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Quelles pratiques documentaires en Espagne ?

Lorsque l’on étudie la situation espagnole[[Zafrilla-Pavan, Francine (2006) Statut de l’information dans l’enseignement secondaire : étude comparée France-Espagne.Thèse soutenue à l’université du Mirail, Toulouse 2 sous la direction de Viviane Couzinet.]] des bibliothèques scolaires et la place des apprentissages documentaires, on fait face à une situation très différente selon les établissements scolaires et les autonomies[[L’Espagne est divisée en 17 régions appelées «communautés autonomes», chacune disposant d’une certaine indépendance.]]. En effet, selon la région, c’est soit le
département de l’éducation qui s’occupe des bibliothèques scolaires, soit le département de la culture, ou bien encore, il est en devenir.
On peut constater qu’en Espagne, contrairement à la France, il n’y a pas de centres de documentation mais des bibliothèques de classe (rattachées à un enseignant et à un groupe d’élèves), des bibliothèques pédagogiques (réservées aux enseignants) et des bibliothèques scolaires. La gestion de ces trois types de bibliothèques est, la plupart du temps soit confiée à des personnes tout à fait extérieures au milieu enseignant soit à des professeurs de discipline dans le cadre de projets.
La recherche que nous avons conduite sur les bibliothèques scolaires en Espagne[[À partir des expériences relatées dans la revue Educación y Biblioteca, des entretiens semi-directifs et de l’étude des textes officiels.]] montre que, bien qu’il n’y ait pas de prise en compte de l’apprentissage de la recherche de l’information, il y a cependant une certaine volonté, de la part des enseignants, d’animer un espace documentaire existant mais encore inorganisé.

Les différentes formes de bibliothèques scolaires existantes

La bibliothèque scolaire est en Espagne, souvent, créée dans le cadre de la Programmation Générale Annuelle de l’Etablissement, c’est-à-dire qu’elle fait partie des activités complémentaires et extrascolaires. Dans cet espace, des enseignants se relaient quelques heures pour le gérer et l’animer. La formation organisée auprès des élèves consiste à faire découvrir les lieux et les documents. La LOGSE, Loi générale de l’enseignement de 1990, reconnaît l’utilisation des documents et de l’information, leur place dans l’acquisition de l’autonomie personnelle mais la bibliothèque scolaire apparaît comme un service optionnel et complémentaire à l’enseignement.
Quand il y a un bibliothécaire à temps complet, celui-ci organise une formation systématique à l’utilisation de la bibliothèque. Parfois il va plus loin. C’est le cas d’un établissement d’enseignement privé à Barcelone où la responsable, dans son programme de dynamisation de la bibliothèque, a établi un plan d’organisation et de développement de la lecture et des habiletés informationnelles[[Gloria Durban, site http://www.bibliotecaescolar.info/.]].
Parfois les enseignants, conscients des besoins documentaires et de la nécessité de former les élèves à l’utilisation de l’information, cherchent une aide extérieure du côté des bibliothèques publiques. Ces dernières, quand elles le peuvent, participent à des projets en collaboration avec le ou les enseignants. Elles dispensent des cours de formation à l’utilisation de la bibliothèque publique, plus rarement elles prêtent des documents.
Parfois, les responsables de bibliothèque scolaire, comme nous avons pu voir dans un établissement à Saragosse, se tournent vers les associations pour obtenir une aide dans leur travail quotidien ou pour participer à des groupes d’études. Alors, ils organisent avec les professeurs et les élèves une série de visites dans les bibliothèques publiques du quartier, du gouvernement de l’Aragon et dans les maisons d’éditions locales.

Quel regard de la société espagnole aujourd’hui ?

