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Pourquoi je m’intéresse au questionnement des élèves

Développer chez les enfants l’esprit critique (valeurs de liberté, de démocratie) et le plaisir d’apprendre (valeurs d’épanouissement personnel, de respect) me semble primordial à l’école : tous les enseignements intellectuels en dépendent, car ils développent, entre autres, une autonomie d’apprentissage.
Il y a trois ans, mon dossier candidat pour le concours de Professeur d’École s’intitulait Pourquoi faire émerger les conceptions des élèves en primaire dans le domaine scientifique ? Ce domaine scientifique est en effet celui qui nous vient le premier à l’esprit lorsqu’on parle d’esprit critique, car il permet de mieux comprendre le monde qui nous entoure.
Une des démarches scientifiques que je pratique s’appuie sur les conceptions erronées des élèves (leur manière de penser le monde, collective ou propre à chacun). J’ai appris que pour les faire évoluer, il fallait les faire émerger (pour permettre aux élèves d’en prendre conscience), puis les remettre en cause grâce au conflit sociocognitif. Nos conceptions étant un enchevêtrement de connaissances et de systèmes d’explications en plus ou moins grande relation, la remise en cause d’une seule acquisition s’accompagne dès lors de celle d’autres que l’on pensait justes. Notre savoir dépend donc de notre raisonnement.
Le jour où j’ai découvert un livre sur la philosophie à l’école primaire, je me suis intéressée au raisonnement qui accompagne tout apprentissage. Pour moi, la philosophie est l’art de s’étonner, de se questionner sur l’essentiel et de rechercher une plus grande clarté dans le but d’essayer d’être heureux : philosopher est une attitude avant tout. Connaître l’histoire de la philosophie, comme maîtriser des processus de raisonnement tels que conceptualiser, argumenter, problématiser peut être utile, mais sans désir de clarté, sans cette attitude philosophique, philosopher se réduit à un exercice de raisonnement, et manque d’authenticité. L’art du philosopher réside pour moi dans l’art du questionnement.
Par conséquent, en mettant en place des ateliers philo, notre attitude philosophique (celle du maître) doit servir de modèle. Or notre identité professionnelle lorsque nous débutons ressemble surtout à celle que nous avons connue étant petits et ne correspond pas forcément à celle que nous voudrions avoir. La mise en place des ateliers philo peut-elle faire évoluer l’identité professionnelle d’un enseignant débutant ? Si oui, comment ?
En voulant répondre à ces questions lors de mon mémoire professionnel, j’ai découvert :
– L’écoute : apprendre à écouter jusqu’au bout un enfant qui parle et respecter sa parole, sa réflexion ;
– La parole : apprendre à faire attention aux mots et à leur signification ;
– Le pouvoir : repérer les situations où il y a prise, voire abus de pouvoir ;
– Le statut de la question : la question comme outil d’apprentissage, et pas seulement pour l’évaluation ou le guidage pédagogique.

Le statut de la question

Pourquoi m’intéresser au statut de la question et plus précisément au questionnement des enfants ? Les ateliers philos que je menais au CP-CE1 étant sous forme de discussion, j’ai pu remarquer que les interactions verbales entre enfants se faisaient uniquement en se positionnant (« je suis d’accord », « je ne suis pas d’accord avec toi ») mais rarement en posant des questions. Or ils disent souvent, même au cycle 3, « Peux-tu répéter ta question ? » alors que ça n’en est pas une. Ne savent-ils pas alors reconnaître une question orale ?
J’ai donc essayé de mettre en place des situations où ils devaient reconnaître une question (posée par quelqu’un, ou pour en poser une). En fait, ce n’est pas si facile, bien que poser une question pour avoir des informations le soit plus, que pour mieux comprendre la pensée d’autrui. Pourquoi est-ce difficile ? Qu’est-ce qui fait la particularité des questions ? Y a t-il un intérêt à ce qu’ils se posent plus de questions entre eux ?
J’ai remarqué qu’en posant des questions, on évitait plus facilement de porter un jugement de valeur. Par ailleurs, une question suppose une réponse, ce qui favorise le dialogue, évitant les juxtapositions d’opinions et d’exemples. Une idée non formulée reste une nébuleuse floue. On ne sait d’ailleurs vraiment ce qu’on veut dire que lorsqu’on l’a effectivement dit, parce que les mots sont des outils qui aident à sculpter la pensée. En effet, pourquoi prendre la parole dans un groupe de discussion pour exprimer sa pensée, si ce n’est pour la découvrir, pour l’affiner en la mettant à l’épreuve du regard d’autrui ? Enfin, poser une question valorise la parole de celui à qui on la pose et prouve qu’il a été entendu. J’ai donc essayé de mettre en place de plus en plus de situations où les enfants se posent des questions et où surtout ils puissent les poser.

