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Quelles perspectives pour le primaire ?

Les enseignants ont été mis à rude épreuve pour assimiler la masse considérable de textes pédagogiques officiels produits depuis plus de quinze ans. Objectifs, capacités, compétences transversales, compétences devant être acquises en fin de cycle… les repères sont pour le moins variés et très prolifiques. Il n’est que temps d’apporter des clarifications. Les maîtres attendent des réponses nettes sur des questions essentielles à la réussite de leurs élèves : quelles sont les compétences réellement exigibles ? Quelles sont celles qui sont en cours d’acquisition ? Quel niveau de performance faut-il attendre, pour telle année de cycle, pour la fin d’un cycle ? Si les équipes pédagogiques peinent à élaborer des parcours d’enseignement ménageant la progressivité des apprentissages, c’est qu’ils ne disposent pas des éléments en réponse à leurs interrogations.

Les manuels

Partons d’abord de la pratique des textes en classe. Les programmes 2002 dénoncent les limites intellectuelles des fichiers. Ils valorisent les manuels, « socles » intemporels de tout enseignement. « Les manuels doivent redevenir les instruments de travail qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être ». Bien souvent, les photocopies extraient des divers ouvrages du commerce des séries d’exercices. Dans l’esprit des maîtres, il s’agit de fixer des savoirs, parfois émiettés, à partir de surentraînements. Le risque d’un « socle commun » serait alors de renforcer un dressage des esprits, de viser l’acquisition de savoirs mécaniques, faussement assimilés sur du court terme. Accumuler les exercices à coup de photocopies pourrait donc éliminer les efforts intellectuels par ailleurs préconisés dans les programmes. Quid des débats interprétatifs en français ; quid des explicitations de procédures personnelles en mathématiques ?

Les projets

Ces approches pédagogiques sont très partiellement évoquées dans les programmes 2002, souvent au détour d’un domaine pédagogique spécifique (exemple : projets partenariaux en éducation artistique). Elles représentent pourtant des pratiques vivantes dans les équipes des écoles maternelles et élémentaires. Elles sont même issues d’engagements militants pour ouvrir l’école sur la vie. Projets et thèmes sont perçus comme des antidotes aux fichiers et manuels ; ils sont censés développer chez les élèves une recherche de sens et stimuler les motivations pour apprendre. Pour autant, ces options s’avèrent plus délicates qu’il n’y paraît pour garantir l’acquisition d’un niveau scolaire indubitable. Les dérives d’un cadre éducatif large sont réelles, d’autant que des partenaires peuvent perdre de vue les exigences de l’école. Les dérives d’une certaine interdisciplinarité sont également un risque dans la mesure où peuvent s’y perdre des savoirs prioritaires et identifiés. Pour les maîtres qui cultivent ces idéaux pédagogiques, le « socle » apparaît plutôt dans les significations larges données à des recherches. Le socle serait une sorte d’intelligence du monde.
Des tensions pourraient donc être accentuées au sein de l’institution à partir des représentations actuelles des enseignants et de ce qu’ils désignent comme l’essentiel. Ces textes officiels ne s’inscriront pas dans ces dichotomies et décevront certainement les uns et les autres. L’enjeu est ailleurs. Il s’agit donc de mieux faire réussir les élèves.

Quelles pratiques attendre du « socle » ?

Il est difficile de séparer le socle commun des lois d’orientation, celle de 1989 et celle de 2005. Centrer la pédagogie sur l’élève a été un axe nécessaire pour rééquilibrer la place de l’enfant. Les programmes 2002 ont déjà adopté le recul d’une mise en perspective historique. Le préambule cite les instructions qui ont constitué les continuités des méthodes pédagogiques, des textes de 1882 à ceux de 1989, en passant par les années 1923 et 1970.
Mais le recentrage sur l’élève ne diminue en rien le rôle de l’enseignant. Pas de réussites scolaires sans un partage équitable entre l’activité de l’élève et l’apport du maître. De même, pas de réussites scolaires sans un équilibre (pratiquement à égalité) entre des savoirs et des démarches propres aux domaines. Ainsi, acquérir des connaissances scientifiques est totalement inséparable de la démarche expérimentale et documentaire. Ainsi, les connaissances sur la langue sont totalement inséparables des valeurs et visions du monde des textes écrits en français. On peut donc légitimement prévoir que le socle commun déclenche des accords sur ces recherches d’équilibres salutaires.

Jean-Pierre Remond, inspecteur de l’Éducation nationale circonscription Le Mans I.