Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Quelle transversalité des compétences en EPS ?

Y aurait-il des facteurs limitants du transfert à prendre en compte dans l’activité d’apprentissage ? Les compétences spécifiques, propres ou générales, dont il est question au collège, sont-elles toujours transférées d’un cycle d’enseignement à l’autre ? Telles seront nos questions princeps.
Dans toutes les situations que j’ai rencontrées, le transfert nous apparaît comme le réinvestissement d’une compétence. Cela étant, seul le périmètre d’extension de la compétence qui est plus ou moins large reste à définir. Dès lors comment définir ce périmètre? Je l’ai fait à partir de la notion d’enjeu : c’est-à-dire, ce qui est “ en jeu ”, ce qui mobilise, incite à s’engager dans une situation ou une APS. L’enjeu peut être entendu comme un type particulier d’intentions poursuivies, fondateur d’un genre spécifique de rapport existentiel du sujet à sa pratique, et porteur d’émotions également singulières. C’est d’ailleurs ce qui permet de comprendre que des élèves qui sont dans l’enjeu en course de durée ne le restent pas en hauteur ou vis et versa. Dans ce cas, je peux supposer que la compétence propre “s’inscrire dans une performance athlétique”, atteinte à un certain niveau dans une APS, ne se transfère pas dans une APS du même groupe (phénomène étudié à partir de la course de durée et de la hauteur).
Il semblerait par conséquent que les conditions d’accès à l’enjeu d’une activité soient un facteur non négligeable dans les mécanismes du transfert. C’est pourquoi, j’ai essayé de montrer que l’apprentissage (“ acquisition de compétences ”) et par suite le transfert de ces compétences est à rattacher à la façon dont les élèves vont s’approprier l’enjeu des situations que nous proposons. L’essentiel du travail a été ensuite de tester cette hypothèse.
Est-ce à dire cependant, que l’enseignement en EPS favorise le transfert dès lors qu’il y a acquisition de compétences? En fait, il est difficilement pensable qu’une compétence éprouvée dans une situation quelconque s’étende spontanément et automatiquement, sans intervention volontaire du sujet, à d’autres situations.

Un sujet qui donne du sens

Il est ressorti de mon expérience que c’est le sens que le sujet attribue à une situation qui détermine si elle va relever ou non de telle classe de situations donc, de telle compétence spécifique, propre ou générale. C’est le sens que l’élève va donner à la situation qui va lui faire prendre en compte certains aspects de la situation plus que d’autres et non l’inverse. Par suite, le réinvestissement d’une compétence acquise, lié à la similitude que le sujet établit entre deux situations, dépend du sens que l’individu donne à chacune. La similitude est révélée dans ce cas par une intention, ce que B REY (1996) traduit ainsi : “ chaque intention, sa transversalité ”, ce qui ne signifie pas qu’il suffit de posséder une compétence pour systématiquement la transférer. Il faut en outre en avoir l’intention. La question redoutable est maintenant de savoir comment il est possible de provoquer ces intentions, à la source du réinvestissement des compétences, produits de l’apprentissage.
Un même individu peut avoir des intentions différentes selon les moments. Il y a aussi les intentions qu’un individu n’aura jamais parce qu’elles ne font pas partie de son existence. À ce moment là, la tâche la plus difficile de l’école sera de faire partager par les élèves des intentions qu’ils n’auraient jamais eues spontanément. Alors comment faire ?

Provoquer le transfert

Comment puis-je provoquer le transfert des compétences ou plus précisément prendre en compte les intentions de chacun dans mon enseignement sachant que les élèves vont catégoriser les situations entre elles par le biais de leurs intentions ? En fait, si ce sont les intentions d’un apprenant qui lui permettent de rattacher une situation à une classe de situations, je me suis demandée s’il était possible de classer celles-ci dans des groupes d’appartenance. M’est venue alors l’idée d’une classification où l’APS n’est plus seule prise en compte mais mise en relation avec le sujet par le biais des intentions qu’elle peut déclencher. Les différents modes de pratique sont classés en fonction de l’intention qu’ils génèrent chez les sujets, qui est à l’origine de l’action des pratiquants, qui assure leur engagement dans l’activité et qui les amène à acquérir et/ou transférer des compétences dans les situations rattachées à cette même intention.

