Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Quelles utopies pédagogiques ?

En ces temps troublés où semblent prévaloir principe de réalité et retour à des formes de conservatisme, consacrer un dossier des Cahiers pédagogiques aux utopies, au delà de réfléchir à contre courant, nous semble être une nécessité constructrice pour ceux que les questions de pédagogie intéressent ; interview des coordinateurs de ce numéro 525.

 

 

La première des utopies n’est-elle pas contenue dans la devise chère aux Cahiers : « changer l’école pour changer la société, changer la société pour changer l’école » ?

Cette question nous a accompagnés tout au long de la préparation du dossier. À vrai dire il y aurait même pu y avoir un texte à ce propos dans le dossier, mais nous avions tant de matière que avons laissé la parole aux contributeurs…
Alors ? Oui, en ce que l’utopie est un principe régulateur, un « principe Espérance », selon l’expression d’Ernst Bloch que nous citons dans l’avant-propos du dossier. De même que la devise de la République, « Liberté, Égalité, Fraternité », est utopique à double titre : d’une part parce qu’elle est l’énoncé d’un principe Espérance, d’autre part parce que chacun mesure la distance qui sépare le monde présent d’un « autre monde » où ces principes seraient accomplis.

Mais le concept d’utopie ne se réduit pas à l’énoncé de principes. Il suppose une description du futur, un passage au-delà de l’horizon. L’utopie donne à voir (généralement à lire) cet « autre monde » qui agit comme un miroir dans lequel s’évalue le monde réel. Et l’utopie suppose de ce fait que cet « autre monde » n’est pas de l’ordre du possible, son existence se justifie dans notre monde pour ce qu’il en est une critique et un indicateur de sens mais on ne la rencontre jamais.

La devise des Cahiers ne donne pas vraiment le sens du changement : elle ne dit pas de quel changement il s’agit, elle indique un chemin. Ce chemin est celui de l’action politique, entre le « micro » et le « macro », le local et le global. Ce chemin n’a rien d’utopique : il est ici dans le monde réel et il avance dans ce monde réel.

Le titre « Pédagogie : des utopies à la réalité » indique-t-il l’affirmation d’un ordre chronologique entre l’idée et la pratique ?

Oui et non à nouveau.
Non parce que parmi les nombreux témoignages que contient le dossier, nombreux sont ceux qui montrent que bien souvent l’action vient avant l’idée, que celle-ci intervient souvent a posteriori, pour interroger la pratique, confirmer l’intuition.
Mais oui quand même parce que, pour reprendre la métaphore filée dans notre avant-propos, la fonction de l’utopie n’est pas d’indiquer le but du chemin (aller vers le pays de l’utopie, construire l’utopie dans ce monde, on sait ce que cela a donné dans notre histoire récente). La finalité des utopies est dans ce que celui qui se confronte à l’utopie rapporte du voyage : quelques principes, quelques idées de « comment faire ». Ceux qui sont allé en Utopie en sont revenus avec des idées pour agir dans le monde où ils vivent… ou n’en sont jamais revenus !

Qu’est ce qui a été de façon plus ou moins attendue le plus difficile dans l’élaboration de ce dossier et, à contrario, qu’est ce qui a été le plus simple ?

Le plus difficile a été d’accepter qu’au final, le dossier ne décrive aucune « Utopie pédagogique » (au sens de « pays imaginaire de la pédagogie idéale ») malgré quelques essais notables (comme celui de Sylvain Connac) mais qu’il propose plutôt d’explorer différentes facettes de nos rapports à l’utopie. Mais en fait, la richesse des contributions a vite permis de franchir le cap…

Le plus simple : certainement la coopération entre coordonnateurs, comme si nous avions travaillé depuis des années ensemble… Et par ailleurs le plus simple, pour comparer avec la préparation d’autres dossiers, a été d’obtenir des contributions variées.

Le précédent numéro des Cahiers titrait : « Le pari du collectif », y a t-il aussi un pari des utopies ?

Oui, on pourrait dire que le pari des utopies consiste à en faire le levier d’un « ré-enchantement » du métier d’enseignant et de l’École. Dans un présent où l’avenir est souvent considéré comme plus dangereux que le passé, où les horizons d’attentes auraient disparu (ou seraient devenus des perspectives eschatologiques monstrueuses), le pari des utopies consiste à ouvrir une fenêtre sur un avenir meilleur possible. Comme tout pari, c’est une posture volontariste, un choix positif, un refus du renoncement. Le pari des utopies c’est, répétons-le, de réactiver le principe Espérance.

Est-ce que les enseignants  s’autorisent encore à rêver l’école de demain ?

Le pari de ce dossier consiste à montrer que oui, en tout cas ceux qui ont contribué à ce dossier montrent qu’ils s’y autorisent et que cela leur fait du bien ! C’est d’ailleurs ce qui est frappant à la lecture du dossier (et des Cahiers pédagogiques en général), de réaliser à quel point ceux qui y écrivent sont épanouis professionnellement, bien dans leur métier, à rebours de l’image largement véhiculée de l’enseignant replié sur lui-même.

Propos recueillis par Pierric Bergeron