Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Pourquoi pas ses élèves ? Pourquoi pas nos élèves ?

1. Si chaque prof aime être reconnu dans son génie propre, pourquoi pas ses élèves ?
2. Si chaque prof a des représentations différentes de sa matière, pourquoi pas ses élèves ?
3. Si chaque prof prépare à sa manière, pourquoi ses élèves n’exploreraient-ils pas les savoirs par des chemins différents ?
4. Si chaque prof apprend son nouveau programme à son rythme, pourquoi pas ses élèves ?
5. Si chaque prof revendique le droit à la différence, pourquoi pas ses élèves ?
6. …

Cette liste de questions « impertinentes » pourrait être plus longue, mais voyons déjà ce qu’on peut répondre à chaque interrogation :

1. Si chaque prof aime être reconnu dans son génie propre, pourquoi pas ses élèves ?

Dans les écoles où je passe, un certain nombre de professeurs brillent par un talent, une qualité personnelle qu’ils développent, une performance professionnelle qu’aucun de leur collègue ne possède ! Chacun peut être reconnu pour cette compétence particulière, laquelle deviendra une ressource pour la communauté. En est-il de même pour les élèves qui peuplent la classe ? Sachons reconnaître l’autre ailleurs qu’à travers les talents langagiers ou logico-mathématiques…
J’aimerais, par exemple, que, chaque semaine, un temps de la classe soit consacré aux passions — réalisées ou non — pour lesquelles les enfants dégagent une motivation importante !
A quoi ressemblerait la classe si chaque prof se donnait le défi quotidien de rechercher au cœur de chaque enfant son génie propre, cette étincelle qui le fait -ou pourrait le faire- briller au sein du groupe ?

2. Si chaque prof a des représentations différentes de sa matière, pourquoi pas ses élèves ?

Demandez à un groupe d’enseignants quels contenus-matières ils privilégient au sein de leur classe. Leurs propositions seront différentes car leurs connaissances et représentations de la matière varient selon leur expérience… et leurs goûts personnels ! S’ils vous donnent des exemples par écrit ou oralement, vous vous apercevez vite de cette diversité. C’est vrai pour les exemples, les contre-exemples, les règles, les procédures… et même les concepts ! Si l’idée est proche, les mots pour l’exprimer sont personnels. En effet, les savoirs sont des construits individuels et contextuels.
Si cela est vrai pour nous autres, enseignants, qu’en est-il de la construction mentale de nos élèves ? Comment peut-on exiger de leur part la même réponse au même moment sans aucun souci de leurs représentations ? Pourquoi ne pas les inviter à partager leurs savoirs et à les comparer ensuite ? Ils pourraient ainsi passer d’une perception limitée des savoirs à une connaissance structurée… beaucoup moins superficielle. L’important ne résidera plus dans les exemples mais dans la compréhension.

3. Si chaque prof prépare à sa manière, pourquoi ses élèves n’exploreraient-ils pas les savoirs par des chemins différents ?

Le propre du cerveau humain est de fonctionner à l’économie. Un certain nombre d’habitus, déterminés par des contextes, induisent donc les comportements de chaque humain. Ainsi, beaucoup d’enseignants, sans s’en douter, préparent leur enseignement selon un modèle dominant : généralement une démarche déductive, parfois inductive, rarement analogique ou dialectique… S’il prépare à sa manière, ne devrait-il pas apprendre à se décentrer pour tenir compte des modèles dominants variés de ses étudiants ? Ces derniers ne pourraient-ils pas — selon les apprentissages — se voir offrir des démarches d’enseignement par découverte, par application, par comparaison, par discrimination … ?

Comment une profession qui réclame du concret et de la variété pour elle-même en formation continue peut-elle en offrir de moins en moins au fur et à mesure que les enfants grandissent ?

4. Si chaque prof apprend son nouveau programme à son rythme, pourquoi pas ses élèves ?

– Si chacun réfléchissait à la difficulté qu’il connaît pour apprendre son nouveau programme ou de nouvelles directives pédagogiques…
– Si chacun réfléchissait aux différences de motivation dans une équipe enseignante face aux projets, aux événements de l’école…
– Si chacun observait avec réalisme sa propre difficulté à accepter des savoirs différents de son déjà-là
alors, peut-être, regarderait-il ses élèves avec plus d’empathie ?

5. Si chaque prof revendique le droit à la différence, pourquoi pas ses élèves ?

En effet, dans mon travail de consultant en pédagogie, j’entends souvent des enseignants qui réclament le droit de « faire la classe » comme ils veulent. « Pourquoi devrais-je agir comme mon collègue ? Pourquoi devrais-je faire comme ON me le dit ? Je suis un professionnel ! » Sans être d’accord avec leur discours — loin de là — je me plais à poser l’interrogation suivante : « Tes élèves aussi ont le droit réel de te remettre des travaux différents ? Leur proposes-tu donc des modes de résolutions ouvertes et acceptes-tu l’inattendu pour autant qu’il correspond à l’objectif, étant entendu que l’objectif n’est pas la tâche ? Prépares-tu en fonction des suggestions des autres pour respecter le droit que tu t’octroies ? »

Puisse la personnalité de nos élèves provoquer encore longtemps les paradoxes de nos enseignants et les inciter à garder les pieds sur terre, dans la réalité…