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Réactions à « Maths et physique, compagnes depuis toujours »

L’anecdote que cite Françoise Colsaët est assez caractéristique de la manière dont certains collègues physiciens voient encore leur propre discipline. Peut-être est-ce le reste d’un vieux complexe d’infériorité, issu de la hiérarchie au mérite des classes préparatoires scientifiques, les meilleurs faisant M’, et pour les autres, « vous n’aurez qu’une école de chimie » comme disait un de mes professeurs de taupe, ce qui était visiblement à ses yeux le comble de la bassesse humaine…
Pour être iconoclaste, je pourrai au contraire prétendre que c’est la physique qui est plus difficile, et donc supérieure, aux mathématiques. Car au fond, avec un dessin géométrique bien fait, un joli triangle rectangle et l’apprentissage de la formule magique « sohcahtoah », tout le monde ou presque peut calculer le sinus d’un angle. Quand il s’agit de regarder comment sont organisées les forces extérieures agissant sur un solide en équilibre sur un plan incliné, cela devient beaucoup moins évident[[J’avais d’ailleurs un problème similaire en productique mécanique : calculer les coordonnées des points d’une pièce qui servent ensuite à programmer une machine à commande numérique demande une certaine virtuosité. Et dire qu’on envoie dans ces sections les élèves qui ont des difficultés en mathématiques… mais on s’écarte du sujet…]].
Il faut évidemment sortir de ces représentations passéistes de nos deux disciplines, qui, comme l’indique Françoise Colsaet bénéficient toutes deux d’une fausse ressemblance. Je ne peux qu’être d’accord avec Etienne Klein et Richard Feynman (je ne prends pas trop de risques) : effectivement, la nature est écrite en langage mathématique, mais c’est une vision purement humaine de la nature, et c’est sans doute faute de mieux, pour l’instant. Et si le propre des mathématiques c’est bien l’analyse d’un problème et la construction d’un raisonnement, le propre de la physique est bien la validité d’une modélisation adaptée au problème étudié.
Et le point clé est bien le « sens physique », développable dès le plus jeune âge, et cultivable à tout niveau. Hélas, autant « La main à la pâte » pouvait augurer d’une réflexion fondamentale sur l’émergence de l’esprit scientifique, autant les programmes sont tout de même restés dans l’idée d’une accumulation de connaissances qui finalement ne satisfait personne. L’aspect budgétaire n’est pas le moindre : oui, il y a toujours un trou dans l’enseignement des sciences physiques en 6ème, et oui la simulation sur ordinateur coûte moins cher qu’un réel enseignement expérimental.
C’est bien un profond changement d’état d’esprit qui est à réaliser. Et là encore, je ne peux qu’être d’accord avec l’idée que la formation initiale et continue des enseignants des deux disciplines comporte une mise en perspective historique. Mon propos était d’ailleurs de montrer que physique et mathématique ont toujours vécu en symbiose, et que vouloir ignorer l’aspect mathématique en physique était tout autant un non-sens que de transformer la physique en mathématiques appliquées. C’est par cette reconnaissance préalable indispensable qu’effectivement il sera alors possible de repenser l’enseignement scientifique.

Hervé Grau, professeur de sciences physiques et chimiques – Lycée Gaspard Monge (Nantes) – EHESS (Paris).