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Reconsidérer l’erreur

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Un document national, mis au point par le ministère depuis 1989, permet de mesurer les performances des élèves : il s’agit des cahiers d’évaluation nationale[[Cette évaluation a lieu à la rentrée scolaire, pour les élèves de CE2 (à l’entrée dans le cycle 3 de l’école élémentaire), de 6e (entrée au collège) et de 2de (entrée au lycée). Depuis la rentrée 2001, il existe une évaluation grande section/CP et depuis 2002, une évaluation en 5e.]] qui proposent différents exercices de français et de mathématiques. Un moment essentiel de l’évaluation consiste en l’analyse des réponses et des erreurs :

« L’évaluation doit conduire à un dialogue avec les élèves, portant sur l’explicitation des procédures qu’ils ont mises en œuvre, afin qu’ils prennent conscience de leurs acquis mais aussi de leurs difficultés. » (BOEN, 26/07/01)

L’erreur trouve un nouveau statut : elle est une aide pour l’élève qui, au travers de l’explicitation de ses choix mesure la pertinence de la procédure qu’il a mise en jeu et une aide pour l’enseignant qui, ainsi, peut comprendre le fonctionnement mental de l’élève.

Nous avons voulu, au travers d’exemples d’erreurs et de non-réponses[[Un logiciel, fourni par le Ministère, permet de traiter les réponses et donne pour chaque item le score de réussite, le score d’échec et le pourcentage de non-réponses.]] en français, pris dans les cahiers d’évaluation 2002 de trois CE2 d’une même école (soit 73 élèves), montrer l’enjeu d’une telle analyse. Nous avons mis en place un dispositif permettant, pour une classe, l’explicitation collective d’erreurs et pour quelques élèves des deux autres classes, une explicitation individuelle. Ce dispositif a confirmé ce que nous avions déjà remarqué :
– Qu’il existe une logique cachée de l’erreur, révélatrice des procédures, des représentations, des modes de raisonnement des élèves à l’entrée au CE2, vers 8 ans,
– Que l’explicitation des erreurs, en présence d’un enseignant[[L’expérimentatrice est elle-même enseignante.]] , conduit les élèves à les reconsidérer, comme l’indiquent ces réflexions, récoltées à la fin de la séance collective :

Les erreurs ne sont pas toujours des erreurs. (Kévin)
Il y a plusieurs réponses partielles possibles. (Philippine)
Les erreurs sont intéressantes car elles nous apprennent comment on réfléchit. (Morgane)
Ainsi, réfléchir sur l’erreur va nous aider à nous faire avancer dans nos difficultés. (Marine)

– Et que l’erreur peut trouver sa cause dans le document qui est proposé à l’élève (problème de la consigne, du document fabriqué).
Il y a donc là un véritable enjeu à reconsidérer l’erreur et c’est ce que nous avons voulu montrer, en nous appuyant sur les réponses orales des élèves, retranscrites minutieusement.

1. L’expérimentation

1. 1. Le choix des exercices
Parmi le nombre d’exercices du cahier d’évaluation en français, le choix s’est porté sur quatre textes questionnant l’élève sur le sens[[Ont donc été exclus les exercices demandant de dessiner un trajet, de recopier ou de discriminer des sons.]]. Dans le cahier de présentation de l’évaluation, ces exercices se situent dans le champ du « savoir lire », visant la capacité de l’élève à comprendre un texte (ex. 6, 7, 12) et à maîtriser les outils de la langue (ex. 11). Ils visent des compétences précises et nous n’en avons retenu que certaines, ayant posé problème aux élèves. Chaque compétence est identifiée par un numéro d’item.

Texte de l’accident (ex. 6)

