davantage soutenir.

En clôture de ce débat, mais aussi de deux jours de travail du CRAP-Cahiers pédagogiques réuni avant en assemblée générale pour définir les orientations 2013-2015, Philippe Watrelot a rappelé que dans tous les cas, on ne pouvait rester passif, observateur plus ou moins sceptique, mais que l’engagement, dans une société et une école qui ne vont pas très bien, était plus que jamais à l’ordre du jour.