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Pratiquer la « vie scolaire » à l’école primaire

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La Vie scolaire au collège, chaque professeur voit ce dont il s’agit. Mais la Vie scolaire à l’école ? Voilà une expression qui sonne étrangement. Le dictionnaire nous dit : « scolaire : relatif à l’école » (et « Qui a un caractère laborieux et peu original », mais cela pourrait faire l’objet d’un autre article…). Nous pourrions donc traduire la vie scolaire à l’école par : la vie relative à l’école à l’école.
En primaire, il est plus rare d’entendre des discours du type : « on n’est pas là pour les éduquer, c’est le rôle des parents et/ou de la Vie scolaire ». Pourquoi ?

D’abord parce que les professeurs des écoles savent bien qu’un nombre conséquent d’enfants ne vit pas vraiment en collectivité avant d’arriver à l’école. On vit en famille, chez la nourrice ou en petit groupe dans une crèche. La vie au sein d’un groupe de vingt-cinq enfants devra passer par un apprentissage des règles, de la frustration, de la liberté, d’un éveil à la démocratie. L’école primaire est forcément un lieu de vie, expression qui choque certains collègues dans le second degré.
Ensuite parce que la « vie scolaire » n’existe pas (il n’y a ni CPE ni surveillants). Les enseignants surveillent les récréations et se sentent responsables des comportements des élèves tout au long de la journée (même le midi dans certaines écoles). À l’école primaire, chaque adulte peut appeler chaque enfant par son prénom (et vice versa). À l’école primaire, l’éducation est l’affaire de tous. La vie scolaire, tout le monde en est acteur.
Malheureusement il ne suffit pas de dire que tout le monde est concerné pour que chacun se sente concerné.
Comment se déroule cet apprentissage ? Comment mettre en place un travail d’équipe pour que la Vie scolaire soit la plus agréable possible pour tout le monde ? Comment éduque-t-on à la démocratie ? J’exposerai ici des dispositifs qui m’ont convaincu tout en sachant que chacun, dans sa pratique, les adapte selon les moments de l’année, selon le groupe, selon l’école, selon les évènements, selon les matières abordées.

L’éducation au sein du cours

Un enseignant qui affirmerait ne pas être là pour éduquer oublie que sa manière d’enseigner, d’instruire, a des conséquences éducatives, qu’il le veuille ou non. Le professeur ne choisit pas son programme, mais il organise son cours comme il l’entend : on différencie, on travaille en petit groupe, on fait des exposés, à d’autres moments on est plus magistral, le cours peut être dialogué, etc. Pour chacune de ces organisations du cours, on ne demande pas les mêmes comportements aux élèves. Chaque dispositif favorisera plus ou moins la coopération, la compétition ou l’émulation.
Le choix et l’organisation des évaluations ont également une grande importance en la matière. Est-ce que j’habitue mes élèves à observer ce qu’ils font ? Est-ce que je note ? Est-ce que j’évalue par compétences ? Est-ce que je fais les deux ? Est-ce que je fais des interrogations surprises ? Est-ce que je donne les questions, les exercices avant le jour du contrôle ? Est-ce que mes évaluations servent plutôt à classer, à former, à vérifier ? Ces choix ne sont pas sans incidences. Ils forment les esprits et façonnent petit à petit la manière de réagir face à l’erreur, face à l’ignorance, face au savoir…

L’éducation comme objet spécifique

Dans certaines écoles, le simple rappel à l’ordre et l’admonestation semblent suffire. La plupart des élèves ont apparemment compris ce qui se fait, ce qui ne se fait pas, ce qui se fait « en douce », ce qui se fait en public et l’ambiance est plutôt calme. Ce sont dans les endroits où les élèves n’entrent pas à l’école avec tous ces codes que les choses sont plus compliquées. Les enseignants sont alors contraints à réfléchir aux moyens d’apaiser la vie scolaire. Voici donc quelques dispositifs qui peuvent y concourir.

Le conseil de vie

Le conseil est un moment institutionnalisé dans la semaine (horaire fixe, président de séance, secrétaire) lors duquel les élèves peuvent demander que l’on règle un différend, que l’on prenne en compte une remarque, que l’on vote un projet. Il peut se tenir à l’échelle de la classe, mais également à celle de l’école si toute l’équipe est partie prenante. Pour être efficace, au moins trois impératifs : tenir un ordre du jour, prendre des décisions et s’assurer qu’elles sont appliquées. Le conseil devient vite une coquille vide si on n’y fait que bavarder et ressasser.

