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Réflexions, précautions

Les échanges ont été nourris sur la liste de diffusion interne du CRAP-Cahiers pédagogiques ce weekend. Besoin de parler, d’écrire, d’échanger des ressources, de construire ensemble des réponses pour les élèves… Voici quelques extraits des messages échangés.
L’école, lieu de paix

Je suis comme beaucoup d’autres très admirative en voyant toute l’activité que vous déployez et tout ce que vous prévoyez, mais je suis aussi un peu inquiète : contrairement à vous tous sans doute, j’ai passé toute ma scolarité secondaire dans un pays en guerre, l’Algérie. On refusait le mot guerre, il n’y a jamais eu d’avions dans le ciel d’Alger mais c’était une guerre et maintenant on l’admet.

Je sais que les conditions d’info et d’intox ont changé, mais regarder tous les matins dans le journal avant de partir au lycée le haut, à gauche, de la page 3 du journal l’encadré (parfois très long) où on publiait la liste des personnes tuées ou blessées la veille, pour s’assurer qu’il n’y avait personne de connu, n’est pas plus rassurant que de consulter je ne sais quel réseau social, je crois.

Si j’ai gardé un si bon souvenir de mes années lycée, alors que j’étais un très piètre élève, c’est avant tout parce qu’on n’y a jamais publiquement parlé de la guerre, quand on entrait au lycée, on laissait la guerre de l’autre coté du portail.

Quand on est gosse ou ado, on a la trouille au ventre pour un tas de dangers réels ou supposés, arriver dans un lieu où on est persuadé de ne rien risquer est une source de quiétude infinie. S’il vous plait, dans tous vos dispositifs, n’oubliez pas de faire admettre avant tout à vos élèves, que dans cet endroit (l’école, le collège, le lycée) ils sont dans un lieu de paix et que c’est ça surtout que vous efforcez de faire vivre et perdurer.

Elizabeth Thuriet
Paris, et Beyrouth

Il faut selon moi à tout prix éviter l’erreur de croire que c’est la France et ses valeurs qui sont visés aujourd’hui.

Contrairement au 7 janvier, ces attentats sont des représailles politiques face à l’engagement français face à Dae’ch. Que cet engagement soit judicieux ou non dans sa forme, qu’il soit justifié ou non, une réaction de défense ou de prévention ou non, cela est un vaste débat politique qu’il peut être intéressant d’avoir. Et sur lequel d’ailleurs je n’ai pas d’opinion arrêtée.

Cependant, si nous voulons nous concentrer sur l’unité, pas seulement nationale, mais globale face au terrorisme, il me semble très inapproprié et nombriliste de réduire ces attaques à des attentats contre la France et ses valeurs.

Je tiens à rappeler que Beyrouth a fait l’objet d’attentat similaires la veille, venant du même groupe armé. Et que ces attentats ne sont pas les premiers.

Une chose est sûre, Dae’ch a déclaré la guerre à beaucoup de puissances dans la région et au-delà, entendant y faire sa place. Cette menace est une menace internationale, mettant en périls les vies non seulement des Français, mais des dizaines de milliers de personnes dans le monde. Il ne s’agit en rien d’un conflit de valeurs, il s’agit du plus bête, stupide et froid conflit géopolitique. Et si nous entrons dans cette rhétorique des valeurs, nous risquons de diviser bien plus que d’unir… encore plus nos élèves.

Fadi Makki
Le choix de l’éducation

Nous savons que nous vivons dans un monde où la haine et la guerre sont présentes et contagieuses ; nous savons que les droits humains sont menacés partout dans le monde.

Nous savons qu’il y a encore beaucoup d’injustices, et que des fanatiques s’en servent comme prétexte à leur cruauté.

Mais nous savons aussi que nous sommes capables d’écouter les autres, de réfléchir, de progresser. C’est notre choix, celui de l’éducation.

Jean-Pierre Fournier
À chaque âge…

Nos réactions dépendront du niveau dans lequel nous enseignons. Évidemment, nous n’agirons pas de la même façon en maternelle, en collège ou au lycée. Chaque âge développe une problématique différente face à ces événements.

Les petits interrogent le monde : est-ce que je suis en sécurité dans le monde dans lequel je vis ? Mais il faut noter que ce monde n’a pas la même dimension que celui d’un adolescent ou d’un adulte. Oui, dans son environnement appréhendable, l’enfant est en sécurité. À l’école, nous sommes en sécurité et nous veillons sur vous.

Mais les petits ne peuvent pas prendre de distance avec ce qu’ils voient et entendent à longueur de journée. Est-ce que l’événement a eu lieu une fois ? plusieurs fois ? Est-il terminé ? Il faut les rassurer, leur dire que c’est fini, et que ça a eu lieu une fois.

De plus, l’événement impensable peut éveiller autre chose qui n’est pas en lien direct. L’angoisse des parents, le désarrois des adultes peuvent être culpabilisants pour le petit qui n’a pas les moyens conceptuels pour mettre des mots et des pensées. L’impensable et l’impensé se rejoignent, comme deux éléments pas encore pensés, potentiellement porteurs d’une culpabilisation d’eux-mêmes. Il faut leur dire qu’ils n’y sont pour rien, que d’autres personnes ont fait ces actes abominables.

L’adulte peut être anxiogène s’il n’est pas maître des émotions qu’il ressent, mais une trop grande prise de distance peut aussi être problématique, en niant, implicitement, le caractère dramatique de l’événement. La difficulté sera de gérer ses émotions, tout en ne les niant pas.

Pour les plus grands, il faut les faire parler et ne pas parler pour eux. Certains cependant ne pourront ou ne voudront pas s’exprimer, il ne faut pas les forcer. Je crois que la répétition des images en boucle peut amener une perturbation temporelle. Cela avait été remarqué lors des attaques du 11/09/2001. Leur répétition donne la sensation d’une dilatation temporelle voire qu’ils sont encore en cours. Il faut donner des limites à l’événement : ça s’est passé dans tels lieux, à tel moment. Mais maintenant, c’est terminé.
Il faut ensuite rassurer, parler de solidarité…

L’école est un lieu qui soigne !

Jean-Charles Léon
Espoir

J’espère sincèrement qu’on ne retombera pas dans les mêmes excès et crispations autour de la minute de silence (prévue à midi) qu’en janvier. La presse et certains politiciens avaient alors instrumentalisé les quelques incidents et refus de respecter cette minute de silence. On avait vu alors des enfants au commissariat et une surenchère dans l’injonction à être Républicain. J’espère que les choses se passeront mieux cette fois-ci. D’autant plus que la nature de ces attentats aveugles est différente de celle des attentats ciblés de janvier.

Philippe Watrelot

Le dessin «Peace for Paris» est de Jean Jullien, @jean_jullien sur Twitter.


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