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Pratiques de classe et autorité

Les formateurs intervenant auprès des enseignants du second degré, en formation initiale et continue, avaient été fortement interpelés en ce début d’année scolaire 2009 par la mise en place par le rectorat de Créteil de formations à la tenue de classe à l’intention des enseignants nouveaux titulaires, d’où le thème retenu pour cette conférence de consensus 2010[[Ces conférences de consensus, inspirées du modèle médical, réunissent plusieurs conférenciers sur un même thème. Un « jury » constitué de formateurs et d’experts est chargé au cours de cette journée, qui se déroule devant un public de formateurs et de professeurs stagiaires, de soulever des questions spécifiques de la formation et de rédiger par la suite un texte de synthèse qui fera l’objet d’une publication. ]].
Certes, les situations d’urgence rencontrées par ces enseignants, notamment les débutants, confrontés aux discours de la société civile et des médias sur l’école et sur les insuffisances de la formation dispensée jusque-là peuvent les pousser à solliciter des réponses immédiates. Dans ce premier temps de l’urgence, elles peuvent les conduire à être plus réceptifs à l’image d’une conception du métier dans laquelle l’autorité serait conquise indépendamment de la relation pédagogique et des conditions de transmission des savoirs. Cependant, installer son autorité dans la durée suppose du professeur la capacité de s’interroger sur les présupposés et l’implication qui la fondent.
C’est pourquoi l’IUFM de l’académie de Créteil a engagé depuis de nombreuses années une réflexion sur ces questions de gestion de classe, de gestion des conflits, de prévention des phénomènes de violence qui sont inscrites dans les plans de formation initiale et continue. Si les formateurs et les responsables de la formation ont très vite perçu la nécessité de ne pas laisser les enseignants sans réponses face aux difficultés rencontrées dans les classes et les établissements, ils ont simultanément choisi d’adapter ces réponses à la complexité des situations en mobilisant — pour les articuler — des cadres de référence et des dispositifs diversifiés : entrées sociologique, philosophique psychanalytique, didactique et pédagogique ; conférences, formations plus impliquantes, jeux de rôle, analyse de pratiques, etc.

Que répondre à la demande de « recettes » ?

En tant qu’institut de formation il nous a semblé primordial de rappeler à tous les formateurs — qu’ils interviennent auprès des enseignants du premier ou du second degré — la nécessité de fonder théoriquement les réponses données en formation, tout en affirmant parallèlement que la demande de « recettes » pour tenir la classe est légitime et qu’il est essentiel d’apporter des réponses aux formés, même si ces réponses sont provisoires et mises à l’épreuve de la réalité des diverses situations d’enseignement. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’aborder la question des pratiques de classe et de l’autorité dans le cadre d’une conférence de consensus.
C’est dans cet esprit que les conférenciers ont été sollicités (Jacques Pain, Jean Houssaye, Erick Prairat, Christine Passerieux, Dominique Ottavi) et le jury constitué (Bernard Rey, des formateurs intervenant dans le premier et le second degré, un inspecteur général, un chef d’établissement, une CPE, les responsables de la formation et de la formation de formateurs de l’IUFM). Il ne s’agira pas ici de rendre compte de chaque conférence ou d’en faire une analyse exhaustive[[On se reportera à la synthèse qui fera l’objet d’une publication dans un numéro de la collection « Professeur Aujourd’hui », Scérén, et qui sera ensuite en ligne sur le site formation de formateurs de l’IUFM de Créteil]], mais plutôt d’extraire quelques lignes de force et quelques questionnements de cette journée.

Un métier sous tension

Tous les conférenciers ont, chacun avec une entrée différente, interrogé la notion de l’autorité et la façon dont elle est posée et vécue actuellement à l’école, notamment en collège.
Leurs analyses, en appui sur leurs propres recherches ou celles de leurs collègues sociologues de l’éducation (Anne Barrère, François Dubet, Marie Duru-Bellat) ont toutes mis la situation présente – ressentie comme particulièrement complexe, notamment par les enseignants débutants – en perspective avec l’évolution du système éducatif, l’arrivée de nouveaux publics dans le second degré, et paradoxalement la perte de crédit et de confiance de l’institution scolaire comme instrument de promotion.
Elles mettent en lumière les tensions très fortes qui traversent l’école et auxquelles sont confrontés les enseignants : le manque d’évidence pour de nombreux élèves des raisons d’apprendre (« Le lieu école n’est plus un lieu émancipateur », « Le savoir ne fait plus autorité »), le ressenti par les enseignants d’une certaine impuissance éducative, vécue comme une violence qui leur est faite, la tentation, relayée par la société civile, de rabattre les questions d’autorité sur des questions de violence et de chercher des solutions extérieures à la classe et déconnectées de la conduite des apprentissages.

