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Quelques échos des tables rondes

Visiblement, les trois tables rondes ont intéressé les participants de ces Assises, attentifs, passionnés, avides de questions et d’éclairages plus que de réponses définitives. Un pari réussi par le CRAP-Cahiers pédagogiques qui a sans doute fait le bon choix des thèmes, au cœur de nos préoccupations (les contenus de l’école, les évolutions nécessaires du métier, la question de l’autonomie et de l’ouverture) et en lien étroit avec les douze propositions qui servaient de fil rouge à ces deux jours.
Bon choix aussi dans la formule. L’expérience des précédentes Assises a montré les inconvénients de réunir, par exemple, des syndicalistes dans une même table ronde : on assiste alors à une sorte de neutralisation réciproque. Bien plus riche est le mélange (vive l’hétérogénéité !) : mettre ensemble un praticien du terrain scolaire, un ou deux chercheurs, un syndicaliste, un politique, et vous aurez de vrais débats comme celui du lundi matin autour du socle commun.
Chacun en effet apporte sa spécificité : le politique nous permet de quitter les seules sphères du pédagogique ; le syndicaliste nous rappelle la nécessité de ne pas trop « se couper des larges masses enseignantes », comme on disait après 68 ; le sociologue nous fait prendre de la distance (même si, comme c’était le cas à ces Assises, il ne cachait pas ses convictions, tels Bruno Suchaut et Françoise Lorcerie) ; le praticien nous ramène au pragmatisme et à la logique de l’efficacité, nous éloigne peut-être de considérations trop idéologiques. En même temps, chacun a ses limites. L’excès de prudence de l’un, la dérive possible du refus de se référer au contexte politico-social qui peut amener la pédagogie à servir de caution à des politiques libérales négatives sous prétexte d’en voir, quand même, quelques aspects positifs.
Oui, nous avons voulu des débats, ouverts, sérieux, allant au fond des choses. D’où l’intérêt d’inviter des personnalités engagées, sans doute d’accord sur les valeurs, mais pas nécessairement sur les stratégies, les moyens à mettre en œuvre. Éviter les polémiques, mais faire échanger les intervenants, quitter la succession de monologues pour aller vers les nuances d’appréciation, le risque de propositions audacieuses, et des questions sur lesquelles il n’existe pas de réponse définitive. En particulier sur les priorités après l’élection présidentielle. Ne pas tout faire en même temps, mais aussi ne pas attendre pour autant les conclusions d’un énième débat général sur l’école qui pourrait être prétexte à ne pas agir. Un exemple : sur la formation des enseignants, celle-ci doit-elle découler d’un projet global d’école ou être réformée tout de suite ?
Notons aussi que, finalement, on peut trouver des réponses d’une table ronde à l’autre à telle ou telle interrogation. À la méfiance envers l’autonomie des établissements exprimée par Bernadette Groison et plus encore Pierre Laurent répond la mise en avant de sa nécessité, sous certaines conditions, mises en avant par Françoise Lorcerie. Les interrogations sur la place du concours dans la formation ne trouvent pas non plus les mêmes réponses, selon qu’on écoute André Ouzoulias ou Jean-Jacques Hazan.
Les politiques ont su dépasser le discours convenu, surtout Bruno Julliard prononçant plusieurs fois le mot de « refondation de l’école » (à la grande satisfaction de Claude Lelièvre à mes côtés dans la salle) et Marie Blandin, qui a montré sa solide connaissance des dossiers scolaires et qu’on se réjouit de voir à la tête de la commission sénatoriale qui aura en charge l’éducation et qu’elle voudrait voir baptiser « commission de l’émancipation »).
La troisième table ronde, mais pas seulement, nous a invités à dépasser la logique binaire qui paralyse au profit d’une logique du « curseur ». Il s’agit de mettre l’aiguille au bon niveau concernant les tensions entre normes nationales et initiatives locales, entre affirmation d’un État sachant piloter et confiance dans les équipes, entre décisions collectives et liberté de chacun.
Parmi les maitres-mots, je retiens celui d’ouverture (« ouvert », c’est l’envers de « verrou »). C’était un des mots-clés que les Cahiers pédagogiques avaient placés au premier plan d’un « champ des possibles », titre du dossier de septembre 1981 (n°196), dossier élaboré pendant l’été et qui proposait, en invitant à aller de l’avant. Et de belles choses avaient été mises en place ensuite, avec le grand ministère d’Alain Savary. Il n’est pas impossible justement de revivre des moments d’espoir et de vrais changements, pour quitter un peu le noir ou le gris si présents par exemple dans la seconde table ronde sur la formation ou la non-formation des jeunes enseignants. L’avenir nous appartient !

Jean-Michel Zakhartchouk