Pour exemple, la classe que j’ai désignée “intention n°1” regroupe des activités dans lesquelles le rapport existentiel du sujet à sa pratique est un rapport dans lequel, ce qui est “en jeu”, est un rapport à l’espace et au temps qu’il faut rendre maximal (aller plus loin/ou le plus vite). Elle rassemble des activités dans lesquelles il s’agit de produire une performance mesurée et objectivée en relation avec l’espace et/ou le temps dans le but d’établir un record personnel et/ou par rapport à d’autres comme la natation, l’athlétisme, le cyclisme…

De la mise en jeu à la mise en scène

Cependant, est-ce que l’intentionnalité première que porte une activité est un critère suffisant pour classer les APS ? Est-il toujours évident de faire accéder un élève à l’intention première d’une classe d’activités quelle que soit l’activité en question ? Il convient peut-être de s’interroger sur les conditions qu’offre une APS pour accéder à l’enjeu dont elle est porteuse. En poussant plus loin la réflexion, j’ai soulevé l’idée selon laquelle il existe différentes mises en scène possibles de cet enjeu, intentionnalité que fédère une classe d’activités. C’est justement ces différences de mise en scène, inhérentes aux activités d’un même groupe qui expliquera, l’accès plus ou moins facile à l’enjeu commun porté par celle-ci. Finalement, les mises en scène différentes d’une APS à l’autre, et les interprétations que l’élève va tirer de ses expériences dans celles-ci, véhiculeront plus ou moins facilement l’enjeu du groupe auquel appartiennent ces activités.

Pour des élèves peu dynamiques par exemple, la nature de l’effort en course de durée peut être un obstacle pour leur faire vivre authentiquement l’enjeu de l’athlétisme, alors que la nature de l’effort en hauteur en revanche, semble plus appropriée pour ce type d’élève. En tout cas, c’est ce qui pourrait expliquer, à mon sens, qu’un élève ne réinvestisse pas la compétence “s’inscrire dans une performance athlétique” d’une situation à l’autre en course de durée alors qu’il le fait en hauteur.

L’interprétation qu’il fait du scénario vécu dans la situation, ne déclenche pas chez lui la même intention ou plutôt le même état de cette compétence fondamentale que j’ai appelée “compétence enjeu”. En fait, l’état de développement de cette compétence pour chaque élève, est représentatif de la position de ce dernier dans sa marche vers l’enjeu ou but principal de l’activité pratiquée, et peut se modifier d’une situation motrice à l’autre. en outre, le niveau d’acquisition atteint dans cette compétence conditionne les niveaux atteints dans les autres compétences visées. Il est ressorti de mes travaux, la mise en évidence d’un réinvestissement des niveaux de compétences atteints, perturbé par la modification du niveau de la “compétence enjeu”, d’une situation motrice à l’autre. Manifestement, le rapport existentiel qui lie le sujet à sa pratique, traduit ici, en l’occurrence, par le niveau qu’il a atteint dans la compétence “s’inscrire dans une performance athlétique”, conditionne le réinvestissement des niveaux de compétences spécifiques, propres et générales acquis.
Par conséquent, c’est bien en identifiant ce qui conditionne le transfert d’un niveau précis de la compétence enjeu d’une activité, que j’ai pu comprendre pourquoi le niveau atteint dans une compétence quelconque ne se transfère pas toujours visiblement. Indirectement, cela m’a permis de spécifier les facteurs qui limitent ou favorisent le transfert des autres compétences spécifiques, propres ou générales. Notons que ces différences de mises en scènes peuvent être constatées d’une activité à l’autre mais aussi d’une situation motrice à l’autre dans la même activité.
Exemples :
– En hauteur, le résultat de la performance est directement perceptible ; en course, il faut calculer la distance parcourue.
– Il y a l’idée de concours en hauteur, avec une opposition indirecte, une pluralité des essais…ce qui n’existe pas en course de durée.

D’autre part, j’ai mis en évidence une deuxième condition du transfert de la compétence enjeu. Il s’agit de facteurs déclencheurs influençant les comportements des élèves. Ceux-ci peuvent être catégorisés et sont considérés comme des facteurs internes aux élèves. Ils dépendent des individus eux-mêmes, de leur personnalité, de leur histoire, de leurs expériences…
Exemples :
– “ avantage porté par sa taille ” en hauteur ou “ valeur de sa VMA ” en course
– “ nature de sa représentation de l’activité hauteur ou course ”
– “ nature de la perception de sa compétence ” en hauteur ou en course et “ de son contrôle de l’activité en question ”.

Conclusion

Je terminerai mon analyse en rappelant que c’est “le sujet qui décide d’isoler dans l’infinité des caractères du monde ceux auxquels il donne sens” (B REY, 1996). Dès lors, plus que les différences de mises en scène, c’est la façon de vivre ces différents scénarios qui conditionne le transfert de la compétence enjeu. Je postule l’existence d’une forme transfert de compétences conditionné par un accès plus ou moins facile à l’enjeu des différentes classes d’APS. La facilité ou la difficulté d’accès à l’enjeu ne sera pas déterminée par des facteurs liés aux situations d’un côté, et des facteurs liés aux individus d’un autre côté, mais par la rencontre des deux qui va faire émerger le sens que l’élève donne à l’activité pratiquée.

Maud Zecchini Coupet, professeur EPS au collège P. de Ronsard (Paris 17ème )