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Propos iconoclastes sur le système éducatif français

Alain Bouvier reprend ce qu’il appelle les « questions taboues de l’éducation » qu’il a développées dans son blog avec l’objectif très assumé de « traquer l’hypocrisie et les bureaucraties ».

En effet, il constate que l’école qui lui a tant apporté est enlisée depuis plusieurs décennies dans un statu quo mortifère. Cela soulève en lui de la tristesse et surtout de la colère qu’il exprime de manière souvent vigoureuse et imagée.

Il ne s’agit pas là de l’expression d’une vague nostalgie du temps passé ni d’une envie de polémiquer à tous vents : Alain Bouvier connaît son système éducatif sur le bout des doigts – il a été, entre autres, enseignant de mathématiques dans plusieurs universités étrangères et responsable d’organismes publics (recteur et directeur d’IUFM) – et ses textes sont très solidement documentés.

Que dénonce-t-il ? Voici quelques exemples parmi d’autres d’un système éducatif encore plein d’arrogance, de plus en plus coupé de la société civile, qui ne voit pas – ou ne veut pas voir – ses performances insuffisantes.

Ainsi, les parents qui sont proclamés indispensables co-éducateurs dans les circulaires sont en réalité « laissés sur le paillasson » par les professionnels et ont peur du contact avec les enseignants.

Le temps réel du travail des enseignants souvent moqué dans la société ? C’est un secret bien gardé par les professionnels qui refusent toute critique extérieure sur ce point. En revanche, ce que constatent les familles, c’est le temps effectif des élèves en présence des professeurs, temps rogné de toutes parts par les examens, les absences non remplacées, les formations : tout cela sans que les enseignants réagissent, démontent les critiques qu’on leur fait et communiquent sur les enjeux de leur profession.

L’orientation des élèves ? C’est une « hypocrisie maltraitante » depuis la classe de
quatrième jusqu’à l’enseignement supérieur.

Le développement considérable de « l’école du marché » avec les écoles style Acadomia pour les familles qui en ont les moyens et n’ont plus confiance dans l’institution : tout cela s’opère sans réaction du monde éducatif.

Les résultats médiocres, de plus en plus médiocres des petits français soulignés par les enquêtes internationales comme PISA sont accueillis dans la plus grande indifférence des enseignants, voire rejetés comme un complot visant à leur imposer un modèle libéral.

Quant à la gestion des ressources humaines, elle relève « du musée des organisations », où la dimension humaine est oubliée au profit du traitement de dossiers, des questions de statuts et de barèmes.

Tous les sommets sont dépassés avec l’affaire des rythmes scolaires : les enseignants qui ont réclamé à corps et à cri le mercredi libre ne sont pas gênés par les journées denses et longues des élèves, les syndicats les soutiennent, les communes font des économies et les familles les plus aisées pensent que c’est plus commode. Tout le monde y trouve son compte « dans l’intérêt des élèves », bien sûr.

Sont encore passés à la moulinette l’enseignement professionnel, la formation, le recrutement et l’évaluation des personnels, l’évaluation des élèves, celle du système éducatif.

Mais d’où vient cette paralysie du système ? Alain Bouvier n’a pas de mots assez durs pour les trois responsables : les enseignants, les syndicats et la technostructure.

Il évoque « une autarcie collective » des enseignants, milieu corporatiste, seulement préoccupé de questions statutaires et d’avantages acquis. Il souligne leur « autosatisfaction béate » : « Ma classe et mes élèves », « anesthésiés par leur confort pédagogique ». Bien sûr il présente quelques enseignants novateurs, engagés, travaillant en équipe dans des établissements exceptionnels mais qui sont minoritaires, sans pouvoir d’influence, montrés du doigt par leurs collègues dans « l’arène où les fauves sont lâchés » (la salle des professeurs).

Quant aux syndicats – exception faite des syndicats réformistes – et à la technostructure, chacun défend ses intérêts « dans une connivence effrayante », d’un côté l’existence des nombreux bureaux des administrations centrales et rectorales, de l’autre les très chères décharges syndicales.

Comment sortir de ce marasme ? Cela ne se fera que si les enseignant abandonnent leur attitude passive de victimes pour décider de faire face aux changements en cours et de les assumer collectivement.

A la fin de son livre, Alain Bouvier décortique les premières années d’exercice du ministre Jean Michel Blanquer. Il a confiance dans sa méthode de pilotage et dans ce qu’il appelle « son style ». Dans sa volonté d’intervenir sans cesse, en tous lieux, sur tous les sujets (en 2018, une soixantaine d’annonces, deux par semaine !). Dans sa maîtrise de la communication « tous azimuts ». Dans son activisme pour faire bouger le système par une action permanente, alternant l’annonce de nombreux micro dispositifs avec les décisions stratégiques. Lucide, Alain Bouvier perçoit bien les points faibles de l’action ministérielle, en particulier dans le domaine de l’innovation. Il se demande même si cette agitation est le signe d’un système qui se met en mouvement ou si le ministre est en train de créer une illusion de mouvement. Malgré son tableau très noir de l’Education nationale, Alain Bouvier veut y croire, il y croit ! « ce mouvement nouveau impulsé depuis deux ans et demi est salvateur pour le système car il n’y a rien pour moi de pire que l’immobilisme, l’encroutement et l’ossification si chère aux bureaucrates. L’école française peut bouger ; la preuve, elle bouge ! »

Je suis sortie de la lecture de ce livre comme essorée. Au travers de mon expérience d’enseignante, de personnel de direction, de formatrice et de militante pédagogique, J’ai d’abord partagé la colère de l’auteur contre la hiérarchie, les enseignants et certains syndicats. La solidité des analyses présentées par Alain Bouvier, l’étayage des démonstrations, la variété des exemples, je ne pouvais qu’être d’accord à 150 %. Et puis trop, c’est trop, je ne nous ai pas reconnus dans ce portrait pessimiste au dernier degré d’enseignants ressemblant à des vaches regardant passer les trains. L’épisode du confinement suite à l’épidémie du COVID 19 est une illustration de la capacité du système à se mobiliser pour aider les élèves : leur dispenser un enseignement même s’ils sont loin de l’école et de la classe, se former à marches forcées à l’utilisation des technologies nouvelles pour garder le contact, tout faire pour ne pas perdre de vue les élèves qui ne disposent pas de moyens de communication, se concerter avec ses collègues. Ce que nous observons actuellement, l’esprit d’ouverture, l’engagement, le tâtonnement pédagogique pour trouver des solutions à des problèmes inédits concerne une majorité des personnels, loin de la minorité de 20 % qu’évoque Alain Bouvier dans son livre. En temps de crise, les hussards noirs sont-ils de retour ?

Michèle Amiel