Lorsque les trois filles arrivèrent devant l’école, la grille était fermée et la cour était vide. Elles étaient essoufflées d’avoir couru pour rattraper leur retard, mais cela n’avait pas sufi. La grosse horloge au-dessus de la porte d’entrée marquait 9 heures et demie.
– Oh la la ! On a une demi-heure de retard, dit Manon à ses deux copines. Maintenant c’est fermé, il faut sonner. Vas-y Caroline !
Caroline appuya sur la sonnette et elles attendirent un bon moment. Enfin, Monsieur Duguet, le directeur, traversa la cour pour venir vers elles.
– Vous êtes bien en retard, dit-il à travers la grille. Que vous est-il arrivé ?
– On a vu un accident, dit Manon.
– Un accident ? dit le directeur. Que s’est-il passé ?
– On a amené ma petite sœur à l’école maternelle à 8 heures et demie comme d’habitude. Juste quand on repartait, une dame qui traversait la rue s’est fait renverser par une voiture. Elle est tombée ; alors, Caroline et moi, on est vite allées à son secours ; on a ramassé ses affaires pendant que Julie allait vite chercher le policier au bout de la rue.
– Vous avez bien fait, je vous félicite, dit le directeur en ouvrant la grille. Et alors, Manon, c’était grave ?
– Non, pas très grave. Elle avait un peu mal au genou mais elle a pu rentrer chez elle. On a vite couru mais c’était trop tard pour arriver à l’heure.
– Remettez-vous de vos émotions, dit le directeur, et montez vite en classe.

L’épreuve comporte 5 questions et les élèves ont 9 minutes pour y répondre.
L’item 36 (5° question) vise la compétence de l’élève à sélectionner, parmi quatre propositions, la phrase qui résume le mieux l’histoire. Il y a eu sur l’ensemble des 3 CE2 : 63 % de réussite, 25 % d’échec et 11 % de non-réponse[[Le 1 % manquant comptabilise les enfants absents le jour de l’évaluation.]].

Texte de l’affiche (ex. 7)

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L’épreuve comporte 6 questions et les élèves ont 5 minutes pour y répondre.
L’item 38 (2° question) vise la compétence de l’élève à donner après lecture des informations ponctuelles sur une affiche et notamment, pour cet item, à trouver le nom de la ville où a lieu l’événement. Il y a eu sur l’ensemble des 3 CE2 : 39 % de réussite, 47 % d’échec et 12 % de non-réponse.

Texte de Wan (ex. 12) 

Il y a très longtemps vivait un jeune homme qui s’appelait Wan.
Chaque jour, Wan allait boire une tasse de thé près de chez lui. Il n’avait jamais de pièces pour payer, mais il laissait souvent un dessin à l’aubergiste pour le remercier.
Un matin de printemps, Wan dit à l’aubergiste :
« Je vais partir en voyage. Vous m’avez toujours bien accueilli. C’est pourquoi je veux vous donner quelque chose. »
Wan sortit de sa poche un pinceau et un petit pot d’encre de Chine. Puis il dessina sur le mur de l’auberge un grand oiseau, un magnifique héron.
L’aubergiste et les clients n’en revenaient pas : on aurait dit un véritable oiseau, prêt à s’envoler.
Et Wan ajouta :
« Quand tu frapperas trois fois dans tes mains, le héron descendra du mur et il dansera sur le sol. »
Ann Rocard, Le grand Livre des petites histoires (Éditions LITO, 1991)

L’épreuve comporte 5 questions et les élèves ont 8 minutes pour y répondre.
L’item 60 (3° question) vise la compétence de l’élève à répondre à une question ouverte nécessitant la mise en relations d’informations. Il y a eu sur l’ensemble des 3 CE2 : 80 % de réussite, 11 % d’échec et 8 % de non-réponse. L’item 62 (5° question) vise la compétence de l’élève à choisir le titre d’un texte parmi plusieurs propositions. Il y a eu sur l’ensemble des 3 CE2 : 56 % de réussite, 34 % d’échec et 9 % de non-réponse.

Texte du message (ex. 11)

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L’épreuve comporte 3 questions et les élèves ont 4 minutes pour y répondre. Le message est en écriture cursive informatisée.
L’item 55 (1° question) vise la compétence de l’élève à identifier le destinataire du message. Il y a eu sur l’ensemble des 3 CE2 : 65 % de réussite, 33 % d’échec et 1 % de non-réponse. L’item 57 (3° question) vise la compétence de l’élève à identifier l’auteur du message en utilisant des indices morphosyntaxiques (marques du féminin). Il y a eu sur l’ensemble des 3 CE2 : 61 % de réussite, 33 % d’échec et 5 % de non-réponse.

