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Que peut offrir la « classe d’intégration scolaire » ?

La pire des étrangetés n’est-elle pas de n’avoir pas de semblable ?
Simone Korff-Sausse (1997, p. 299)

Dans notre système éducatif, l’orientation d’un élève en classe d’intégration scolaire, (CLIS), est souvent considérée comme la dernière possibilité de maintenir un enfant, reconnu comme intellectuellement déficient, dans un établissement scolaire ordinaire avec un statut d’écolier identique aux autres enfants de son âge. Or, ces considérations méritent que l’on se penche sur le cas de ces enfants afin de comprendre quel est le rôle de cette classe et son enjeu.
Il faut d’abord admettre qu’avec cette orientation, il est aussi nécessaire de faire le deuil d’un avenir scolaire ordinaire. Car il serait faux de penser qu’un élève puisse être simplement « de passage » en CLIS et en ressortir pour retrouver une scolarité normale. La plupart d’entre eux restent dans cette classe jusqu’à l’âge requis pour quitter l’école élémentaire, d’autres la quittent avant parce qu’elle ne correspond plus à leurs besoins, et l’orientation après la classe d’intégration scolaire s’effectue presque toujours vers une structure spécialisée [[En effet, la plupart de ces élèves étaient, jusqu’à présent, orientés en SEGPA (Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté), c’est-à-dire, scolarisés dans une section spécialisée d’un collège où ils recevaient, dès la 4ème, un enseignement professionnel. Or, on constate actuellement une évolution de la population accueillie en C.L.I.S qui tend davantage à ressembler à celle des IME (Institut Médico-Educatif) et qui ne peut plus atteindre les compétences nécessaires pour poursuivre sa scolarité dans cette section spécialisée de collège.]].
Mais c’est aussi faire le deuil d’une souffrance infligée à l’enfant que provoquerait le maintien à tout prix dans le « circuit ordinaire ».
Car, avant que la déficience mentale n’ait été avérée pour proposer l’élève en classe d’intégration scolaire, l’enfant aura été maintes fois évalué et maintes fois dévalué, avec toute la souffrance que l’on peut subir lorsque la seule image qui est renvoyée est celle de l’échec et de son cumul. Même si l’échec scolaire est constaté une première fois, combien d’élèves doivent subir différents essais d’orientation avant que ne soit admise leur déficience ?
C’est pourquoi, bon nombre de ces enfants sont accueillis en état de souffrance, avec comme seul acquis : le sentiment d’incompétence.

Les derniers textes officiels [[Circulaire ministérielle de janvier 2002]] définissent ces élèves comme « enfants présentant des troubles importants des fonctions cognitives. Ces troubles peuvent avoir des origines diverses et se manifester de différentes manières : retard mental global, difficultés cognitives électives, troubles psychiques graves, troubles graves du comportement » et il est parfois difficile, pour certains d’entre eux, de distinguer la déficience mentale de la maladie mentale.
Ils arrivent donc un jour dans une école « comme les autres » mais dans une classe « pas ordinaire » et reçoivent le nom d’élèves de la CLIS. Beaucoup ne connaissent pas la signification de ces initiales.

