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Professionnalisation et solidarité

Ils pensaient – à juste titre – avoir chèrement conquis le droit… d’apprendre aux autres. On les appelle « stagiaires » (PE1, PE2, PLC2, PLP2) [[Professeur des écoles en première ou deuxième année d’IUFM, professeur des lycées et collèges, professeur des lycées professionnels en deuxième année d’IUFM.]], puis néotitulaires (PE3, PLC3) [[Les mêmes, après leur titularisation, quand l’IUFM continue leur formation, leur accompagnement.]] (ou T1) [[Titulaires en première année d’exercice : autre terme pour désigner les mêmes.]] , voire « entrants dans le métier ». On les convoque, on les encadre, on recommence ! Lassitude, urgence et incertaine qualité du premier poste, assortis d’un doute : sont-ils considérés comme des « profs pas finis » ?

En 1991, les Cahiers posaient la question des débuts dans le métier et demandaient à l’institution de prendre en compte les difficultés de la prise de fonction autrement que par une formation initiale (c’était au début des IUFM…) [[Institut universitaire de formation des maîtres.]]
Quel chemin parcouru ? Pas de « révolution » des conceptions et des pratiques, mais cette question est devenue une priorité pour l’éducation nationale. Urgence et enjeu : le renouvellement, dans les dix ans, de près de la moitié du corps enseignant ne pourra se réaliser sans dégâts si l’on n’accompagne pas efficacement les débutants.
Laissons leur d’abord la parole : les témoignages nous redisent l’anxiété, les surprises, la fatigue, la solitude souvent, mais aussi l’enthousiasme, l’humour, la volonté de s’en sortir et la fierté d’y arriver : une initiation presque toujours marquée par des doutes, des conflits, des remises en question difficiles. Faut-il donc se résoudre à cette conception doloriste de l’apprentissage du métier ?…

Et pourtant, une enquête du ministère de l’Éducation le confirme : « Neuf nouveaux professeurs sur dix se déclarent satisfaits de leurs débuts, malgré les difficultés liées à l’indiscipline où à l’adaptation au niveau scolaire des élèves. Ce taux de satisfaction est sensiblement plus élevé que celui de leurs aînés interrogés en 1993 ».[[Note d’information n° 01-56.]]
Il est illusoire de vouloir éviter toute rupture entre la représentation du métier et la réalité découverte, et ce d’autant plus que la majorité des enseignants commencent leur carrière dans les établissements les plus difficiles. Mais cette transition peut être mieux pensée et accompagnée. Jean-Pierre Obin le souligne [[Dans son rapport Enseigner, un métier pour demain.]] : « La qualité de l’accueil, l’existence d’une solidarité et d’une aide de proximité par les collègues plus anciens sont déterminantes. »

Où vont les néotitulaires ?

Est-ce faute de pouvoir nommer les enseignants chevronnés dans les établissements difficiles que l’institution a prévu des dispositifs d’accompagnement ? La circulaire ministérielle du 17 juillet 2001 préconise une formation engagée à titre expérimental dans les académies où affluent les néotitulaires, et généralisée d’ici à 2005. Trois académies : Créteil, Versailles et Lille, accueillent plus de la moitié de ceux qui débutent (Créteil et Versailles un tiers).
L’expérimentation s’est donc faite : dispositif baptisé PEP 4, créé en septembre 2001, dans ces deux académies. Quelques avantages de carrière et, pour les sortants d’IUFM volontaires, un ensemble d’actions d’aide et d’accompagnement à la prise de fonction pendant la première année d’exercice.
L’enjeu est administratif et pédagogique : créer des équipes pédagogiques stables et efficaces dans les établissements difficiles et réduire la distance vécue entre les questions didactiques et la gestion de la classe, réconcilier les deux sens du mot « discipline ».
L’expérience est intéressante : en 2001-2002, huit cent quarante enseignants néotitulaires dans cent cinquante-six établissements, en 2002-2003 un peu plus de deux mille enseignants dans trois cent quinze établissements. Un premier bilan est plutôt positif, il montre une forte implication de l’administration et des IUFM pour créer une nouvelle formation, ni initiale ni continue. Du côté des formés, des paradoxes apparaissent : tous volontaires la première année, ils n’en sont pas moins critiques, ayant parfois l’impression de ne pas encore être considérés comme des titulaires dignes de ce nom.

Interroger les habitudes

Dans la troisième partie, s’amorce un dialogue entre formateurs et formés, entre anciens et nouveaux, pour réussir la construction de son identité professionnelle, le passage entre le statut d’étudiant et la qualité d’enseignant confirmé. Enfin, les démarches qui se mettent en place interrogent aussi toutes les pratiques de la formation et les habitudes des anciens auxquels les néotitulaires apportent leur dynamisme et un regard différent. C’est bien ce que souhaitaient les Cahiers en 1991.
Tous les espoirs sont-ils donc permis ? Si l’expérience est concluante, encore faudra-t-il que l’institution se donne les moyens de la généraliser : coût financier, problèmes d’organisation dans les grandes académies, manque de formateurs, réticences des jeunes qui n’en ressentent pas le besoin, autant de questions à travailler : ce n’est sans doute pas gagné d’avance.

Hélène Eveleigh, professeur de français dans l’académie de Créteil (94).
Noëlle Villatte, principale du collège E. Vaillant à Gennevilliers (92).