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Que nous apportent donc les réseaux ?

En mars 1998, les Cahiers pédagogiques publiaient « L’école à l’heure d’Internet » [[N°362, numéro accompagné d’un cédérom.]]. En ce XXe siècle, l’avènement des réseaux reposait la question de l’adaptation de l’école aux évolutions de la société par l’introduction de nouvelles technologies. Le lecteur curieux qui veut bien se reporter à ce numéro verra que l’on y oscillait entre d’un côté, les pratiques de créations de contenus et d’utilisation de cédérom dits pédagogiques et d’un autre côté, l’investissement des réseaux par Internet à des fins pédagogiques. À l’époque, un grand nombre d’expérimentations avait lieu, le plus souvent d’abord à l’initiative des enseignants motivés et intrépides puis avec le soutien financier du ministère, sans que ce même ministère ne se dote vraiment des moyens d’étudier ce qu’il faisait là. Et si les expériences se sont multipliées, il n’est pas sûr que la communauté éducative en ait tiré des enseignements suffisants.
Comme nous le montrons dans le présent numéro, centré sur les « réseaux », on est aujourd’hui passé du stade expérimental à la pratique quotidienne, mais les usages n’ont pas pour autant bouleversé la donne. L’école prend-elle la mesure de l’introduction des nouvelles technologies qui, pour Seymour Papert dans ce dossier comme pour Joël de Rosnay dans le précédent, pourraient bien préfigurer la disparition de l’école.
Des activités, il en existe. Cyberpresse, Jailu, les TPE (article de C. Détain), journaux d’école démontrent à l’envie que le système Éducation nationale a réussi la scolarisation d’Internet ; avec toujours le risque pour ceux qui tentent de faire quelque chose, de s’enfermer dans la réussite obligatoire. Réactions institutionnelles compréhensibles, réactions individuelles normales dans la mesure où les précurseurs qui s’investissent à ce point engagent leurs convictions et leur personnalité. Or, revenir sur le sens de ce que l’on a fait, c’est par la même occasion se mettre un peu en cause. Certes, cela nécessite un peu de moyens et une posture distanciée mais les recherches sur les usages de l’informatique permettent d’éclairer ce qu’on abandonne volontiers au secret de la boîte noire (article de P. Marquet).
À défaut de cet examen critique, les innovateurs justifient leurs démarches en invoquant légitimement des objectifs de formation. Le « c’est pour » n’a jamais fait autant florès. « Pour être plus citoyen », « pour prendre conscience des problèmes de la société », « pour que les élèves apprennent mieux ». Qu’en est-il réellement ? Difficile à dire.
C’est là tout le paradoxe de l’introduction de ces nouvelles technologies. D’une part, l’on montre que toutes les voies sont possibles, que ce soit le réinvestissement des domaines classiques de la pédagogie active, ou des pistes plus originales comme les jeux de rôle (Arnaud/Serdidi) ou la « resocialisation » dans les quartiers (Pouly). D’autre part, les grincements de dents surviennent lorsque, sans remettre en cause l’introduction d’Internet, on s’interroge sur ce que nous sommes en train de faire – tout en proposant quelques débuts de réponse. (Jaillet, Auguet)
Des auteurs plus « positifs » s’engagent dans le repositionnement de la posture enseignante critique et engagée (Froger). Cela débouche sur une interrogation sur la formation des enseignants (Karsenti/Larose) ; cela ravive le mythe ou l’espoir de la mise en réseau, de la mise en mouvement des enseignants (Mesdom). En l’occurrence, le projet Agora pourrait bien donner une piste sur ce que les réseaux peuvent apporter au pédagogue (Deslile).
Enfin, il est une dimension que ce numéro annonce, c’est le développement de l’enseignement à distance par les réseaux. Nul doute que nous y reviendrons, car ceux qui prophétisent la disparition de l’école s’intéressent évidemment au développement de ce type de communication pédagogique. Serges Pouts-Lajus, tout en notant les usages effectifs dans le système scolaire, n’est pas loin de rejoindre Papert et de Rosnay lorsqu’il évoque qu’après tout, lorsqu’ils se transforment en enfants, les élèves se débrouillent très bien. Par ailleurs, il est des résultats de recherche qui vont jusqu’à imaginer des solutions comme l’établissement scolaire virtuel par exemple.
Quoi qu’il en soit, l’enseignement à distance nous oblige à une réflexion sur les environnements de travail (Faerber), une bonne réappropriation des programmes de recherche (Peraya/Charlier), une claire vision de ce que cela induit comme changement pour les enseignants à distance (Choplin/Everard).
Cette disparition annoncée de l’école est-elle certaine ? Certainement pas, si l’on en croit la pléthore des initiatives. Pas impossible, si l’on en croit les chercheurs. On ne peut cependant pas reprocher aux politiques de ne pas se saisir de la question. L’Union européenne pèse de tout son poids pour accélérer les mutations (Cardoso). Les collectivités territoriales font ce que l’État est incapable de faire. C’est par exemple le conseil général des Landes (Emmanueli) qui distribue un ordinateur portable par élève et par enseignant avec accès au réseau à domicile. Ainsi il donne à la fois à l’école la possibilité de se saisir des technologies dans de bonnes conditions. Pourtant, si les enseignants ne s’investissent pas, il est possible que l’école n’y survive que difficilement.
Le titre prévu initialement pour ce dossier « 2001, l’Odyssée des réseaux » était un clin d’œil à une génération qui pensait le futur dans une quête du sens. Peut-être aurait-on pu choisir finalement un titre plus en phase avec les interrogations que pose l’usage des réseaux « L’éducation à la croisée des chemins » [[Nous avons choisi en fin de compte un titre sobre, voire terne et réducteur, mais « parlant » au premier abord pour tout lecteur (N.D.L.R.)]].

Alain Jaillet, ULP de Strasbourg.