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Quoi de nouveau sous le soleil ?

Entre le 31 décembre 1999 et le premier janvier 2000, il faudra une nuit exceptionnelle ! Depuis que les hommes comptent le temps, ils ont rêvé de ce passage comme s’il arrivait quelque part. Comme s’il avait fallu que leurs propres jours s’ajoutent à tous les instants de l’humanité pour déboucher enfin sur cet ailleurs, sur cette face cachée du temps, ce mythe d’un autre monde si proche et si différent.

Depuis longtemps déjà, les philosophes et les chroniqueurs ont trouvé les raisons de voir dans cet événement le signe d’un début ou d’un aboutissement inéluctable.

Ainsi, à en croire nombre de ces prophètes, les temps nouveaux seront ceux de la cybernétique. Mais dès les années cinquante Marshall Mcluhan en annonçait déjà l’avènement. Aurions-nous donc changé d’ère alors que notre siècle n’avait pas achevé la moitié de son parcours ? Non, il faut trouver mieux, l’informatique appartient déjà presque au passé et son apport dans le traitement de l’information, pour décisif qu’il soit, reste cantonné dans le domaine de l’outillage. Les concepts que l’informatique contient, ceux qu’elle induit, ne questionnent fondamentalement ni l’homme, ni Dieu, ni le Diable.

Voyons plus loin, plus haut. La conquête de l’espace par exemple ? Voilà un horizon ouvert, un symbole fort. Les hommes de la Renaissance ont ouvert les yeux sur l’Univers, ils ont frayé des passages vers de nouveaux mondes qui, somme toute, restaient encore à la portée de leurs instruments et de leur imagination. Ceux du troisième millénaire, eux, vont explorer l’infiniment grand et sonder l’infiniment petit. Les limites qu’ils s’apprêtent à dépasser vont le précipiter dans des terra incognita autrement redoutables. Nulle idée n’en approchant, la représentation qu’ils se font de l’espace et du temps, de la matière et de la vie, de l’enchaînement des causes et des conséquences va s’en trouver profondément bouleversée.

Aussi, ceux du quatrième millénaire se souviendront de la grande vague d’angoisse qui accompagna l’introduction de l’incertitude parmi les lois de la rationalité. Mais il va falloir accepter que l’an 2000 commence dès le début du xxe siècle avec Bohr, Einstein et Heisenberg.

En réalité, Pascal avait déjà eu la même intuition et n’avait fait qu’emprunter la voie ouverte par Newton, Galilée, Copernic Alors si l’on fait remonter le début du troisième millénaire aux environs des années 1500, on pourrait faire d’une pierre deux coups et replacer l’informatique dans la continuité de l’invention de l’imprimerie.

Plus sérieusement, il faut sans doute considérer que les plus profonds bouleversements concernent les rapports que les hommes et les peuples entretiennent les uns avec les autres. Entre nationalismes et particularismes, on sent bien au bord de quels précipices et de quelles utopies nous nous trouvons en cette fin de siècle, quelles contradictions et quels paradoxes il va falloir affronter Pourtant l’Europe et la mondialisation ne sont que de vielles lunes, de vieux fantasmes qui ont produit les catastrophes à grande échelle que tous les empires et tous les colonialismes ont voulu faire passer pour des sacrifices salutaires Où va-t-on situer le début de cette ère où l’homme de quelque part se déclare  » Citoyen du Monde « , mais où il se replie sur ses intérêts propres au moment même où il essaie d’imposer l’idée l’universalité ? Je vous laisse réfléchir.

Alors, cherchons plutôt du côté de la transcendance, de la redécouverte des valeurs et du sens du sacré  » Le XXIe siècle sera mystique ou ne sera pas  » prétendait Malraux. Il faut avouer que les retours à toutes sortes de fondamentalismes, les efforts assidus déployés par l’homme pour tenter de se hisser au-dessus d’un destin qu’il essaie de ne pas assumer pourraient bien donner raison à l’auteur de  » La condition humaine  » Les difficultés que la démocratie rencontre pour seulement subsister peuvent en témoigner.

Du coup, voilà un troisième millénaire qui débute bien avant l’an zéro. Et finalement, je ne sais pas si la dernière nuit du second millénaire sera rassurante ou simplement et très banalement navrante.

Pierre Madiot