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Quelle Ecole pour les élèves en situations de handicaps ?

Aujourd’hui, de plus en plus d’enfants et d’adolescents porteurs d’un handicap sont scolarisés soit dans l’établissement scolaire le plus proche de leur domicile, soit dans une école, un collège ou un lycée adapté pour les accueillir. Même s’il reste encore beaucoup à faire pour que tous les élèves en situations de handicaps dont le projet individualisé le prévoit, soient scolarisés en milieu ordinaire, il paraît possible de noter une évolution positive des procédures notamment depuis le développement des AVS en septembre 2003. Pourtant il ne s’agit pas seulement de permettre la scolarisation de ces élèves avec et comme les autres, encore faut-il qu’ils puissent être traités comme leurs pairs non handicapés. C’est-à-dire que l’Ecole doit être un lieu où ils apprennent des choses, se confrontent à l’Autre, s’interrogent, pour comprendre et faire évoluer leur regard sur le monde. Ce ne doit pas être seulement, comme ce fut le cas bien longtemps (et encore parfois) pour ces élèves, une lieu de socialisation. Dès lors que les objectifs de scolarisation deviennent les mêmes que pour l’ensemble de la population scolaire alors ce n’est plus seulement en terme de procédures d’accueil qu’il est nécessaire de penser mais aussi et surtout réfléchir aux processus qui agissent dans cette confrontation à l’Ecole. Il y a, nous le savons, des enjeux dans cette scolarisation en milieu ordinaire qui dépassent le « simple » fait d’apprendre des choses[[Ces enjeux sont politiques (c’est une des priorités du chef de l’Etat actuellement) économiques, sociaux, mais aussi en lien avec un équilibre familiale, ou encore, enjeux fondamentaux pour le sujet dans son développement personnel et dans le fait de montrer qu’il a bien sa place à l’Ecole.]]. Ces enjeux sont entre autres, autant ceux de l’élève que de l’enseignant. Si aujourd’hui il arrive encore assez souvent que les acteurs de ces projets parlent « d’intégration scolaire », il me semble qu’apparaît plus régulièrement l’expression « inclusion » qui est empruntée à la langue et aux pratiques anglaises. Pourtant passer des pratiques d’intégration scolaire à celles de scolarisation avait déjà pour effet de centrer le travail sur des objets différents, je l’avais montré et écrit dès 1998[[Voir les Cahiers pédagogiques, N° 182 (1999) ou La nouvelle revue de l’AIS, N° 22 (2000)]], alors parler en terme d’inclusion désormais, demande bien plus qu’un changement de terminologie.
En effet, je crois qu’il est nécessaire pour l’ensemble des acteurs de l’Ecole de s’interroger et de modifier leurs modes de fonctionnement.

