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Questions actuelles

CP : Le dossier des Cahiers Pédagogiques que nous préparons est parti de l’idée que l’enseignement des mathématiques en France est à un tournant : il nous semble que les enseignants, comme les élèves, les parents et les responsables de l’Éducation nationale ne savent plus trop à quoi doit servir cet enseignement ni comment il faut le faire évoluer : partagez-vous ces interrogations ? Pensez-vous que nous soyons face à une « crise » de l’enseignement des mathématiques en France ?

Si l’on en croit les médias, nous sommes face à une crise de l’enseignement, mais je ne dirai pas face à une crise de l’enseignement des mathématiques. C’est après guerre qu’est né le besoin d’une réforme de l’enseignement des mathématiques, les scientifiques prenant conscience de l’incroyable efficacité des structures mathématiques pour rendre compte de la réalité. Il avait été voulu au tout début comme une égalité sociale face à un enseignement qui favorisait les classes instruites, et paradoxalement, il va donner lieu à la sélection par les mathématiques. Je pense que le traumatisme dans le grand public créé par la décennie « mathématiques modernes » est en train de s’estomper.
Nous avons à nouveau beaucoup souffert en tant qu’enseignants de mathématiques au moment où Claude Allègre était ministre de l’éducation nationale. Il avait essayé de donner des mathématiques une image de discipline outil, exclusivement calculatoire et algorithmique, et dont l’enseignement serait efficacement remplacé par l’utilisation de machines. Notre ministre actuel clame le retour aux fondamentaux, dont les mathématiques font partie. En revanche, il y a une crise des vocations scientifiques. Les mathématiques et la physique sont les deux disciplines les plus touchées. Les difficultés que rencontrent les élèves et les étudiants dans ces deux matières y sont certainement pour quelque chose ; la baisse constante des horaires de mathématiques depuis vingt ans a aggravé la situation. Mais elles n’expliquent pas tout. Les études médicales ne sont pas touchées tout en étant encore plus difficiles.

CP : Pendant longtemps, l’APMEP a été un élément moteur de l’évolution de l’enseignement des mathématiques, par ses réflexions sur les programmes, sur les pratiques, sur la formation des enseignants. Quelles sont aujourd’hui les idées principales que l’APMEP essaie de défendre et promouvoir pour faire évoluer l’enseignement des mathématiques ?

Votre question laisse entendre que l’APMEP n’est plus un élément moteur de l’évolution de l’enseignement des mathématiques. Pour que nos positions soient plus visibles et plus accessibles, nous les avons regroupées en tête de la plaquette Visages[[La plaquette Visages, envoyée chaque année aux adhérents de l’APMEP, rassemble les textes principaux qui définissent l’action de l’association et la liste de ses publications.]] sous le titre « L’APMEP d’hier à demain : acquis, positions, revendications » et pour leur donner plus de force, elles sont dorénavant votées par le comité de juin. Elles sont en ligne sur le site.
Nos premières revendications vont aux horaires de mathématiques : des horaires en rapport avec les objectifs des programmes sont un préalable décisif à un enseignement de qualité. Dès le début de l’apprentissage des mathématiques, nous mettons par manque de temps des élèves en difficulté qui ne devraient pas y être. Pour pouvoir « boucler » les programmes, nous sommes obligés d’avancer et nous déstabilisons ainsi les élèves les plus fragiles.
Nous avons des propositions précises sur les projets de programmes : largement débattus, réellement expérimentés, rédigés après remontées des observations… Exactement le contraire de ce que fait Xavier Darcos pour les projets des programmes de primaire.
Nous demandons la réforme de la classe de seconde, les options de détermination ne remplissent plus leur rôle. Nous demandons qu’à côté d’un tronc commun portant sur les disciplines fondamentales l’institutionnalisation d’une « Option Sciences » pluridisciplinaire incluant en trois heures trois disciplines scientifiques : mathématiques, sciences physiques, et Sciences de la Vie et de la Terre ou Sciences de l’Ingénieur. Cette option ne doit pas comporter de nouvel apport disciplinaire, afin de laisser aux élèves qui ne l’auraient pas suivie la possibilité d’entrer en 1ère S. Nous proposons, sur un modèle analogue, la création d’autres options pluridisciplinaires en lien avec les diverses séries, afin que les élèves puissent conforter leur choix d’orientation en connaissance de cause.
Nous constatons que la série S reste, malgré le discours officiel, la seule voie d’excellence du lycée. Nous souhaitons l’existence d’une vraie série scientifique à même de lutter contre la désaffection actuelle des étudiants pour les études scientifiques.