1.2. Le dispositif
L’expérimentation s’est faite en deux 2 temps :
Avec toute une classe de CE2 (24 élèves)[[Je tiens à remercier tout particulièrement l’enseignante de cette classe, Michèle Honey, pour son aide et ses précieux conseils.]]
Les élèves répartis en groupes avaient devant eux un montage de réponses pour un item donné. Ce montage était constitué de tout l’éventail des erreurs rencontrées dans les cahiers des trois CE2 et des non-réponses (c’est-à-dire quand aucune réponse n’est donnée). Les différents groupes devaient réfléchir aux réponses écrites sur les documents. Le fait d’avoir rendu les réponses anonymes a permis aux élèves de se focaliser sur les propositions, ne se sentant pas ainsi directement concernés par les erreurs, puisque leur nom n’apparaissait pas. Les élèves ont compris ce que l’expérimentatrice attendait d’eux puisqu’ils ont reformulé la consigne ainsi : « On va essayer de savoir pourquoi l’élève a répondu ça. »
Si bien qu’ils ont tenté d’expliquer les réponses ou de justifier les non-réponses. Après cette recherche des groupes, une synthèse avec l’expérimentatrice a eu lieu pour chacun des items concernés. Cette séance a été très appréciée des élèves qui ont pris du plaisir à analyser les documents, à réfléchir en groupes, afin de comprendre les réponses proposées (ou les non-réponses).

Avec quelques élèves (13 élèves de la classe ayant travaillé collectivement sur le statut de l’erreur et 9 élèves appartenant aux deux autres classes).
Chaque élève, muni de son cahier d’évaluation, était interrogé sur ses erreurs concernant les items retenus. Le choix des élèves s’est fait en fonction du type d’erreur aux items retenus. Nous voulions savoir :
– Si les explications apportées par le groupe classe se retrouvaient au niveau individuel, que ce soit pour les élèves ayant subi la première expérimentation ou pour ceux qui ne l’avaient pas subi (c’est-à-dire pour les deux autres classes de CE2)
– Ou si d’autres explications étaient apportées.

2. Les résultats de l’expérimentation

Après la présentation de l’item et du montage, nous donnerons les réponses apportées par le groupe classe puis les réponses individuelles.

2.1. Texte de l’accident
Item 36 : Fais une croix devant la phrase qui résume le mieux l’histoire
Il y avait quatre phrases proposées (seule la deuxième était codée exacte) et le montage comprenait toutes les réponses erronées et la non-réponse :

1. C’est l’histoire de trois filles qui sont arrivées en retard à l’école parce qu’elles ont amené la petite sœur à l’école maternelle.
2. C’est l’histoire de trois filles qui expliquent au directeur qu’elles sont arrivées en retard à l’école parce qu’elles ont assisté à un accident.
3. C’est l’histoire d’une dame qui a eu un accident devant l’école maternelle mais qui a pu rentrer chez elle.
4. C’est l’histoire de trois filles qui se sont fait punir par le directeur parce qu’elles sont arrivées en retard.

Il y a eu sur l’ensemble des 3 CE2 : 1/4 d’échec et environ 1/10 de non-réponse.

Les réponses du groupe classe :

Pour la non-réponse

« L’élève n’a pas voulu répondre faux. »
« Il a hésité alors il n’a pas répondu. »

Ce qui est intéressant dans ces réponses collectives, c’est qu’au-delà de la traditionnelle explication du : « il n’a pas compris » ou « il n’a pas eu le temps », c’est la peur de la faute qui est dénoncée ici par les élèves. La non-réponse acquiert ainsi un autre statut que celui d’absence de réponse, elle peut aussi être un signe de l’hésitation de l’élève devant plusieurs solutions.
À l’inverse, certains élèves ont coché plusieurs cases et le groupe classe le justifie ainsi :

« Il a hésité entre plusieurs réponses qui sont dans l’histoire et il a tout coché. »

Pour les erreurs concernant le choix de la phrase 1 ou 3 :

« L’élève a donné une bonne réponse mais ce n’est pas complet, ce n’est pas le principal. »

Bien souvent, ce sont les phrases 2 et/ou 3 qui ont été choisies et les élèves ont expliqué ce choix par le fait qu’elles contenaient toutes les deux le mot « accident », soulignant que c’est ce mot qui avait induit la réponse. Pour beaucoup d’élèves, le fait d’avoir un accident (phrase 3) l’emporte sur celui d’assister à un accident (phrase 2).
La phrase 4 n’a pas été choisie sauf par un élève qui a coché les phrases 2, 3 et 4. Le groupe classe a proposé deux explications :

