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« Puisque c’est une réforme avant tout pédagogique, changeons aussi nos modalités en formation ! »

Quelles sont les réactions des participants des formations collège, d’après ce que vous avez pu percevoir comme formateur ?

Allez dans quelques établissements deux ou trois heures pour animer une « formation sur l’accompagnement personnalisé », si tant est qu’il soit possible de traiter un tel sujet dans ce laps de temps, et observez les premiers bonjours qui vous sont faits. Vous y trouverez alors toute une panoplie de réactions possibles : un chef d’établissement qui vous accueille avec enthousiasme, fier de l’avancée des discussions déjà entreprises, quand un autre vous reçoit préoccupé, en pleine réflexion pour que cette intervention soit la plus constructive possible, qu’elle ne se limite pas à un échange stérile avec ceux qui voudraient « se contenter de faire des pâtés de sable ». Les premiers enseignants arrivent dans la salle, parfois des sourires dynamiques et des premières questions le temps que les autres collègues arrivent, montrent une attente forte. D’autres évitent dès le début votre regard, vous sentez leurs colères, qu’un premier tour de table confirmera « Je suis là parce que je suis convoqué, la seule chose que j’attends c’est 19h ! ». Entre ces deux extrêmes, je perçois les collègues majoritairement très anxieux. Normal, devant les changements qu’apporte toute réforme… Mais aussi parce qu’ils ont à gérer au quotidien les réactions des plus réfractaires, leur demandant de servir de « grain de sable » lors de cette intervention, de se positionner « pour » ou « contre » la réforme, alors qu’eux voient le calendrier avancer, la rentrée approcher et le nombre de leurs questions augmenter.

Comment réagir en tant que formateur ?

En restant humain, en étant le plus empathique possible et en « mettant la réforme un instant à la poubelle » ! En effet, il est important de garder à l’esprit que le métier d’enseignant est très complexe. Nous ne sommes pas les seuls « responsables » de l’état des lieux actuel, mais d’un autre côté pouvons-nous attendre que seuls les politiques règlent le problème ? Quand nous mesurons l’écart qu’il y a entre les « injonctions hiérarchiques descendantes », l’interprétation que nous en faisons et ce qu’il en reste dans la tête des élèves, nous comprenons bien qu’il n’est pas utile de donner plus d’importance que cela à la réforme. Quoi qu’il arrive, j’aurai dès le lendemain mes 6 classes de 28 à 30 élèves qui m’attendront. Seront-ils prêts à travailler tous en même temps ? Seront-ils motivés de la même façon ? Partiront-ils de la même ligne de départ ? Y aura-t-il également des élèves en posture de refus, comme ces deux collègues aujourd’hui ? Que vais-je faire ?

Je précise alors à tous d’où je parle : je suis enseignant, comme eux, et je partage mon temps avec la formation initiale et continue. Ça me donne la chance de côtoyer le monde de la recherche, tout en gardant un pied sur le terrain pour essayer de mettre certaines idées en pratique, avec plus ou moins de succès. C’est cette expérience, cette dynamique de réflexion professionnelle que je suis venu leur proposer ce soir. Je laisse alors mes autres casquettes de côté, ne cherchant pas à débattre ou contre-argumenter sur des terrains politiques, syndicaux, idéologiques ou autres.

Avez-vous eu une réflexion d’équipe sur la manière de mener les formations ?

C’est indispensable et ça se fait à plusieurs niveaux. Au niveau national grâce à plusieurs réseaux (disciplinaire, associatifs, réseaux sociaux, amis), j’échange énormément sur diverses modalités qu’il serait possible de mettre en œuvre. Au niveau académique, sur Toulouse, un petit groupe multi-catégoriel, comprenant DASEN, CARDIE, IA-IPR, chefs d’établissement formateurs, l’équipe de la DAFPEN et des enseignants-formateurs, a vu le jour dès le mois de juin 2015. S’en sont suivis de nombreux échanges et réflexions sur la manière de mener les formations, avec même une collaboration auprès de collègues de la DGESCO. Quand j’entends ce que des collègues peuvent dire de « ceux d’en haut » : « ils décident depuis leurs bureaux et n’ont jamais vu d’élèves », sans même les connaître, alors que la majorité de ceux que j’ai eu la chance de croiser étaient en établissement il y a peu et gardent un lien fort avec les problématiques du terrain… Je mesure alors tout le chemin qu’il reste à faire aux personnels de l’Éducation nationale pour apprendre à coopérer.