CP : L’APMEP s’adresse aux enseignants « de la maternelle à l’université ». Pourtant il semble que le bulletin vert fasse apparaître peu de textes liés à l’enseignement de mathématiques à l’école primaire. A votre avis, à quoi est-ce dû ? Plus largement, quelles sont les positions de l’APMEP en ce qui concerne les mathématiques à l’école élémentaire, et les évolutions actuellement prévues des programmes ?

C’est effectivement le point faible de l’association, mais nous en avons conscience et nous essayons dans la mesure du possible d’y remédier. Nous avons trop peu d’adhérents issus du primaire. En revanche, nous avons- y compris au comité- de nombreux professeurs d’IUFM. Dans le bulletin vert[[Le bulletin vert est la publication bimestrielle de l’APMEP, sur abonnement.]], nous manquons d’articles sur le primaire comme nous manquons d’articles décrivant des pratiques de classes. Depuis quelques années, il y a toujours une conférence axée sur le primaire aux journées nationales.
Vous pouvez vous reporter au site de l’association. Nous avons ouvert un forum de discussion sur le primaire et nous avons mis en ligne de nombreux textes. Je viens d’envoyer à Xavier Darcos une lettre de quatre pages sur le projet de programmes soumis à consultation. L’APMEP demande le retrait du projet.

CP : L’enseignement des mathématiques est-il condamné à choisir entre une formation mathématique de bon niveau pour des élèves scientifiques au lycée et à l’université et un enseignement de mathématiques, solide mais plus élémentaire, pour tous les futurs citoyens? Comment concilier les deux ?

Pourquoi utiliser le terme « condamné » ? Il n’est pas question d’opposer formation de bon niveau et formation solide. Les scientifiques du XXIème siècle ont besoin de mathématiques, c’est un fait. Si certaines compétences sont mises en place trop tard, leur assimilation pose problème. Les difficultés que rencontrent les élèves en mathématiques créent aussi des difficultés en physique surtout, en biologie à l’université. Pourquoi imposer les mêmes contenus mathématiques à tout le monde ? On a vu les dégâts que cela a créés lors de la réforme des maths modernes. Les programmes qui ont été mis en place en 2000 en ES par exemple, et plus récemment en STG donnent entière satisfaction. Tout le monde a besoin de maîtriser les pourcentages, mais tout le monde a-t-il besoin de savoir ce qu’est une équation différentielle ?
Il faut une culture minimale mathématique commune à tous, celle qui forme l’esprit, qui aide à être citoyen. En mathématiques, il s’agit avant tout apprendre à se poser des questions. Il n’est pas nécessaire de recourir à des concepts difficiles pour se poser ces questions : les pourcentages s’y prêtent particulièrement bien, le dénombrement aussi. Les narrations de recherche sont un excellent support pour ce questionnement. Mais c’est pour pouvoir pratiquer ce type de mathématiques que nous avons besoin de temps, ou alors les débats sont biaisés et le professeur apporte rapidement la réponse…

CP : Quelles sont les propositions de l’APMEP pour la formation des enseignants en mathématiques, aussi bien pour la formation initiale que pour la formation continue, aussi bien pour les professeurs d’école que pour les enseignants du secondaire ?

Nous demandons que, dans le cadre de la réforme actuelle, soit garantie aux futurs instituts de formation des enseignants leur autonomie de moyens, en termes de budget et de recrutement.
Avec le collectif ActionSciences, l’APMEP réclame un dispositif de pré-recrutement d’enseignants de type IPES.
Toute pratique professionnelle, en particulier l’enseignement, doit se remettre en question afin d’évoluer et de se perfectionner : c’est vrai aussi de la profession d’enseignant. Nous souhaitons donc une formation continue généralisée, avec un volet obligatoire et un autre volontaire, pris en compte dans le service et qui ne prive pas les élèves de leurs professeurs. Tout enseignant doit avoir la possibilité de capitaliser son temps de formation afin de pouvoir bénéficier de formations approfondies de longue durée. La formation continue doit privilégier les expérimentations dans les classes et être fécondée par les apports des recherches. Dans le dispositif de formation, les I.R.E.M doivent être confortés et pleinement utilisés.

Propos recueillis par Françoise Colsaët