La législation de certaines autonomies[[Loi 1/1989 du 4 mai de la communauté de Castille-La-Manche(142 du 15-6-1989, DOCM : 21 du 16-5-1989) sur les services bibliothécaires ; et celle de la loi gallicienne (244 du 22-12- 1989).]] invite les établissements scolaires à établir des relations avec les bibliothèques publiques. L’accord de collaboration entre le Ministère de la Culture et le Ministère de l’Education et des Sciences signé le 16 mai 1995 (mais non paru au
Bulletin officiel espagnol) préconise « l’étude de formes de collaboration qui permettrait de promouvoir la lecture et de favoriser la relation entre les bibliothèques scolaire et les bibliothèques publiques, les centres de documentation et les archives de façon systématique »[[BARRIO, Zipriano et CABALEIRO, Benjamín (1996). Legislación bibliotecas escolares. Educación y Biblioteca n°68-69, mai-juin 1996.]].Les actions sont orientées essentiellement vers le développement de la lecture. Un peu partout, on constate que persiste cette image désuète du gardien des livres, y compris dans les lieux qui semblent les plus avancés où les dispositions prises par le Ministère de l’Education sont orientées vers la formation des enseignants à la bibliothéconomie et vers la dotation de fonds documentaire. Mais, même dans ces lieux, il n’a pas créé de responsable de la bibliothèque scolaire ; la fonction est occupée par des professeurs de discipline volontaires. Leur mission est de gérer un fonds documentaire composé essentiellement d’ouvrages de fiction et d’ouvrages de référence.
Sans budget propre, sans personnel spécialisé, sans activité systématique de formation à la recherche de l’information, sans cadre légal, la bibliothèque scolaire dans les établissements scolaires ne semble ni changer la forme d’apprentissage des élèves ni permettre le développement de l’auto-apprentissage. Par voie de conséquence, l’autonomie est inexistante dans les activités éducatives. Malgré ces « dispositions », la bibliothèque scolaire n’a pas été généralisée dans les établissements de l’enseignement secondaire. Les entretiens que nous avons menés montrent que, malgré le vide institutionnel, les enseignants responsables de ces bibliothèques témoignent de l’intérêt de la bibliothèque scolaire dans les établissements, et sont animés d’une volonté d’oeuvrer pour sa création officielle.

Les orientations législatives en vue d’une éducation à l’information

Dans les réformes prévues et dans l’avant-projet de la loi générale de l’éducation du 30 mars
2005 l’article 108 « des bibliothèques scolaires » stipule que « tous les établissements scolaires publics disposeront d’une bibliothèque scolaire dont la dotation en ressources documentaires se fera de manière progressive par les administrations éducatives compétentes et que les bibliothèques scolaires contribueront à ce que l’élève accède à l’information et autres ressources pour l’apprentissage et qu’il puisse se former à leur usage critique ». Dans cet avant-projet, il n’est pas fait mention d’un responsable de bibliothèque. Quant aux technologies de l’information et de la communication, les résultats de l’enquête nationale de
2005 menée sur les bibliothèques scolaires montrent qu’il n’y a aucune amélioration des TIC par rapport à l’enquête de 1997. Plus de 50% d’entre elles sont sous équipées (un ordinateur pour le bibliothécaire et pas d’accès à l’internet). Seules 8% disposent d’un équipement adéquat aux besoins d’information et d’apprentissage des élèves à Internet. Mais il y a une augmentation du fonds documentaire. Seules 20% des bibliothèques scolaires utilisent un espace exclusif.
L’association « Education et Bibliothèque »[[Association créée en 1986 par Javier Francisco Bernal né en 1949 et décédé accidentellement en 1991, il était professeur à la faculté de sciences de l’information en 1988 à l’université Complutense de Madrid et était un pionnier dans la réflexion sur l’importance du travail documentaire à l’école. Il a organisé de nombreuses campagnes d’information, spécialement en direction de l’opinion publique, pour sensibiliser à l’utilité de la bibliothèque, et tout particulièrement à la bibliothèque scolaire. Conscient de l’influence importante que les livres et la documentation exercent sur la formation des individus, il a dédié toute son activité pour le développement des bibliothèques. Il a lutté pour l’implantation de la bibliothèque scolaire au milieu de l’incompréhension et du silence des institutions espagnoles.]], l’évolution du nombre des journées et des rencontres professionnelles tant nationales que régionales sur les bibliothèques scolaires, les articles de revues, les monographies et l’émergence de travaux universitaires sur ce sujet montrent bien que, dans ces quinze dernières années, la revendication en faveur d’une législation est forte.

Francine Pavan, Docteur en Sciences de l’information et de la communication, Professeur-documentaliste à l’Education Nationale.