À Toulouse, nous sommes arrivés au consensus suivant :

  • principe de cohérence : puisque c’est une réforme avant tout pédagogique, changeons aussi nos modalités en formation ! Essayons de quitter les longs diaporamas, pour mettre les stagiaires en position active. Partons de leurs représentations initiales, intégrons le numérique pour faciliter la coopération, tâchons de faire des synthèses collectives et des apports théoriques qui s’appuient sur leurs productions en atelier. N’est-il pas alors plus probable de retrouver plus tard ces modalités de différenciation pédagogique en classe ?
  • préférer l’horizontalité à la verticalité : choisir une formation qui se propage, à chaque phase, comme les ondes provoquées par la chute d’une goutte d’eau, où le cercle s’élargit grâce à l’énergie qui vient de son centre mais dont la force coopérative, au lieu de s’affaiblir, croit à chaque étape ; plutôt que comme un modèle pyramidal que l’on réplique, de façon descendante, sans esprit critique.

A chaque étape, les stagiaires étaient identifiés comme des personnes ressources pour la phase suivante. Sur trois journées, ils avaient au moins une journée où ils s’associaient à leurs formateurs pour concevoir le dispositif de formation de la phase suivante. C’est d’ailleurs souvent à ce moment-là qu’ils se sont le plus approprié le fond de cette réforme, les libertés pédagogiques offertes, etc.

J’ai des retours très positifs de dynamiques d’équipes multi-catégorielles qui ont vu le jour lors des différentes phases de formation. Nous poursuivons les échanges avec ces différents groupes, ça crée une énergie communicative, des amitiés sont même nées. Par exemple, le groupe de formateurs numérique a reçu le prix « Faire ensemble et autrement, mention Créativité » au Hackathon pédagogique de septembre 2015. Plusieurs d’entre eux ont ensuite communiqué cet enthousiasme lors des formations, montrant entre autres en quoi l’intégration du numérique lors des EPI pourrait être une richesse pour nos élèves. Sans oublier les collèges pionniers et bien d’autres pour qui cette réforme n’est pas une révolution, mais une continuité dans les expérimentations qu’ils mènent au quotidien.

Là où le bât blesse, c’est lorsque cette dynamique d’équipe n’a pas été entretenue, parfois à cause d’égos qui empêchent tout échange horizontal, retombant dans une verticalité qui leur reviendra plus tard à la figure. La réflexion pédagogique laissant alors la place à des disputes sur les modalités organisationnelles, sans qu’une culture commune préalable ne permette de faire des choix plus éclairés.
Dans un monde aussi complexe, est-il possible de se priver de coopération ? Comment développer cette compétence professionnelle ?

Quels dispositifs, quels outils utilisez-vous pour « faire passer » les grandes idées de la réforme et encourager à une évolution des pratiques. Quelle utilisation des exemples (racontés ou projetés) ?

Des « outils concrets », voilà une demande récurrente sur le terrain. D’un échange avec la DGESCO est né un atelier « Expliquer la réforme à son boulanger en moins d’une minute. » Un temps de préparation permet à chacun de faire le point sur ses représentations, un nuage de mots est réalisé à l’aide du numérique, permettant postérieurement de confronter les représentations, de faire quelques apports théoriques et de voir si l’élève est au centre des préoccupations.

Le numérique me semble être un levier intéressant : j’utilise l’outil d’évaluation « plickers » pour partir de leur représentations initiales, nous discutons de pistes concrètes et nous en prenons note sous forme d’une carte mentale avec « XMind ». Voilà déjà deux outils que les collègues pourront tester très vite en classe ! Et si certains connaissent déjà, tant mieux, nous venons d’identifier des personnes ressources pour alimenter une dynamique de développement professionnel au sein même du collège.

Eux aussi constituent un groupe hétérogène. S’ils acceptent de me faire confiance, je leur propose de se mettre en petits groupes afin d’analyser différents exemples de vidéos de collègues qui ont accepté d’être filmés en classe, de s’approprier des apports théoriques comme ceux de Dominique Bucheton sur les « postures »… L’isomorphisme en formation et l’analyse de vidéos sont les deux pistes que je privilégie en formation. Sinon, tant pis, nous le faisons en grand groupe, ce sera plus une « information » qu’une « formation », mais ce temps permettra peut-être de créer des envies de développement professionnel et personnel futur.