« Il n’a pas coché la case 1 car c’était la bonne réponse pour lui et il s’est trompé dans la consigne. »
« Il a pensé que les trois phrases étaient liées entre elles et a pensé au futur : la punition des trois filles. »

Les réponses individuelles ont confirmé ce qui a été dit par le groupe classe : l’hésitation entre plusieurs réponses, l’importance du mot « accident ». L’élève qui avait coché toutes les cases sauf la case 1 a en effet répondu qu’il avait coché toutes les mauvaises réponses et qu’il s’était donc trompé dans la consigne qui lui demandait de cocher la bonne phrase. Mais une autre explication a été donnée par un élève qui vit, au quotidien, ce problème du retard et qui a coché la phrase 1 :

« Moi aussi, j’arrive en retard parce que j’amène ma petite sœur à l’école maternelle. »

L’analyse du document proposé et les multi-réponses des élèves, cochant plusieurs cases, montrent que les trois premières réponses pouvaient résumer le texte (et il y aurait pu en avoir d’autres !). Le problème réside ici dans la consigne de l’exercice : il est difficile de choisir entre des réponses qui sont acceptables d’un point de vue sémantique.

2.2. Texte de l’affiche
Item 38 : Dans quelle ville aura lieu l’événement ? (L’élève devait écrire la réponse.)
Cet item n’a pas été réussi : si l’on comptabilise le pourcentage d’échec et celui de non-réponse, on atteint presque 60 %.
Le montage, proposé au groupe classe, comportait les réponses suivantes :
1. Non-réponse[[Nous ne reviendrons pas sur la justification de la non-réponse, déjà donnée pour le texte précédent (texte de l’accident).]]
2. La ruche
3. Rue Antoine Bourdelle
4. Maison pour tous
5. Maison pour tous/Joué-lès-Tours
6. Maison pour tous rue Antoine Bourdelle

Les réponses du groupe classe :
– Pour la réponse 2 (La ruche)

« L’élève a lu en bas de l’affiche « produits de la ruche », c’est comme « produits d’Aix », c’est le nom de la ville. »

– Pour la réponse 3 (rue Antoine Bourdelle)

« L’élève a copié l’adresse. »

– Pour la réponse 4 (Maison pour tous) :

« L’élève a repéré le nom en capitales en bas de l’affiche. »
« L’élève a lu « Maison pour tous/Joué-lès-Tours » et il a cru que la ville était écrite en premier car la ville, c’est plus important que l’endroit donc on l’écrit en premier. »
« L’élève n’a pas pu reconnaître « Joué-lès-Tours » comme le nom d’une ville parce que ce nom, il ne le connaît pas. »

– Pour la réponse 5 (Maison pour tous/Joué-lès-Tours)
« L’élève a tout recopié car c’était sur la même ligne et il ne savait pas ce que voulait dire « Joué-lès-Tours[[Un élève a même recopié « Maison pour Tour, Joué-lès-Tours », transformant « Tous » en « Tour », montrant ainsi qu’il était possible de tout recopier puisqu’il y avait deux fois le mot « Tour ».]] ».

– Pour la réponse 6 (Maison pour tous rue Antoine Bourdelle)

« L’élève a regardé en bas de l’affiche et a recopié l’adresse. »

Les réponses individuelles confirment l’importance de la typographie pour l’élève :

« J’ai recopié ce qui était en gras et en capitales. »

et le fait que « Joué-lès-Tours » n’a rien d’un nom de ville :

« C’est le nom d’un jeu. »
« C’est plutôt le nom d’un magasin. »
« C’est un mot que j’emploie (jouer des tours) et c’est donc pas un nom de ville. »

Ces réponses individuelles nous apprennent également que les élèves assimilent la rue à la ville, ne différenciant pas le nom de la rue de celui de la ville :

« La rue, c’est pareil que la ville. »
« Dans une ville, il y a plein de maisons, il y a des rues. »

Interrogés sur leur adresse, la majorité des élèves ne la connaissent pas, ne savent pas l’écrire, si bien que l’on comprend mieux pourquoi il est difficile pour eux de sélectionner, en bas de l’affiche, le nom de la ville[[La même question de la recherche du nom de la ville sur l’affiche a été posée à 43 élèves de CM2. Il y a eu 35 % de réponses inexactes, les mêmes que celles des CE2 sauf que « la ruche » n’est plus proposée comme nom de ville. On voit aussi que « Joué-lès-Tours » est difficile à identifier car un élève l’a rebaptisé « Les Tours » et un autre « Tours ».]].