Vous avez dit « intégration »…

Or, le « I » fait appel à la réflexion. Le dispositif de l’intégration diffère d’une école à l’autre puisqu’il dépend de l’enseignant qui a la responsabilité de la classe et de l’équipe pédagogique. Toutefois, la conception de l’intégration peut se décliner sur la définition de ce substantif, de son verbe et de ses dérivés.
L’élève orienté en CLIS est donc intégré dans une école qui elle-même est intégrée dans une école. Il s’agit donc d’intégrer selon deux dimensions. Une dimension individuelle qui consiste à accueillir l’enfant dans un groupe-classe et une dimension collective puisque c’est la classe tout entière qui doit faire partie intégrante de l’école. Et c’est en ce sens que l’on considère l’enfant comme maintenu dans un établissement scolaire ordinaire avec, du point de vue civique, l’intérêt pour tous de vivre la différence en termes de partage et de coopération.
Si l’on examine la définition d’« intégrant », on peut lire : « qui contribue à l’intégralité d’un tout ». En effet, de nombreux spécialistes apportent une aide à l’enfant qui nécessite souvent, une rééducation en psychomotricité et/ou orthophonique, et/ou un suivi psychologique ou thérapeutique, etc. C’est pourquoi, la classe d’intégration scolaire constitue un des éléments de ce tout.
L’enfant y est accueilli et accepté dans son « intégralité », avec son potentiel, ses déficiences, ses similitudes et ses différences. Il faut souvent du temps avant que cet enfant ne devienne un élève. Encombré de parasites psychiques, il est indisponible pour les apprentissages scolaires. Il ne s’agit pas simplement d’attendre une maturité mais bien une disponibilité qui, une fois acquise, donne accès à la joie de devenir un élève.
Ainsi, il est accueilli dans son « intégrité », définie comme « un état qui est demeuré intact ». Car, même si son potentiel est diminué, toutes les qualités qui font la beauté d’un enfant sont intactes. Dans cette classe spécialisée, la différence n’est pas disqualifiante et il sera regardé par les autres élèves comme un pair : « Je sais que tu as du mal à apprendre. Moi aussi ! » Et c’est ce qui fait de la classe d’intégration scolaire une classe « pas-ordinaire ».
Les quelques cas d’enfants qui vont être exposés succinctement ont pour objectif d’appréhender différents profils d’élèves, à partir de leur histoire personnelle, de leur profil psychologique, et de leur cursus scolaire.

F.
F. est issu de parents déficients qui, de retour de la maternité, prennent peur lorsque le nouveau-né pleure, parce qu’ils ne savent pas comment agir avec lui. Ils s’enfuient de l’appartement en laissant l’enfant. Alerté par les pleurs, les voisins préviennent la DDASS qui récupère un nourrisson abandonné depuis deux jours.
À l’âge de neuf mois, F. est reçu en famille d’accueil. Il y vit encore actuellement et appelle les deux adultes « maman » et « papa ».
Dès son entrée en école maternelle, F. présente de gros troubles du comportement. Différentes aides seront mises en place et un traitement médical à base de « Ritaline » sera prescrit. Ce traitement se poursuit actuellement.
Il est constaté que son comportement s’aggrave considérablement à chaque fois que l’enfant doit rencontrer ses parents naturels, mais l’« aide sociale » souhaite maintenir les liens naturels.
F. est orienté en CLIS dès sa sortie de grande section. Sur proposition de l’école et en accord avec les instances sociales, le juge pour enfants suspend les rencontres entre l’enfant et ses parents naturels.
Profil psychologique : F. est un enfant présentant des troubles psychiatriques : hyperactivité et troubles du comportement allant jusqu’à l’automutilation et à l’agression. On ne sait si le facteur héréditaire doit être pris en compte.
Au terme du premier trimestre, F. entre dans les apprentissages scolaires et devient lecteur à la fin de l’année. Actuellement, son projet pédagogique situe ses apprentissages dans un niveau de CE1. Ses troubles psychologiques demeurent mais ils ne sont plus perturbateurs ni dangereux pour l’enfant et pour son environnement.

J.
J. Est reçu en famille d’accueil à l’âge de huit mois. Sa mère naturelle accepte de l’abandonner officiellement afin qu’il puisse être adoptable. Il le sera à sept ans et changera de nom patronymique qui deviendra celui de sa famille d’accueil.
Cursus scolaire : petite section – moyenne section – deux grande section justifiées par ses difficultés scolaires – deux classes d’adaptation fermée – proposition d’orientation en CLIS – refus des parents – école spécialisée – échec – proposition d’orientation en CLIS acceptée.
Profil psychologique : déficience des processus mentaux et troubles psychologiques. L’enfant est très émotif, se décourage vite et manque de confiance en lui.
Après deux années de scolarisation en CLIS, J. est parvenu à atteindre un niveau scolaire de CE2 lui permettant d’être orienté en SEGPA où il poursuit actuellement sa scolarité en 5e.

