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Qu’est-ce qu’un objet ?

Le caractère technique d’un objet se définit comme une relation à l’objet

La question essentielle, consiste à s’intéresser au sens à donner aux objets techniques pour une éducation technologique à l’école obligatoire en général et au collège en particulier. Il y a bien sûr la distinction classique entre les objets naturels et les objets artificiels, fabriqués. Implicitement, on considère alors qu’un objet est technique en soi, et donc définitivement catégorisable en tant que tel, à côté, par exemple, d’objets naturels. Mais qu’en est-il alors des galets qui, outre les souvenirs qu’ils peuvent évoquer, servent de presse-papier ou de cales-portes ou des arbres qui ornent les cours de récréation plantés par des professionnels dans le but d’agrémenter le paysage ou encore de la vache laitière qui concentre un ensemble d’actions techniques depuis la procréatique jusqu’à la productique ? Si l’on considère la technique comme la manifestation de l’action humaine, ces galets, ces arbres ou ces vaches sont bien des objets techniques.

Il n’y a pas d’objet technique en soi. Il est vain de tenter d’établir une définition définitive et absolue. En fait, c’est la nature de la relation que nous entretenons avec une chose qui détermine que cette chose devient un objet, le sortant simultanément du « décor ». Si ce point de vue adopté sur la chose est technique, alors la chose devient objet technique. Le caractère technique d’un objet est défini par la relation à l’objet et non comme un attribut intrinsèque de l’objet lui-même. A l’école, l’enseignant oriente le point de vue des élèves pour qu’ils établissent une relation au monde des choses : c’est en posant un regard technique sur l’objet que celui-ci devient technique.

A côté de la technologie au collège, les autres disciplines élaborent également des points de vue particuliers sur d’autres ensembles d’objets. La délimitation des champs disciplinaires tels que nous les connaissons est un artifice délimitant nos connaissances du monde qui nous entoure en collection d’« objets » donnés à rencontrer, à étudier aux élèves. De fait, l’éducation en milieu scolaire consiste essentiellement en une imprégnation à ces « mondes » d’objets que sont les disciplines scolaires. Il serait ici hasardeux d’estimer que les disciplines scolaires seraient « propriétaires » d’objets qui leur appartiendraient en propre.

Le point de vue sur les objets en technologie au collège

Les objets comme solutions à des problèmes techniques

L’objet technique se présente avant tout comme une solution à un problème technique ; un problème technique pouvant être décrit « par un résultat fixé et par une recherche de moyens dans un contexte de contraintes et de ressources » Dans le monde technique, cette réalité n’existe pas ex-nihilo. La technique agit sur le réel, le transformant simultanément pour proposer des solutions. En ce sens, « solution » renvoie à la fois à l’état initial (besoin, volonté, enjeux) qu’elle fait disparaître et au processus permettant cette transformation d’état Le monde technique se présente avant tout comme un monde de solutions à des problèmes techniques. Aussi, considérant les objets comme des matérialisations de solutions à des problèmes techniques, notre préoccupation éducative est ainsi orientée selon un point de vue technologique. C’est ainsi permettre d’aider les élèves à construire une attitude de curiosité technique, « capable d’explorer la variété des solutions techniques inventées par les hommes, transmission d’un patrimoine de l’humanité » selon l’expression de J.-L. Martinand.

Il est alors intéressant d’examiner les composantes de ce point de vue technologique. Le questionnement sur les objets assure à la technologie un registre réflexif, de compréhension à côté d’activités de familiarisation, de découverte et de rencontres avec les objets techniques.

Le questionnement technologique sur les objets

Les travaux de la COPRET [[Commission Permanente de Réflexion sur l’Enseignement de la Technologie. C’est à la suite des travaux de la COPRET (Centre International d’Etudes Pédagogiques, 1992) que la discipline Technologie a été mise en place dans les collèges en 1985. ]]) ont proposé dans ce sens différentes lectures de l’objet technique :
– « Il se lit comme agencement d’éléments matériels (ou d’informations dans le cas d’un logiciel) rationnellement conçus et réalisés en vue d’un usage déterminé. »
– « Il se lit comme un « système » de fonctions techniques en interrelations, conçues en vue de l’efficacité et de la fiabilité d’une fonction globale caractérisant son emploi. » Les produits contemporains sont devenus généralement indémontables, « capotés » et fonctionnellement très complexes (d’où l’importance d’une éducation technologique pour apprendre à les lire). Le même tube cathodique ou l’écran plat présente à la fois des émissions du réseau hertzien ou numérique, un enregistrement de la semaine dernière au magnétoscope, le panneau de configuration et de réglage de ce magnétoscope, l’écran de la console de jeu, des messages sous forme de vidéotexte, le programme du micro-ordinateur et le contenu du lecteur de dévédé-rom. Simultanément, l’ordinateur cache ce qu’il fait. Leur évolution s’inscrit dans un double mouvement qui voit une augmentation de leur complexité fonctionnelle allant de pair avec une diminution de la complexité structurelle. En l’espèce, le téléphone portable figure un bon exemple de cette évolution des objets et de l’intelligence technique qu’ils recèlent. Les différentes générations successives de ce moyen de communication offrent régulièrement un nombre croissant de possibilités (intégration de fonctions) allant de pair avec un usage de plus en plus simplifié.
– « Il se lit comme articulation de phénomènes scientifiquement ou empiriquement connus, délibérément choisis en vue de remplir des fonctions déterminées. Il est le siège de phénomènes annexes, parasites et perturbateurs, à la fois à l’échelle de l’objet (l’électronique embarquée sur les véhicules s’accommode mal des températures élevées dont les moteurs sont le siège et peut générer pannes, bugs et autres aléas techniques) ou de la planète pour les problématiques de développement durable.
– Il peut être lu comme produit d’un système de production, il apparaît comme « produit social » à travers sa fonctionnalité d’une part, les caractéristiques et contraintes du système de production d’autre part. Il est à reconnaître, par son intégration dans un « système » technique plus vaste, comme agent de changement social. Les usages de l’objet dans des contextes socio-économiques diversifiés et liés aux formes de divisions du travail existantes, mais en mutation constante, ont des effets en retour qui contribuent à ces mutations. Les objets de la technologie de l’information et de la communication bouleversent l’organisation du travail, (travail à distance, télétravail, gestion de production, quel qu’il soit utilisation des TIC en enseignement et en formation,…).
Ces trois lectures font apparaître l’objet technique comme concrétisation d’une pensée créatrice qui maîtrise sa création. Mais l’objet technique peut également être observé dans une perspective sociale.
L’objet est alors un ensemble d’organes, l’intégration de fonctions techniques, un produit, une marchandise, une production sociale.

