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Quand persévérer se conjugue avec dys

Estelle Rivray aborde sa rentrée sous le signe de l’expérimentation. En binôme avec une collègue, elle est chargée cette année de mettre en place et d’animer un dispositif d’accompagnement sur le thème de la persévérance scolaire pour les classes de 1ère année de CAP. Son lycée accueille 230 élèves, en section chaudronnerie, électricité, secrétariat ou commerce. Un certain nombre parmi eux, sont venus là par défaut, parce qu’ils n’ont pas trouvé de place dans la section qu’ils visaient ou par choix purement géographique. Ils arrivent parfois en trainant derrière eux un bagage fait d’échecs, de rejets, de difficultés de toutes sortes. Aimer l’école ne va pas de soi quand jusqu’alors ce que l’on a reçu signifiait que l’on n’était pas capable. Le dispositif « Coup de pouce » a été conçu pour accompagner les élèves repérés mais aussi pour mieux communiquer au sein et avec l’équipe pédagogique. Des entretiens permettent de mieux cerner les difficultés rencontrées par l’élève et ses passions, ce qui pourrait le motiver. Les élèves sont alors sortis de cours individuellement pour ces entretiens ou pour travailler avec eux sur un besoin spécifique, une façon aussi de laisser la classe s’apaiser lorsque les manifestations du mal être scolaire rejaillissent sur son fonctionnement. Un blog sur l’ENT va être ouvert en direction des enseignants pour partager les informations sur la classe. Et puis, des temps d’échanges informels se déroulent en salle des profs. Le dispositif est né à l’issue d’une journée de formation académique où des enseignants et des personnels de direction ont présenté des initiatives déjà en place. De ces témoignages ressortent des idées et la nécessité de disposer de temps.
Le proviseur du lycée a été sensible aux arguments. « Avec ma collègue, nous avons cette année deux heures de décharge.» explique Estelle Rivray. « Et quand on a présenté le projet à l’équipe pédagogique, tout le monde a été partant ». Ces dernières années, le nombre de décrocheurs en première année a été alarmant. Les causes en sont multiples : blocage par manque d’estime de soi, problèmes familiaux, addictions au cannabis ou encore troubles de l’apprentissage. La préoccupation est partagée au sein de l’établissement. Travailler sur la persévérance scolaire n’est pas qu’une question de vocabulaire. Redonner le goût d’apprendre requiert une écoute et une recherche des facteurs déclenchants. Pour des élèves cassés déjà par leur passé scolaire, c’est une nécessité. « Au collège, sous prétexte d’égalité, on oublie l’équité » nous dit l’enseignante. Il y a cinq ans, elle a commencé à faire du tutorat d’abord avec un élève intellectuellement précoce qui perturbait les cours. « Grâce à cet élève, je me suis mise à lire pour comprendre. J’ai découvert les ouvrages de Jean-François Laurent sur la précocité puis sur la gestion de classe. J’ai été passionnée ». Elle s’interroge sur la façon d’avoir une autre approche avec les élèves, s’intéresse à la communication non violente et organise différemment ses cours d’EPS pour placer chacun en situation de réussite. « Quand on est une jeune prof, on n’a pas appris à gérer une classe en lycée professionnel ». Pour elle, c’est un métier à part entière.
Ses pratiques de tutorat se développent au fil des années. Elle constate les diagnostics non posés sur les troubles de l’apprentissage, les difficultés des familles dans une petite ville pour trouver des spécialistes de ces troubles et les moyens qui manquent pour aller un peu plus loin à Evreux ou à Dreux, sans compter les temps d’attente pour obtenir un rendez-vous. Prendre en charge la dyspraxie nécessite un suivi complet par un ergothérapeute, un orthophoniste, un neuropsychiatre, un psychomotricien et un orthoptiste. Au manque de formation des enseignants pour détecter les sources des difficultés s’ajoutent les obstacles posés aux familles et le peu de dispositifs adaptés en classe. Mère d’un enfant dyspraxique, Estelle Rivray a éprouvé ces difficultés minorées cependant par sa connaissance de la sphère scolaire. Son combat personnel a nourri son métier de nouvelles approches, de nouvelles méthodes. De là sans doute sont nés son intérêt et sa persévérance pour agir au quotidien dans un souci de partage avec ses collègues et au-delà des murs de son lycée. Elle a créé une page Facebook pour que sa veille profite à d’autres. « Dyscussions parents-professeurs » est devenu un lieu d’échanges, de questionnements, d’expression des difficultés et des incompréhensions. Surprise et ravie, elle constate le succès de la page mais n’en délaisse pas pour autant son métier en incluant tous les élèves, en difficultés ou pas. Professeure principale, elle a commencé son année par une journée où le savoir-être était à l’honneur. « Nous avons travaillé sur le comment mieux connaitre le groupe classe en échangeant sur leur école idéale, les difficultés qu’ils avaient rencontrées au collège ». Rien de révolutionnaire n’est sorti de la discussion mais une évidence : les élèves souhaitent une autre relation avec les enseignants, une relation faite de confiance.
Arrivée par hasard en lycée professionnel, Estelle Rivray ne changerait pour rien au monde en cette rentrée de métier. «C’est totalement différent du lycée d’enseignement général, j’ai sans doute moins de préparation de cours mais la gestion de classe est plus intense, la communication avec les collègues (en salle des profs et par mail), la vie scolaire, l’administration et les parents prend aussi beaucoup de temps». Et dans cette différence, qui tient tout des profils des élèves, elle puise ce qui rend passionnant son quotidien professionnel : inventer au jour le jour pour que l’estime de soi revienne à ceux qui l’ont oubliée dans les affres de la scolarité.
Monique Royer

La page « Dyscussions parents-professeurs »