A.
A. est la dernière enfant d’un père très âgé et d’une mère déficiente intellectuellement. Elle a deux sœurs dont l’une possède une très forte ressemblance physique et mentale avec la mère, l’autre poursuit une scolarité normale et est actuellement en lycée.
A. est accueillie une première fois en CLIS mais en intégration, à raison de deux jours par semaine. L’autre moitié du temps, elle bénéficie de soins thérapeutiques et d’enseignements éducatifs en hôpital de jour, en service psychiatrique. Souffrant d’encoprésie [[L’encoprésie est la défécation « involontaire » ou délibérée dans des endroits non appropriés chez un enfant d’âge chronologique et d’âge mental d’au moins 4 ans.]] et d’autres troubles du comportement, la classe spécialisée ne parvient pas à lui proposer une réponse adaptée. A. suivra une scolarité et bénéficiera de soins à temps complet durant un an dans l’hôpital. Elle sera à nouveau accueillie en CLIS l’année suivante à temps partiel. Cette seconde intégration aboutit à un succès qui permet d’augmenter son temps de présence dans la classe. Cependant, les troubles psychologiques étant encore importants, une intégration à temps complet ne peut être envisagée.

M.
M. est issue d’une fratrie de cinq enfants, et souffre d’épilepsie comme ses frères et sœurs. Il semble que le gène est transmis par le père. Ses aînés sont en établissement spécialisé car le degré de la maladie provoque d’importants troubles du comportement et du développement. L’épilepsie de M. est stabilisée par un traitement médicamenteux qui empêche les convulsions. Elle n’apparaît que par des moments « d’absence » où M. a le regard fixe, ne réagit à aucune sollicitation, et ne se souvient pas de la crise qui vient de se produire.
Agée de neuf ans lors de son accueil en CLIS, M. présente à la fois un caractère naïf, d’une grande immaturité, et un désir d’être déjà adolescente, en adoptant une tenue et un comportement adaptés à ce désir.
Parcours scolaire : 2 CP – classe d’adaptation fermée – CLIS
Lorsqu’elle quittera la classe spécialisée, M. aura atteint un niveau scolaire de CE2. Son comportement la rendant très vulnérable, elle ne sera pas orientée en SEGPA mais dans un établissement spécialisé.

J.
J. souffre d’une forte dépression nerveuse lorsqu’elle est accueillie en CLIS. Un grand manque de confiance en elle donne l’image d’une petite fille très fragile, qui pleure dès qu’elle ne réussit pas.
J. est née avec un fort strabisme et une myopie qui ont nécessité de nombreuses interventions chirurgicales et provoqué des absences scolaires prolongées. Son frère aîné n’a jamais accepté la naissance de cette petite sœur. Ce rejet s’est encore accentué, par l’aspect physique du strabisme et par l’échec scolaire. Il se traduisait par un comportement méprisant, dénigrant, et moralement maltraitant. Les parents souffraient également du comportement de leur fils. La mère tomba en dépression nerveuse pratiquement en même temps que sa fille.
J. est accueillie à l’âge de sept ans. Un dispositif d’aides est mis en place. Elle restera quatre années dans cette classe.
De gros progrès tant scolaires que comportementaux seront le signe d’un dépassement du seuil de la déficience. J. sera la première élève de cette classe, existant depuis sept ans, à être proposée en intégration à temps complet dans une classe ordinaire.

Que peut offrir la classe d’intégration scolaire ?