Du rôle des spécialistes à celui des ressources

Depuis les premiers questionnements et dispositifs mis en place pour éduquer au mieux des enfants ou élèves « handicapés », le concept de spécialisation a toujours dominé les pratiques, les procédures et les modes de pensée dans ce domaine. Ainsi, lorsque l’on ne sait pas gérer une situation, on peut s’apercevoir que dans notre société, la tendance « naturelle » est de recourir au spécialiste qui « sait », comprend, trouve des solutions. Ces procédés peuvent induire, sous couvert de proposer les meilleures situations pour ces enfants, leur éloignement des structures non spécialisées (l’école ordinaire, par exemple). Ils ont longtemps dominé le fonctionnement de la scolarisation, pour ne pas dire « l’accueil », des élèves en situations de handicaps. C’est, de toute façon, ce qui a permis dans un premier temps de concevoir en partie, le modèle des établissements médico-sociaux ou médico-éducatifs, puis dans un second celui de l’intégration scolaire puisque des spécialistes pouvaient se porter garants du projet d’accueil dans une classe ordinaire et répondre aux interrogations des enseignants souvent démunis, voire réticents. Ainsi, en cas d’échecs ou de difficultés, le recours au spécialiste détenteur d’un savoir particulier, permet au néophyte de se dédouaner de l’échec de l’entreprise et de renvoyer l’élève vers le milieu spécialisé.
Aujourd’hui, s’engager dans des projets de scolarisation inclusive, ne permet plus de confier le projet aux seuls spécialistes comme cela a été le cas jusqu’à présent. Pourtant, il paraît toujours nécessaire de faire appel à des professionnels détenteurs d’un savoir et de compétences spécifiques afin de mieux comprendre certaines pathologies ou certains fonctionnements complexes de ces élèves. Puisque la place du sujet accueilli à l’Ecole ordinaire est de toute façon celle-ci, qu’il n’est a priori pas question de penser un accueil dans une structure spécialisée, alors c’est de l’intérieur même de l’école qu’il faut penser cet accueil et pouvoir s’appuyer sur les ressources internes au système éducatif dans son ensemble. La place de l’élève en situations de handicaps à l’école ne peut plus être posée en termes d’intégration ou d’exclusion mais au niveau des moyens à mobiliser pour offrir les meilleures conditions de scolarisation. Les dispositifs « spécialisés » de type CMPP, CMP, IME, SESSAD, IMPRO …. deviennent alors des partenaires ressources pour permettre une plus grande compréhension des problématiques de l’enfant afin de construire au mieux son projet individualisé. Les pilotes de la scolarité des élèves, de tous les élèves, sont alors les enseignants qui au sein de l’équipe éducative peuvent se réunir avec les associés nécessaires à la réalisation du projet.

Une ressource particulière : l’AVS

Depuis quelques années, et notamment à partir de septembre 2003, les auxiliaires de vie scolaire sont entrés en nombre dans l’école française. Cette ressource interne pour les élèves en situations de handicaps est un apport conséquent afin de permettre aux enseignants de penser les démarches particulières en collaboration avec un personnel, présent au sein de la classe, pour favoriser au mieux les apprentissages scolaires et la socialisation. Certains gestes techniques sont nécessaires, certaines aides de proximité sont requises. Plus largement, un étayage approprié est à construire pour faciliter la scolarisation de ces élèves à besoins spécifiques. Les missions qui sont confiées aux AVS peuvent être de plusieurs natures ainsi l’on définira 3 types de fonctions[[Ces missions ont été décrites entre autre dans le Rapport Mallot (2001) remis au ministre J.Lang et dans différents ouvrages ou textes de l’Education nationale]] :

  • l’accompagnement matériel et physique dans les actes de la vie quotidienne (déplacement, installation en classe, prise de notes, déplacement aux toilettes, restauration scolaire …)
  • l’accompagnement de soutien et d’étayage dans les activités d’apprentissage et de socialisation (sécuriser, motiver, stimuler, aider à la concentration, rendre autonome …)
  • l’accompagnement à la vie scolaire (organisation matérielle des activités de la classe, relayer le discours de l’enseignant, soutenir l’enfant dans les apprentissages, apporter une aide spécifique, aider aux manipulations, assister la personne dans les exercices, les évaluations …)

Il existe par ailleurs une 4ème fonction, plus transversale, c’est celle de la médiation, dans le cadre de la participation au projet pédagogique, en lien avec l’ensemble des partenaires, de la famille afin de favoriser la réalisation du projet individualisé et d’aider à la prise en compte de la complémentarité du travail d’équipe. L’AVS a à ce niveau une place privilégiée auprès de l’enfant, un rôle central au carrefour des différents intervenants.

Il apparaît que la place des AVS dans l’Ecole aujourd’hui permet la scolarisation d’un plus grand nombre d’élèves en situations de handicaps, pour autant, elle ne doit pas être une condition d’accueil car bon nombre d’élèves peuvent fréquenter l’école ordinaire sans la présence d’un AVS.

