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Quelle nouvelle école ?

L’école élémentaire fait moins parler d’elle que le second degré : c’est sans doute actuellement un lieu moins sensible, soit que les enjeux y soient moins apparents, soit que la plus petite taille des établissements en fasse des lieux plus conviviaux et où les conflits ne sont vécus qu’en interne. Pourtant tout n’y est pas idéal : même à ce niveau, dans certains quartiers, il devient de plus en plus difficile d’enseigner ; par ailleurs les familles vivent des sentiments mêlés de satisfaction devant l’école primaire – diverses enquêtes en témoignent – et d’angoisse, en particulier quand il s’agit de l’entrée au cours préparatoire.
Il y a cependant une évolution bien réelle, même si elle ne se fait pas sous la pression d’une situation d’urgence qui exigerait des solutions rapides. Les élèves changent, les demandes des parents aussi : demande de réussite, mais aussi de reconnaissance de l’enfant, d’un certain « bien-être » dans son rôle d’élève, de dialogue avec l’école. Les didactiques des différentes disciplines ont avancé et on en voit les retombées dans la façon d’enseigner. Le rôle du maître évolue : un processus amorcé depuis longtemps et qui s’est accéléré et formalisé dans les écoles où on s’est inspiré de la Charte du xxie siècle, qui encourageait le travail avec des intervenants extérieurs en même temps qu’apparaissaient les aides-éducateurs. Ouverte sur l’extérieur fût-ce à son corps défendant, l’école est liée à son environnement, répond à des sollicitations de la commune où elle est située, est un enjeu pour les politiques de la ville. Le maître ne peut plus être celui qui, dans une classe, enseigne et ne fait que cela. Son métier et son identité évoluent : les deux dernières parties de ce dossier montrent comment – et les problèmes que cela pose.
Autant de changements à recenser, analyser et interroger : dans quelle mesure ces évolutions sont-elles démocratisantes, facteurs de réussite pour tous ? Comment les enseignants du premier degré accompagnent-ils ces changements, sont-ils eux-mêmes créateurs et porteurs d’évolution ? Que considèrent-ils comme des dérives et comment luttent-ils contre elles [[L’instituteur a même changé de nom, il est devenu professeur des écoles, est recruté avec une licence : modifications dont il faudrait étudier l’impact.]] ?
Les changements sont induits entre autres par les politiques ministérielles. Ici, les directives ont largement évolué ces dernières années : place plus importante pour l’enseignement des langues, des arts [[Multiplication, par exemple, des projets de classes culturelles.]] et de l’EPS… D’ailleurs, de nouveaux programmes sont en cours de rédaction [[Des préprogrammes viennent d’être publiés, peuvent être expérimentés par des volontaires, puis seront amendés en fonction de leur avis avant de devenir impératifs.]].
Du point de vue pédagogique, le constructivisme s’installe en maître – du moins dans les prescriptions – ; il s’agit de faire de l’enfant l’auteur de ses apprentissages. Du point de vue didactique, l’école s’appuie sur des savoirs nouveaux – c’est pourquoi les parents ne reconnaissent plus toujours les façons de faire vivantes dans leurs souvenirs – : on utilise des situations-problèmes, on cherche à donner du sens en travaillant sur la cohérence des apprentissages. Des outils nouveaux sont introduits : les BCD se sont multipliées, les outils informatiques aussi ; ils devaient révolutionner l’ensemble des activités pour le plus grand profit des élèves : ont-ils tenu leurs promesses ?
Sans aller aussi loin que la Charte du xxie siècle qui définissait le rôle du maître comme celui d’un chef d’orchestre, force est de reconnaître que le métier s’exerce de plus en plus en équipe : il faut travailler avec d’autres adultes aux statuts divers et parfois peu clairs : l’aide-éducateur, est-il un égal à qui on délègue, un subordonné à qui on prescrit, un collaborateur ? Et avec un intervenant « expert » dans une technique que le maître ignore, le partenariat est-il possible ou est-on contraint de déléguer ? Dans tous les cas, quelle est la place de chacun ? Cela pose de façon renouvelée la question de la polyvalence : peut-on la fragmenter entre plusieurs personnes sous la responsabilité d’un seul, le maître, qui n’a peut-être pas la compétence pour exercer ladite responsabilité ? Cet aspect nouveau du métier exigerait une vraie formation (outre qu’il y faut du temps et une bonne connaissance de la logique de l’autre). Dans ce travail plus collectif où, de plus, on confie parfois sa classe à un autre, quelle est la place de chacun, comment le maître et l’intervenant peuvent-ils s’ajuster l’un à l’autre, négocier, travailler ensemble ? Plusieurs articles abordent cette question, dont celui qui présente un CEL dans le Val-d’Oise.
Notons que la question de la polyvalence et de la coopération va encore évoluer dans les années qui viennent : on va de plus en plus vers une polyvalence d’équipe. Si aucun texte ne la prescrit à l’heure actuelle, les évolutions actuelles de la formation l’anticipent. En effet, on met en place des formations « à dominante » en arts, EPS et langues vivantes, afin que dans chaque équipe, une personne au moins puisse se charger d’enseigner ces disciplines, de coordonner les projets, de travailler avec les intervenants extérieurs en ayant avec eux un langage commun à défaut d’une expertise aussi grande. Nul doute que le moment venu, les Cahiers pédagogiques reviendront sur cet aspect du dossier de l’école élémentaire.

Elisabeth Bussienne, Professeur à l’IUFM des Pays de la Loire.
Françoise Carraud, Institutrice à Chalon-sur-Saône.