L’observation du document et la difficulté pour les élèves à repérer la ville soulèvent plusieurs questions :
– Pourquoi ne pas avoir choisi un document authentique ? Le plan de l’affiche aurait alors suivi ce plan : titre (l’Abeille, la ruche et ses produits), puis développement du titre (Projection de films, vente de miel et autres produits de la ruche) et enfin, informations sur la date et le lieu (le 30 septembre de 9 heures à 18 heures Maison pour tous, rue Antoine Bourdelle, Joué-lès-Tours).
– Pourquoi avoir redoublé le lieu (une fois au milieu de l’affiche et une fois en bas) ?
– Pourquoi avoir choisi, comme nom de ville, un nom composé qui pourrait être celui d’un village plutôt que celui d’une ville comme Paris, Tours, Marseille… qui sont des noms « simples » ?

2.3. Texte de Wan
Item 60 : Pourquoi n’avait-il jamais de pièces pour payer ? (L’élève devait écrire la réponse.)
Cet item a été réussi par 80 % des élèves mais ce pourcentage comprend la réponse exacte (Wan était pauvre) et une réponse partielle (il le remerciait avec ses dessins), la plus fréquente chez les élèves.
Le montage, proposé au groupe classe, comportait les réponses suivantes :
1. Non-réponse
2. Parce qu’il laissait toujours des dessins (réponse partielle, codée comme exacte)
3. Parce qu’il allait toujours en voyage
4. Parce que les parents de Wan ne lui donnaient pas de pièces
5. Parce qu’à force d’y aller il n’a plus de sous
6. Parce que c’est vieux

Les réponses du groupe classe :

– Pour la réponse 2 (parce qu’il laissait toujours des dessins)

« Les dessins sont pour lui comme des sous. »
« Il préfère garder ses sous pour manger et non pour boire. »

– Pour la réponse 3 (parce qu’il allait toujours en voyage)
L’idée du voyage, que le héros va faire, explique l’économie de Wan :

« Il garde ses sous pour partir en voyage. »
« Il ne veut pas les gaspiller. »

– Pour la réponse 4 (parce que les parents de Wan ne lui donnaient pas de pièces)
Ce sont les parents de Wan qui sont la cause de ce non-paiement :

« Ses parents l’ont abandonné donc il n’a pas de pièces. »
« Ses parents sont peut-être morts alors il n’a pas de sous. »
« Ses parents ne lui donnent pas d’argent parce qu’il ne travaille pas bien. »

– Pour la réponse 5 (parce qu’à force d’y aller il n’a plus de sous)
C’est l’idée d’habitude qui l’emporte, donnée par le début du conte « Chaque jour, Wan allait boire une tasse de thé près de chez lui. » :

« Il va trop au bar et il n’a plus de sous. »
« Il a peut-être vendu tous ses dessins à force d’y aller. »

– Pour la réponse 6 (parce que c’est vieux)
L’explication fait référence au changement de monnaie :

« Il n’a que des francs pour payer or maintenant, il faut des euros donc il ne peut pas payer. »

Ou alors le « ce » est interprété comme le « il », désignant Wan (ce qui est en contradiction avec le début du conte qui le décrit comme jeune) :

« Quand il était jeune, il a tout dépensé alors il n’a plus de pièces. »
« Quand on est vieux, on ne paye pas, on n’a pas de sous. »

D’autres réponses à la question posée, ne figurant pas dans les cahiers d’évaluation, ont été avancées par les élèves :

« Il est copain avec l’aubergiste donc il ne paye pas. »
« On peut payer par chèque donc on n’a pas besoin de pièces pour payer. »

Les réponses individuelles vérifient toutes les hypothèses apportées par le groupe classe. Seules deux nouveautés apparaissent. Elles concernent les réponses 1 (non-réponse) et 6.
Une autre explication est fournie par un élève pour sa non-réponse :