Le permis à point

Mis en place dans de nombreuses cantines, il peut également être utilisé en classe ou dans toute l’école. Sur le modèle du permis de conduire, l’élève dispose d’un certain nombre de points, dix par exemple. Il perd des points si un adulte ou la classe estime qu’il n’a pas respecté les autres. Il en récupère si tout se passe bien pendant un laps de temps défini. Cet outil présente l’intérêt de suivre les comportements au plus près, chaque semaine. Il évite de figer un élève dans un statut. C’est une alternative intéressante aux bilans trimestriels lors desquels on étiquète le comportement par une appréciation lapidaire ou pire, une note comme c’est le cas au collège avec la « note de vie scolaire »). Le permis fonctionne si les adultes échangent régulièrement sur l’échelle des sanctions et si les élèves savent ce qui se passe lorsqu’ils perdent des points. Lorsque l’on retire un permis, une sanction est appliquée et l’élève perd la confiance des adultes et de ses camarades. Il récupère des points lorsque la punition est faite. Intérêt supplémentaire : lorsqu’on fait le bilan toutes les semaines (lors d’un conseil, par exemple), ce système permet d’introduire les notions de sursis, de double peine, de présomption d’innocence, de délation, de témoignage, de bouc émissaire…

Les ceintures de comportement

Cet outil s’inspire du judo. Chaque élève fait ses preuves au fur et à mesure de sa scolarité et gagne ainsi des droits. Le maitre décide de faire passer des ceintures lorsqu’il estime qu’un élève est prêt (lorsque son permis est vierge, par exemple) et l’élève peut ainsi grimper : blanche, jaune, orange, verte, bleue, marron. Voici un exemple des comportements observés pour chaque ceinture :
Blanche : dérange le travail des enfants de la classe.

  • Jaune : fait des efforts pour faire son travail sans déranger les autres.
  • Orange : ne dérange pas la classe.
  • Verte : rend des services à la classe.
  • Bleue : pense parfois aux intérêts de la classe avant de penser aux siens
  • Marron : est en mesure de faire fonctionner la classe
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Le profil de chaque ceinture est défini assez précisément, mais ce ne sont que des indicateurs, le maitre a un droit de véto et l’attribution d’une ceinture correspond à la manifestation bien plus globale d’une attitude responsable dans la classe. Ainsi, un élève pourra passer ceinture verte s’il aide ses camarades, s’il ne change pas de comportement quand l’enseignant s’absente, s’il préside correctement les temps de parole, s’il propose et organise des ateliers et s’il reconnait lorsqu’il n’a pas respecté les règles.
Le pouvoir et la liberté augmentent en relation avec la responsabilité (la confiance) et l’exigence. Si un enfant ceinture verte n’a pas effectivement plus de liberté qu’une ceinture jaune et si on n’a pas plus d’exigence pour lui que pour le jaune, ça ne marche pas : les enfants ne grandissent pas vraiment.
Être reconnu comme un élève plus responsable apporte donc des droits que n’ont pas les ceintures du dessous : circuler dans la classe, s’assoir à côté d’un copain, avoir un permis de circulation libre et responsable dans l’école, être médiateur dans la cour, voter au conseil…
Enfin avec les ceintures de comportement on ne peut pas rétrograder à cause de son comportement, un vert ne redevient pas orange. On évite ainsi de favoriser l’instabilité et l’on peut certifier que l’élève a été capable à certains moments de respecter les codes, les règles. Ainsi un élève peut toujours s’appuyer sur des réussites et nous pouvons analyser avec lui pourquoi et comment, à certaines périodes, son comportement se stabilise et s’apaise.
Deux conséquences à cette règle :
– La ceinture est attribuée à l’essai pour voir si le candidat assume (compétence) et supporte (exigence) son statut, sa ceinture.
– Évidemment, même si elle n’est pas encouragée, la régression est toujours possible. Il serait illusoire et dangereux qu’elle ne soit pas reconnue et située par un statut particulier : le statut R = aire de Retrait, Repos, Régression, Refuge…
Ce fonctionnement avec les ceintures peut sembler exigeant et contraignant, mais les élèves s’y repèrent rapidement et leur sens aigu de la justice rend les choses simples.

Les discussions à visée philosophique en primaire

« Qu’est ce que je gagne à aider les autres ? », « C’est quoi être intelligent ? », « D’où viennent mes gouts ? », « Qui c’est qui commande ? ». Des questions qui peuvent être abordées dès le plus jeune âge.
Lorsque j’aborde ces questions avec mes élèves, je choisis un thème si possible en rapport avec un évènement d’actualité (actualité de la classe, de la cour ou plus largement actualité du monde). Quelques exemples cette année :
– La solidarité face aux catastrophes naturelles (à partir de la remarque d’un élève qui nous avait dit qu’il pensait qu’on donnait trop à Haïti)
– Copain/ami, quelle différence ? (thème récurrent)
– L’attachement en amour (à partir d’un élève qui se plaignait du fait que sa copine lui envoyait jusqu’à 300 SMS par jour pour s’assurer de son amour)
– Qu’est-ce que l’intelligence ? (À partir de la remarque : « Oh lui ! C’est un intello »)
– Comment mettons-nous en scène nos sentiments ? (à partir de décryptage d’émissions de téléréalité)
De par leur aspect généraliste (terme que je préfère à polyvalent), les professeurs des écoles peuvent intégrer facilement ces moments de réflexion à leur progression en français (oral, argumentation), en histoire et éducation civique et bientôt, peut-être, en essayant de valider les grandes compétences 1, 5, 6 et 7 du socle commun.
Le « cours de philo » est alors un lieu où la méthode éduque autant que le contenu puisqu’il n’y a pas de mauvaise réponse, et qu’il peut y en avoir plusieurs de bonnes. Assez rare, non ?

Gwenaël Le Guével
Professeur des écoles en SEGPA