Comme je l’ai précisé auparavant, une des réponses est la prise en compte de l’enfant dans son intégralité, en lui laissant le temps de se constituer une identité d’élève et en valorisant son potentiel scolaire. Mais pour ce faire, il me paraît fondamental que la classe d’intégration scolaire insère l’enfant dans un courant porteur [[L’expression et l’idée générale sont empruntées à P.A. Dupuis, Université Nancy 2]]. Pour reprendre l’idée de Nietzsche, « la vie est affirmative »… Dewey précise que la vie dit oui à ce qui nous intéresse. Par conséquent, cette classe doit permettre à l’élève de rendre visible ses capacités par la mise en place de tous les dispositifs de la reconnaissance et de l’intérêt [[Même remarque que ci-dessus]]. Du point de vue didactique, la reconnaissance et l’intérêt peuvent être suscités par la pédagogie du projet en rendant l’enfant « acteur de son intégration » (A. Voiry, 2004), conscient des capacités qu’il peut mettre à profit dans la réalisation de ce projet et des compétences qui lui sont nécessaires à acquérir pour le finaliser.
Insérer l’enfant dans un courant porteur c’est aussi l’accompagner dans une action dynamisante qui le mène vers un but à atteindre : acquérir davantage de savoirs. Or, la place de l’enseignant-accompagnateur évolue également selon la réussite de l’élève. Les premiers temps de la scolarisation en CLIS nécessitent généralement un réel soutien, entendu comme « être derrière l’enfant », « ne pas le laisser tomber ». Lorsque l’élève a acquis de solides appuis, l’enseignant se place à ses côtés pour l’accompagner dans la construction de ses apprentissages. Mais il doit également procéder à une mise à distance de cette relation d’aide lorsque l’élève est devenu suffisamment autonome. Ce déplacement peut s’effectuer par exemple vers le haut, si l’enseignant estime que l’élève peut encore davantage progresser.

La classe est l’espace dans lequel l’enfant déficient va pouvoir se repérer et construire son identité d’élève et y effectuer ses apprentissages. Comme le souligne D. Câlin, (2002), certains enfants éprouvent un réel besoin « d’enveloppement » qui, maintenu dans une classe ordinaire, s’est traduit par une blessure, voire une « démolition ». La classe d’intégration scolaire favorise ainsi leur « réparation », la reconstruction de leur enveloppe psychique. L’enfant étant d’abord un sujet en construction, sa « socialisation psychique » se fait pour l’essentiel durant la période de la scolarité élémentaire. Piaget a montré que cette période favorise la relation à autrui par la décentration et la réversibilité des relations. Réciprocité, décentration, capacité à adopter le point de vue de l’autre, capacités de coopération, constituent des acquisitions sociales manifestement déterminantes, normalement élaborées et consolidées au long de la seconde enfance, sorte d’âge d’or de la sociabilité. Alain parlait de « société des enfants » pour désigner ce groupe d’âge. Il me semble que la parité est un autre élément essentiel à l’acquisition de ces capacités, fortement liée à la reconnaissance. L’immersion effective d’un enfant dans un groupe de pairs est une condition indispensable à cette maturation socialisante, par l’expérience de la réciprocité. En tant que groupe de référence et d’appartenance, la classe d’intégration scolaire permet à l’élève déficient de répondre à son besoin d’être dans une atmosphère relationnelle rassurante. La norme de douze élèves place cette classe dans une vraie logique de groupe restreint dans lequel, selon les leçons fondatrices de la psychologie sociale, chacun est visible par tous. Elle ne doit donc pas être perçue comme un lieu de ségrégation, mais comme une classe de protection d’enfants en souffrance, de lieu de reconstruction de leur identité d’élève, et de support à leurs apprentissages en proposant une pédagogie adaptée.

Aline Voiry-Philippe, professeur des écoles, Nancy.

Bibliographie
Canguilhem G. Le normal et le pathologique 3e édition PUF 1975
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Dubar C. La socialisation A. Colin 2000
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Gillig J.M. Intégrer l’enfant handicapé à l’école Dunod 1996
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Revue du CRDP région Centre : « Contre l’exclusion scolaire »
Revue des Sciences Humaines N° 92 mars 1999 « Les ressorts de la motivation »
Revue TDC N° 386 « Handicaps et intégration »
Revue Réflexions et analyses pédagogiques IUFM Poitiers N° 7
Revue Eduquer N° 5 2e trimestre 2003
Sites internet Câlin D. « La classe spécialisée fermée, lieu et temps de reconstruction »
Sites internet Desjardins J. « Enseigner ; une expérience réfléchie »