Des réponses en permanente élaboration

Les éléments de réponses que donnent les conférenciers se situent toujours du côté de la réflexion, de l’élaboration et de la construction collective, soit au niveau du groupe, de la classe ou de l’établissement. Ils sont pour certains, comme Eirick Prairat ou Dominique Ottavi, plus philosophiques, pour d’autres plus pédagogiques ou/et didactiques.
Ils impliquent tous un important travail de déconstruction des évidences et de construction permanente de la part des enseignants : mise en place de règles pour vivre et apprendre ensemble au sein de la classe et au sein de l’établissement, en appui sur la pédagogie institutionnelle pour Jacques Pain ; efforts pour accueillir et mettre en œuvre au sein de l’école les valeurs démocratiques, tout en continuant à garantir la place de chacun et la place du savoir pour Eirick Prairat, qui insiste sur les inévitables tensions que cela entraine dans la conduite de la classe.
Tous les conférenciers présents ce jour-là mettent en évidence ces tensions extrêmes : urgence des besoins et des demandes des élèves (« Le sacre du présent »), temps nécessaire à la mise en place des apprentissages avec les élèves ; urgence de la gestion de la classe pour les enseignants, nécessité d’une certaine lenteur en pédagogie qui requiert une analyse préalable des situations ; tentation de recourir à des méthodes expéditives ou simplifiées, tant sur le plan de la discipline que de l’enseignement.
Ils tombent tous d’accord sur la nécessité, en ces temps complexes, d’un attachement visible à quelques grands principes moraux et intellectuels et à une organisation collective du travail dans les établissements, sans laquelle les efforts isolés de certains pédagogues sont voués à l’échec. On sait que les conditions actuelles d’affectation des jeunes enseignants dans le second degré rendent ce travail collectif très fragile : première affectation éloignée de l’académie d’origine dans des académies et des établissements déficitaires — délaissés par les titulaires plus aguerris, mais las –, faible nombre de postes définitifs en banlieue dans certaines disciplines, mobilité extrême et forcée des jeunes titulaires.

Inquiétude sur la formation des enseignants

À de nombreuses reprises, au cours de cette journée, est apparu en filigrane le projet de réforme de la formation des maitres qui, en prenant effet à la rentrée prochaine, va renforcer les difficultés d’exercice de ces jeunes enseignants : stagiaires à temps plein, sans formation réelle en alternance, néotitulaires sur des postes de plus en plus précaires. Les établissements, qui devront aider ces jeunes enseignants à résoudre en priorité des difficultés de gestion de classe, risquent d’être confrontés à des situations d’urgence qui ne permettront pas l’apprentissage du métier de pédagogue. Les risques de découragement et de recours à des méthodes expéditives seront beaucoup plus grands, ainsi que les malentendus entre élèves, familles et enseignants.
On peut seulement espérer que la mise en place de masters qui incluent la dimension d’apprentissage réflexif du métier permette aux promotions suivantes d’étudiants d’envisager ce métier comme il mérite de l’être. Les pistes réflexives, impliquant une culture philosophique et pédagogique, commune aux futurs éducateurs, ouvertes par les conférenciers, auraient alors toute leur place et représenteraient un grand progrès pour la formation des enseignants du second degré, jusqu’ici centrée sur les savoirs disciplinaires.
Malheureusement, cette mise en place tarde pour les masters second degré, elle sera au mieux très diversifiée, selon les disciplines et les universités. Et pourtant le temps presse !

Dominique Gelin
Directrice adjointe de l’IUFM de l’université Paris-Est Créteil


On ne peut que recommander les compte-rendus complets des conférences précédentes, avec des vidéos des interventions, disponibles sur le site de l’IUFM de Créteil.
2009 – La mixité à l’école : filles et garçons
2008 – Scolariser les élèves en situation de handicap
2007 – Enseigner dans les écoles de la périphérie
2006 – L’analyse des pratiques dans la formation des enseignants
2005 – La motivation des élèves