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Réflexion civique ou emballement médiatique ?

C’est un bien étrange paradoxe que nous propose l’appel publié par le Journal du Dimanche, signé par de nombreux historiens et personnalités politiques, qui fait tant de bruit depuis quelques jours. Ces auteurs invoquent les nobles finalités de l’histoire-géographie, «la formation intellectuelle et la réflexion civique des futurs citoyens», s’inquiétant que la disparition de l’histoire-géographie en terminale S «ouvre la voie aux réactions épidermiques et aux jugements sommaires». Nous ne pouvons que partager ces ambitions, et donc ces inquiétudes. D’ailleurs, selon une tournure de langage familière du côté de l’Élysée, qui oserait affirmer, n’est-ce pas, que «les futurs bacheliers scientifiques n’ont nul besoin de se situer dans le monde d’aujourd’hui» ? Comment, soyons sérieux, prétendre qu’ils n’ont pas besoin de se faire «une opinion raisonnée grâce à une approche scientifique et critique» ? Mais cet appel, cette démarche est-elle à la hauteur des enjeux qu’elle promeut ? Il nous semble bien qu’elle n’échappe pas à la mise en abyme de la «réaction épidermique»…

L’écho considérable qu’a connu cet appel peut laisser penser qu’il ne s’agit pas que d’arguments raisonnés, que quand le journal titre «Il faut sauver l’histoire !», un autre deux jours plus tard «L’histoire en phase terminale», c’est avant tout sur le registre émotionnel, sur l’évocation d’images fortes de l’histoire qu’il s’agit de jouer. Ce sont des opinions très simples, de l’ordre du réflexe que l’on suscite : «plus jamais ça», «celui qui ne connait pas le passé est condamné à le revivre», etc. Utiliser le mot et la démarche de «l’appel», c’est se situer dans le registre du «J’accuse !» d’Émile Zola, du 18 juin 1940 de de Gaulle, et la grandiloquence des unes de presse et des commentaires que cette pétition suscite montre bien à quel point il est facile de jouer de cette corde. Certes, le capitaine Dreyfus n’était pas coupable, l’armistice de juin 1940 une piteuse capitulation. En est-on vraiment là lorsqu’il s’agit de décaler les heures d’enseignement de terminale S en première, à quelques heures près ? Est-il vraiment opportun de sortir les étendards de la citoyenneté à cette occasion ? Les personnalités publiques qui ont lancé cet appel savent parfaitement que de telles proclamations ne sont pas des contributions au débat, mais la meilleure façon de l’interdire : êtes-vous pour ou contre nous ? Vous ne pouvez pas être contre, la cause est entendue !

Et alors tant pis pour la réforme du lycée, puisque dès qu’il sera question de modifier les horaires de telle ou telle discipline, ou simplement de les déplacer d’une année à l’autre, on nous menacera de «régression formidable qui pourrait concourir à une amnésie générale» (Pierre Milza), on mettra au pilori ceux qui veulent «priver [les élèves de terminale] de la culture générale la plus élémentaire qui forme l’entendement des citoyens» (Hélène Carrère d’Encausse), on dénoncera «une amputation, une offense à l’idée que l’on va se faire de l’enseignement général» (François Bayrou). Ou comment les hérauts de la pensée se transforment en apôtres du statu quo.

Tant pis pour ceux qui ne se contentent pas des proclamations outrancières, et qui souhaitent prendre au sérieux la question du «comment ?» : comment faire évoluer le lycée général pour le rendre plus démocratique, c’est-à-dire moins élitiste ? Comment faire évoluer les frontières et les contenus des disciplines, sur la base des découpages des savoirs hérités du passé, pour les rendre pertinents et utiles aux jeunes du monde d’aujourd’hui ? Comment articuler culture générale et spécialisation dans un champ de connaissances ? Comment avoir des ambitions intellectuelles importantes pour l’ensemble de la jeunesse, en ne se préoccupant pas seulement des futurs bacheliers scientifiques et de leur plus ou moins grande possibilité «d’accéder à certaines formations supérieures de haut niveau» ?

Osons élargir le débat : quelle conception du métier d’enseignant, à l’heure où les choix budgétaires le réduisent à dispenser des leçons sans avoir le temps de se préoccuper de ce que les élèves apprennent ? Quelle formation initiale pour des spécialistes des apprentissages, sur la base de la maitrise des connaissances universitaires ?

Pour notre part, c’est sur ces questions que nous aurions aimé avoir des contributions du monde intellectuel, des décideurs politiques. Certes, les décisions autoritaires du gouvernement, mal habillées par une politique de communication agressive, ne contribuent pas à instaurer les conditions d’un débat sérieux sur l’école. Mais puisqu’il est question de «bataille de l’intelligence», soyons à la hauteur.


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Entre le gouvernement et l’histoire, une ligne j@une infranchissable ?

Émission de Arrêt sur Images avec la participation de Patrice Bride (diffusion du 9 décembre 2009)


Un dossier des Cahiers pédagogiques

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N° 471 – Apprendre l’Histoire
Dossier coordonné par Patrice Bride et Pierre-Philippe Bugnard, paru en mars 2009

Pour être bon en histoire, suffit-il « d’apprendre ses leçons », quitte à en oublier rapidement la plus grande partie ? Dans ce dossier, nous voulons plutôt prendre au sérieux la vocation de la discipline à former à la citoyenneté, à l’esprit critique, à « l’intelligence active »… Comment les enseignants de tous les niveaux s’y prennent-ils pour amener leurs élèves à « penser l’Histoire » ?
Un dossier qui propose de nombreux récits de pratique et des réflexions pour aider les élèves à mieux apprendre l’Histoire, pour mieux se situer dans le temps du XXIe siècle.

Programmation 2014-2015

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