De la pédagogie différenciée à la pédagogie diversifiée

Les élèves en situations de handicaps présentent parfois des différences notables avec les autres élèves de la classe dans les manières d’être avec les savoirs et les pairs. Depuis la loi d’orientation sur l’Education en 1989, les démarches de pédagogie différenciée se sont instaurées dans l’Ecole française afin de prendre en compte la différence, souvent de compétences des élèves et se traduit régulièrement par la mise en place de « groupes de niveaux ou de besoins ». Dans le cadre d’une pédagogie diversifiée, il est nécessaire d’identifier d’autres paramètres plus larges que sont, bien entendu les compétences de l’élève, mais aussi ses besoins spécifiques dans les formes d’apprentissage (petit ou grand groupe, recherche, pédagogie frontale, sensibilité auditive, visuelle, manipulation …), ses rythmes d’acquisition en écho à ceux requis dans les programmes, ses sensibilités à telle ou telle forme d’apprentissage … Il en est de même pour les adaptations conséquentes aux déficiences qu’il présente (cognitive, motrice, abstraction, synthèse, déformations visuelles …). Ces différentes stratégies, si elles sont identifiées et prises en considération par l’enseignant, sont alors des atouts supplémentaires qui peuvent permettre une meilleure réussite scolaire, l’acquisition de compétences nouvelles non pas en différenciant mais en diversifiant les approches.

A suivre…

Vous l’aurez compris, aujourd’hui la scolarisation des élèves en situations de handicaps est fortement d’actualité mais il ne suffit pas d’augmenter le nombre d’élèves accueillis en milieu ordinaire pour se satisfaire de cette évolution. Il faut également que l’ensemble des acteurs de l’Ecole se mobilise pour modifier les pratiques, se positionner autrement vis-à-vis des partenaires dans la complémentarité des interventions. Il est nécessaire alors que cette dimension soit considérée dans la formation initiale des enseignants et des AVS, mais aussi que les services-ressources, partenaires de l’Ecole, sachent se positionner autrement qu’en « spécialistes ». La scolarisation inclusive est un enjeu fondamental pour notre société, ne manquons pas l’opportunité qui se présente à l’aube de ce 21ième siècle afin que les enfants et les adolescents en situations de handicaps puissent apprendre et être avec leurs pairs.

Patrice Bourdon, Docteur en sciences de l’éducation et auteur d’une thèse sur « le rapport au savoir et les mobiles d’apprendre chez les élèves porteurs d’une déficience motrice » (2003), membre de l’équipe ESCOL à l’université de Paris 8.


Publications
– « La scolarisation des élèves en situations de handicaps moteurs : rapport au savoir et mobiles d’apprendre», La nouvelle revue de l’AIS, N°29, avril 2005, Edition du CNEFEI
– « La scolarisation des élèves en situations de handicaps moteurs : rapport au savoir et mobiles d’apprendre » http://www.inrp.fr/biennale/7biennale/Contrib
– « Scolarisation et pratiques langagières avec des élèves de Clis 4 », La Nouvelle revue de l’AIS, N° 9, mars 2000, Suresnes, pp 11-20 (en collaboration avec É.Bautier)
– « Élèves handicapés à l’école : de l’intégration scolaire à la scolarisation », La Nouvelle revue de l’AIS, N°8, déc.1999, Suresnes, pp 175-185
– « Quelle intégration pour les élèves handicapés », Cahiers pédagogiques, N° 372, mars 1999, CRAP, Paris
– “La scolarisation des élèves handicapés : intégration et savoir”, Le cartable en colère (revue départementale du SGEN-CFDT), juin 2000.
–  » La scolarisation des élèves handicapés », Adaptation Intégration, N° 22 (Bulletin national AIS du Sgen-CFDT), pp 10-11, octobre 2000


[ Consulter notre dossier « N°428 – De l’enseignement spécialisé à l’intégration dans l’Ecole » ]