« Je n’ai pas compris le mot « pièces ». Si on avait mis « sous », j’aurais compris. »

Cette non-réponse est peut-être due à la polysémie du mot, d’autant que toute l’histoire se passe dans une seule pièce : la salle de l’auberge. Pour la réponse 6, un élève, ayant répondu « parce que c’est vieux » explique son raisonnement, se référant à l’univers du conte :

« Dans les vieilles histoires, on ne paye pas. »

La lecture de ce conte et les réponses des élèves aux questions montrent que l’élève se situe à mi-chemin entre le réel et le conte, réalité de l’auberge (qui n’a plus tout à fait le même sens aujourd’hui) et univers du conte avec le dessin magique.

Item 62 : Quel est le titre qui convient le mieux à l’histoire ? (L’élève devait cocher la bonne case.)
Quatre propositions étaient données à l’élève :
1. Le héron
2. Le marchand d’oiseaux
3. Un dessin magique
4. La bonne auberge
Cet item a été réussi par 56 % des élèves mais ce pourcentage comprend la réponse exacte (un dessin magique) et une réponse partielle (le héron).
Le montage comprenait chacune de ses propositions ainsi qu’une non-réponse.

Les réponses du groupe classe :
Toutes les propositions ont été considérées comme exactes par les élèves et des explications ont été avancées pour valider chacune d’elles, ce qui expliquerait le faible score de réussite :
– Pour la réponse 3 (Un dessin magique), codée exacte

« Le mot magique va avec le mot conte ».
« Si le dessin n’était pas magique, ce ne serait plus un conte. »

On s’aperçoit que la présence du mot « magique » a peut-être induit la réponse exacte.

– Pour la réponse 1 (Le héron), réponse partielle mais codée exacte

« C’est normal qu’on réponde « le héron » parce que c’est le nom de l’oiseau. »
« L’élève a pensé répondre le dessin magique mais comme ce dessin, c’est un héron alors il a répondu le héron ».

– Pour la réponse 2 (Le marchand d’oiseaux)

« C’est un marchand d’oiseaux parce qu’il vend ses dessins et ses dessins sont des oiseaux. »

– Pour la réponse 4 (La bonne auberge)
C’est la fréquence du mot dans le texte qui justifie la réponse :

« C’est normal qu’on réponde la bonne auberge parce qu’on parle beaucoup de l’auberge. »

Ou la fréquentation du lieu :

« Il allait tous les jours boire dans la bonne auberge, « bonne » parce que le thé y était bon. »

Ou encore le fait que ce soit le lieu de la magie :

« C’est sur le mur de l’auberge qu’il a dessiné le héron. »

Les réponses individuelles confirment les hypothèses apportées par le groupe classe.
Une autre explication est fournie par trois élèves pour la non-réponse :

« Je n’ai pas compris le mot convient ».

La lecture du conte et la validation de chacune des propositions par les élèves montrent que, comme pour le texte de l’accident, la consigne était mal choisie puisque les quatre titres étaient acceptables.

2.4. Texte du message
Item 55 : A qui ce petit mot est-il adressé ? (L’élève devait entourer la bonne réponse : Julie.)
Il y a eu sur l’ensemble des 3 CE2 : 65 % de réussite, 33 % d’échec et 1 % de non-réponse.
Les propositions étaient : à Pierre, à Julie, à Steph, aux parents.
Item 57 : Qui a pu écrire ce message ? (L’élève devait entourer la bonne réponse : Maman.)
Il y a eu sur l’ensemble des 3 CE2 : 61 % de réussite, 33 % d’échec et 5 % de non-réponse.
Les propositions étaient : Steph, Papa, Maman, Papa et Maman, Julie.
Le montage comprenait toutes les réponses erronées.

