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Que sont nos élèves devenus ?

« Ce n’est pas comme cela que vous réussirez dans la vie, Guy Degrenne ! » Et la réclame de montrer, bien sûr, que ses appétits pour le dessin transforment le petit garçon, béret à la main, en fastueux orfèvre de la vaisselle. Dans les années 1980, c’est jusqu’à la publicité qui s’est moquée des verdicts définitifs de l’école sur les élèves.
En ces temps de débats (d’invectives, plutôt) sur la réforme du collège, le discours sur le crétinisme des élèves bat son plein. « Analphabètes » bientôt, « incultes » depuis longtemps, ces gamins qui sont entre nos mains aujourd’hui sont voués à devenir des imbéciles, sous-citoyens obsédés de Nutella. Il n’a pas mis le nez dans les collections de manuels de collège ou de lycée depuis bien longtemps, celui qui prétend qu’on n’enseigne plus rien aux ados. Faites le compte : une douzaine de programmes par an pendant sept ans, de la 6e à la terminale. Et, à bosser, des savoirs bien plus sophistiqués que les biographies paternalistes et pleines de moraline du Lagarde & Michard.
Et nous, les enfants de l’odieuse réforme pédagogiste de 1989, nous qui étions collégiens alors, sommes-nous les crétins annoncés ? Nous qui étions le désespoir de nos propres professeurs, qui nous barraient eux aussi la route à coups de « il est inutile d’espérer réussir » (sic), sommes-nous effectivement la génération d’imbéciles prophétisés ? « Michaël, je ne suis pas certain que vous puissiez réussir au lycée avec de telles notes en physique. » Il est justement docteur en physique, cadre dans l’industrie. « Vincent, on vous a donné le bac, estimez-vous heureux ! » Après de brillantes études supérieures à l’étranger, il est maintenant cadre sup’dans une des plus grandes entreprises informatiques du monde avec un salaire triple d’un agrégé. Oui, oui, triple. « Fabien, vous redoublez la 3e. Vous êtes en échec. » Parti vivre à l’étranger après un cursus supérieur en géographie, il est maintenant un consultant reconnu, recherché par les ministères. Même moi, le bon élève, on m’a regardé avec le mépris de l’estrade lorsque j’ai osé prétendre déposer un dossier en prépa.
Regardons-les, nos propres anciens élèves, qui nous ont fait déprimer en salle des professeurs. Ils sont grands, épanouis pour la plupart, pères ou mères, entre 80 et 90 % d’entre eux ont un boulot. J’en croise au cinéma, un peu moins au théâtre, rarement à l’opéra. Comme nous. Ils lisent moins ? Ils vivent d’écrans ? Peut-être. En tout cas, ils vont aussi bien que cette société le permet. Pas plus, mais pas moins.