J.-L. Martinand avec Desforges a ensuite élargi le questionnement technologique appliqué aux objets et aux systèmes techniques. « L’objet peut-être alors étudié :

  • du point de vue de sa structure (approche structurelle ou « anatomique » : l’objet est un ensemble d’« organes »),
  • du point de vue des fonctions (approche fonctionnelle),
  • du point de vue des « principes », c’est-à-dire des phénomènes naturels qui sont détournés pour réaliser des fonctions,
  • du point de vue de l’organisation du travail qui le produit (l’objet est un « produit »),
  • du point de vue de sa commercialisation (l’objet est une marchandise),
  • du point de vue de son utilisation, de son rôle dans la société (l’objet est un instrument qu’on s’approprie et qui marque les comportements) ».

Si l’ensemble est au premier regard hétéroclite – du moins pour tout autre point de vue que technologique – ces points de vue constituent en quelque sorte les objets qui s’y prêtent en objets techniques. Ce n’est donc pas une définition au sens habituel du terme, une définition absolue. En fait, ces six entrées « arment » l’interrogation technique sur les objets. Est objet technique tout objet qui peut être examiné selon ces points de vue.

Objet technique et investigation technologique d’objets

Les programmes de technologie de 1996-1998, actuellement en application au cycle central et au cycle d’orientation, privilégient les activités de réalisations-productions scolaires au travers des scénarios et du projet de 3e en références à des pratiques industrielles et commerciales identifiées. Le nouveau programme de 6e (janvier 2005) prescrit quant à lui majoritairement des activités d’investigation, activités nouvelles en technologie. De nouveaux problèmes d’enseignement se posent, particulièrement en ce qui concerne les rapports à établir avec les objets. Ces rapports aux objets ne sont pas les mêmes selon que la discipline est orientée par des activités collectives sur projet – où le processus prime sur le produit – ou par des activités d’investigation où le produit – en l’occurrence un ou des moyens de transport – est « déjà-là » et constitue « l’objet » d’apprentissage.

Des confusions sont possibles entre « investigation d’objets techniques » et « investigation technologique d’objets » au sens où l’investigation doit être menée avant tout selon un point de vue technologique. Tout autre point de vue que technologique (voir les questionnements possibles ci-dessus) dénaturerait la discipline au risque de la compromettre. Elle ne peut se résumer à la découverte de phénomènes physiques, chimiques ou mathématiques qui transforme l’objet technique en prétexte à l’appréhension de ces phénomènes. A contrario, tout moyen de transport authentique s’inscrit dans un réseau sans lequel il n’existe pas et qui suppose une organisation rationnelle.

Christophe Lasson, Professeur de Technologie, UMR-STEF ENS Cachan-INRP et IUFM Nord/Pas-de-Calais.


Références bibliographiques

LASSON, C. (2004). Ruptures et continuités dans la familiarisation pratique en technologie de l’école pré-élémentaire au collège. Thèse de doctorat de l’Ecole Normale Supérieure de Cachan (sous la direction de J.-L. Martinand), 233 p.
LEBEAUME J. (2005). « Nouveaux programmes, nouveaux problèmes didactiques ». Education technologique, n° 28, p. 31-40. Paris : Delagrave et C.R.D.P. de Versailles.
LEBEAUME, J. (2001). « Projets, problèmes, solutions et éducation technologique ». In J. Lebeaume, Yves Cartonnet et Pierre Vérillon, Problème(s) et technologie. Éclairages pluriels. Actes du séminaire de didactique des disciplines technologiques. Cachan : Association Tour 123, p. 23-38. Disponible sur le site de l’UMR STEF – ENS Cachan.
MARTINAND J-L. (1995). « Eléments d’épistémologie appliquée pour une discipline nouvelle : la technologie ». In M. Develay (dir.), Savoirs scolaires et didactiques des disciplines : une encyclopédie pour aujourd’hui. Paris : E.S.F., p. 339-352.