Les réponses du groupe classe pour l’item 55 (A qui ce petit mot est-il adressé ?)
– À la réponse « à Pierre » :

« C’est la réponse la moins possible car on ne connaît pas Pierre, l’élève a répondu n’importe quoi pour donner une réponse. »
« Il a répondu Pierre parce qu’il a confondu Pierre et piscine.[[L’élève, qui a donné cette explication, confond certains sons et est donc sensible à ce problème d’identification des mots.]] »

– À la réponse « à Steph » :

« On parle de Steph dans le message. »

– À la réponse « aux parents » :

« L’élève a cru que Julie a écrit à ses parents, il a pris l’en-tête du message Julie comme si c’était la signature. »
« Il a lu je serai bien content ».
« Il a confondu adressé et a compris qui a écrit le message. »

– Certains ont entouré deux réponses : « à Julie » et « à Steph »

« Il y a les deux prénoms dans le message et l’élève a hésité. »

Les réponses du groupe classe pour l’item 57 (Qui a pu écrire ce message ?)
– À la réponse « Steph » :

« On parle d’elle dans le texte. »

– À la réponse « Papa » :

« L’élève n’a pas vu le « e » de contente et il a lu content ».
« C’est peut-être un enfant dont le papa s’occupe et pas la maman, c’est pour ça qu’il a répondu papa. »

– À la réponse « Papa et Maman » :

« Même si c’est maman qui écrit, papa est d’accord, c’est pour cela qu’on peut répondre les deux. »

– À la réponse « Julie » :

« Julie est peut-être celle qui écrit car son prénom est en haut, comme une signature. »

– Certains ont entouré deux réponses : « Maman » et « Julie »

« L’élève a hésité, il a entouré les personnages féminins. »
« Il a entouré celle qui écrit et celle qui reçoit. »

Les réponses individuelles ont confirmé que le mot « adressé » n’a pas été compris par tous, que destinataire et expéditeur ne sont pas toujours clairement identifiés, ainsi que leur emplacement sur un message, comme le disent respectivement Jordan et Inès :

« En haut, c’est la signature. »
« J’ai pas trouvé en bas, alors j’ai cherché en haut la signature. »

Elles montrent aussi que les accords de participe passé ou d’adjectif sont difficilement repérables par les élèves. Ce qui est en jeu alors, puisque le repérage morphosyntaxique n’a pas lieu, sont :

– Des références de l’élève à son vécu, comme le déclarent Lucas puis Cécile :

« Les deux parents écrivent le mot car ils trouvent les idées tous les deux. »
« C’est papa qui s’occupe de moi donc c’est lui qui écrit. »

– Des inférences non prévues par le texte à propos des personnages du texte. Ainsi pour l’item 55, Alix, qui a répondu « Steph » déclare :

« Julie doit le dire à Steph, donc on s’adresse aussi à elle. »

et Martin justifie sa réponse « Pierre » :

« Il n’est pas dans l’histoire mais c’est lui qui reçoit le message. »

Pour l’item 57, Cécile qui a répondu « Papa » précise :

« Quand papa est parti en voyage, c’est lui qui a écrit le mot. »

– Des interprétations sur l’écriture cursive du message car comme l’explique Marion qui a répondu que c’est Julie qui écrit le message et non pas Maman :

« Les parents n’écrivent pas en attaché comme nous, alors ce ne peut pas être eux qui écrivent. »

L’observation du document (écriture manuscrite informatisée), les taux moyens de réussite (60 % environ) et les réflexions des élèves montrent deux problèmes :
– La non-authenticité du document car comment Maman pourrait-elle écrire avec une écriture si parfaite, si uniforme ?
– Et la consigne de l’item 55 (A qui ce petit mot est-il adressé ?) qui ne suggère pas la réponse attendue car ce message est bien adressé à Julie et à Steph.

3. Ce que les erreurs révèlent

3.1. Sur la conception des exercices
Ces documents nous ont montré :
– L’importance d’utiliser des documents authentiques ne générant aucune ambiguïté
– L’importance du choix de la consigne.
Aux exercices proposés pour lesquels il fallait mettre une seule croix, l’élève pouvait cocher la case en repérant un mot comme « magique » ou en pensant que c’est maman qui laisse des messages, sans plus se soucier du sens du texte.

3.2. Sur les élèves

3.2.1. Le poids de la faute et du doute
Cette recherche a donné un autre statut à la non réponse, car au-delà de la non compréhension de la question ou du manque de temps, les élèves ont indiqué deux autres facteurs de non-réponse : la peur de la faute ou le doute. Dans ces conditions, la non-réponse n’est plus véritablement une absence de réponse car elle ne correspond pas au fait que l’élève n’a pas répondu mais qu’il n’a pas pu répondre. Cette recherche a montré aussi que le doute pouvait être à l’origine des multi-réponses.