Pour en revenir à l’AP en classe entière, puisque nous ne pouvons pas « nous diviser en 25 », comme le dit une jeune collègue sur la plateforme de vidéoformation de Néopass@ction pilotée par Luc Ria, une piste que les collègues proposent systématiquement est d’organiser un travail d’équipe en classe entière. Sur leur carte mentale, ils en listent alors plus facilement les limites que les avantages. Trois objections reviennent de façon systématique : « dans ma discipline ce n’est pas possible », « avec certaines classes ce n’est pas possible », « à mon âge je n’y crois plus ». Mais sur des exemples vidéo, ne voyons-nous pas que c’est possible ? Mais dans les différents ouvrages que j’ai apportés, n’y a-t-il pas des enseignants de toutes disciplines ? N’est-ce parce que j’ai des classes avec lesquelles je rencontre encore des difficultés que j’en suis là aujourd’hui et que j’aurais découvert et testé d’autres outils d’ici l’an prochain ?

Mon rôle est alors de leur faire prendre conscience qu’il n’y a pas de fatalité, mais plein d’autres pistes à tester, de transmettre mon enthousiasme et d’expliciter un besoin d’outils de « gestion de classe ». Ceux de Sylvain Connac pour la mise en œuvre d’une pédagogie coopérative sont encore des exemples d’outils concrets qu’ils pourront tester en classe. Les formations d’initiatives locales comme le stage « corps et voix » aident à développer d’autres « postures professionnelles ». Bref, il serait vain de lister de façon exhaustive tous les possibles d’une différenciation pédagogique en classe entière. D’ailleurs, cela n’est-il pas une bonne nouvelle ?

Cyril Lascassies
Propos recueillis par la rédaction

Outils pour générer des nuages de mots : https://tagul.com/
http://www.wordle.net/
Pour créer une carte mentale : http://www.xmind.net/
https://framindmap.org

A lire aussi :

Formations : peut mieux faire ! Prise de position du CRAP-Cahiers pédagogiques

 

Le groupe « Pédagogies et apprentissages »

 

annemarie_sanchez.jpgLe groupe « Pédagogies et apprentissages » de formateurs « transversaux » de l’académie de Versailles a été chargé par les inspecteurs d’animer la plus grande partie de la formation de formateurs sur la réforme du collège. Ce que nous avons fait pendant deux jours et demi sur plusieurs sites. Le groupe, avec l’aide d’un autre groupe de formateurs en lycée professionnel (« Ressources pour la voie professionnelle »), en tout jusqu’à trente personnes, s’est réuni à plusieurs reprises pour préparer ces formations et nous avons beaucoup échangé par mails.

Après avoir engagé la réflexion sur les EPI et l’AP, nous avons fourni une réflexion en pédagogie générale par des ateliers sur : le cycle 3 et la progressivité ; la différenciation pour mieux apprendre ; l’interdisciplinarité et la conception d’un EPI ; la pédagogie de projet et le travail de groupe ; tout en recueillant les questions que les collègues se posaient sur le réforme.

Étant donné l’hétérogénéité du public et pour faire vivre la différenciation, pour la 3e journée, nous avons proposé cinq ateliers au choix (deux par formateur), appuyés sur les différences entre les stages académiques et en établissement : la résistance au changement et la posture de formateur ; la conduite de projet ; les relations entre socle, parcours et compétences dans la réforme ; la construction d’une maquette ; la différenciation en vue d’accompagner tous les élèves.

Nous avons utilisé plusieurs types d’exemples, vidéos et papier, différentes techniques d’animation, l’idée étant de faire vivre le travail de groupe, la différenciation, l’accompagnement, le travail en équipe, etc. Nous avons essayé de partir le plus possible des représentations des stagiaires.

Les exemples ont été souvent explorés en petits groupes pour comprendre et s’approprier puis ensuite rapportés à l’atelier, avec une réflexion sur « comment utiliser ce document en stage d’établissement ?».

Dans ce cadre, peu de « grains de sable », à la différence de ce que nous attendons en établissement. Mais nous leur avons répondu avec des dispositifs d’expression libre, la prise en compte des avis de chacun et du débriefing systématique de chaque temps de formation. Beaucoup de questions au départ pour comprendre cette réforme mais les contenus des journées ont permis de répondre à la plupart.

Après cette formation de formateurs au niveau académique, chaque bassin a donc un groupe de formateurs volontaires accompagné par l’un d’entre nous. L’académie met encore à la disposition des bassins la possibilité de cinq demi-journées supplémentaires pour accompagner les formateurs, dont plusieurs CPC du premier degré, qui iront dans les établissements avec ou sans nous. Il s’agira de répondre aux demandes particulières après une première réunion d’écoute des besoins. Ces demi-journées permettront de renforcer les compétences des formateurs sur cette réforme institutionnelle et par exemple, la fabrication de la maquette se fera en équipe. Les stages de terrains ne débuteront probablement qu’en février-mars.

Anne-Marie Sanchez