3.2.2. Le poids du lexique
Si le lexique est inconnu, l’élève ne peut pas répondre : que signifie « adressé » dans le texte du message ou encore « convient » dans la question posée sur le titre du conte ? S’il n’est pas identifiable, comme « Joué-lès-Tours », il ne peut être que « transparent » pour le lecteur. Si le lexique est répété, il peut influencer la réponse de l’élève : c’est le cas du mot « auberge » dans le texte de Wan. Si le mot a un sémantisme fort, comme « accident » ou « magique », il peut induire la case à cocher, sans qu’il y ait prise en compte de l’ensemble du texte. S’ajoutent à ces phénomènes, les problèmes d’homonymie (cas de « Joué ») et de polysémie (cas de « pièces »).

3.2.3. La prise en compte du monde réel
L’élève replace les textes dans son monde à lui et transforme les données. Ainsi dans le texte de Wan, il réactualise le conte où seuls les euros ont cours, où on paye par chèque, il justifie le gain d’argent par le fait que si Wan reçoit de l’argent de poche, c’est qu’il a bien travaillé ou encore le manque d’argent, parce qu’il est vieux. Dans le texte du message, il associe l’erreur de l’élève à son propre problème d’identification des mots (« Pierre » et « piscine » commencent pareil). Il prend la place des enfants dans le message et sait que, même si c’est maman qui écrit, c’est avec l’autorisation de papa ou encore que ce ne peut-être que papa puisque c’est lui qui a la garde des enfants ou encore que c’est papa parce qu’il a laissé un message quand il est parti en voyage. Dans le texte de l’accident, il retrouve une situation qu’il connaît bien : arriver en retard à l’école parce qu’il emmène sa petite sœur à la maternelle.

3.2.4. La construction progressive de référents culturels
À propos des contes (texte de Wan) : les élèves ne font pas la relation entre la pauvreté de l’artiste et le paiement au moyen de ses œuvres, alors que beaucoup d’artistes ont fait ainsi. Ils ne font pas non plus la relation entre la pauvreté de Wan et le fait qu’il est le héros, alors que dans les contes, le héros est souvent pauvre au début de l’histoire. Mais à l’inverse, tous relient, dans le texte de Wan, le mot « magique » proposé dans une réponse à celui de « conte ». À propos de la lecture de l’affiche : les élèves reconstruisent le nom de la ville : « produits de la ruche » est assimilé à « produits d’une ville appelée la ruche ». Ils méconnaissent également la structure d’un message (expéditeur et destinataire) et les composants de leur adresse (rue et ville).

3.2.5. La capacité à construire des inférences (non prévues par les auteurs des textes)
L’élève fait des inférences entre les mots du texte dans le conte : il établit des relations entre « héron » et « dessin magique », « la bonne auberge » et « mur de l’auberge sur lequel il y a le dessin magique », « marchand d’oiseaux » et « vendait ses dessins d’oiseaux ». Il reconstruit une partie manquante du texte : sorte de préambule dans le texte de Wan (où il invente une histoire de méchants parents avec leur enfant ou de parents morts ou d’enfant abandonné) ou sorte de final dans le texte de l’accident (où il envisage la punition des trois filles).

Conclusion

Cette recherche montre qu’il existe, au-delà des défauts de présentation des exercices proposés, une logique cachée de l’erreur, qui appartient en propre à l’élève.
Cette logique prend en compte les mots du texte et leur charge lexicale, quitte à créer de nouvelles inférences. Elle prend également en compte les connaissances de l’élève avec ses incomplétudes. Et quand ces connaissances s’ancrent dans le monde dans lequel il vit, alors elles lui font « lire » le texte autrement.
C’est cette logique qui éclaire la réponse donnée, en regard de celle attendue par l’évaluateur. Et c’est à ce dernier de l’entrevoir s’il veut mesurer les compétences de l’élève et ne pas considérer comme des faiblesses des erreurs qui n’en sont pas.
Au terme de cette recherche, nous comprenons mieux pourquoi le ministère de l’Éducation déclare que la compréhension d’un texte est « l’activité la plus délicate » .

Marie-Noëlle Roubaud, Professeur de français à l’IUFM Aix-Marseille – Université de Provence.


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