Des savoirs et savoir-faire

Lors du Quoi de neuf, des enfants viennent à tour de rôle devant la classe raconter un événement qu’ils ont vécu ou présenter un objet ou une découverte à la classe. L’objectif le plus courant est à la fois de constituer un groupe classe et de libérer les enfants d’une charge émotionnelle pour qu’ils se mettent ensuite au travail en étant moins gênés par le bavardage… Mais on peut y voir un objectif langagier, prendre peu à peu conscience de certaines fonctions du langage : savoir différencier une question de ce qui n’en est pas, savoir en poser.

Chaque enfant qui intervient à droit à trois questions. Interviennent alors :
Le repérage d’une question. Si ce n’est pas une question, l’élève animateur intervient : « Attention, ce n’est pas une question. Est-ce que tu as une question à poser ? »
La reformulation d’une affirmation en question. Certains enfants de CP arrivent à transformer leurs affirmations en questions : « Ce n’est pas possible parce que dimanche, il n’y a pas d’école. » transformé en : « Tu es sûr que c’était dimanche ? Parce que ya pas d’école le dimanche. » Apprendre à faire une remarque sous forme de question permet d’établir des rapports plus constructifs. De plus, la notion de remarque apparaît. L’élève animateur peut dire : « Ce n’est pas une question, c’est une remarque. »
La distinction entre questions de forme et questions de fond
Au début les enfants comptent parmi les trois questions celles qui concernent la forme :
« Peux-tu répéter ? »
« Peux-tu le redire plus fort ? »
« Peux-tu le redire autrement ? »
Puis, ceux qui exposent finissent par ressentir de la frustration quand ils ont trois questions de forme. Un jour, un enfant s’est exclamé : « Mais ce n’est pas de vraies questions ! » En analysant le fonctionnement du Quoi de neuf ? cette remarque aurait pu aussi apparaître.
Alors qu’est-ce qu’une vraie question ? Une discussion naît, amenant un changement des règles : chaque enfant a droit à trois « vraies » questions.

Questionner pour apprendre : une attitude qui s’enseigne ?

Ce genre d’activité a redonné un statut au questionnement, celui qu’il avait de manière naturelle : un moyen d’apprentissage. Par contre, dans les ateliers philo, lorsque j’ai divisé le groupe de discussion en deux : les discutants et les questionneurs (qui n’avaient le droit d’intervenir que pour poser des questions), les CP-CE1 ont eu plus de mal que les enfants de cycle 3.
Comment susciter le questionnement des enfants lors des ateliers philo ? Comment intervenons-nous auprès des enfants pour les aider à préciser et à structurer leur pensée ? N’est-ce pas de la même manière qu’ils pourraient intervenir entre eux pour essayer de comprendre explicitement ce qu’ils veulent dire (« Pourquoi dis-tu cela ? », « Qu’est-ce qui te fait penser que… ? », « Est-ce cela que tu veux dire ? ») ? Si poser des questions aide à apprendre, comment susciter ce questionnement dans les autres domaines d’apprentissage ? Enfin, si questionner est une attitude, comment les aider à avoir cette attitude ? Est-ce possible si l’enseignant n’utilise que les questions évaluatives, ou socratiques (la maïeutique) de sa panoplie didactique ?
Peut-être pouvons-nous voir ici un essai du maître pour ne pas tuer le questionnement des enfants, en répondant prématurément à des questions qu’ils ne se sont pas encore posées.

Voici un exemple d’apprentissage du questionnement et de l’explicitation, en atelier philo d’abord, puis transposé en mathématiques.
Atelier « philo » : concept du beau et du laid
Phase 1 : Par trois ou quatre, peignez le beau. Il faut que votre peinture soit belle.
Phase 2 : Maintenant, peignez le laid. Il faut que votre peinture soit laide.
Phase 3 : Par groupe, venez présenter vos deux peintures à la classe et dites quel est le beau, et pourquoi il est beau, puis quel est le laid et pourquoi il est laid.

Réinvestissement en mathématiques
Je dessine un carré au tableau et un cercle.
Je demande aux enfants si j’ai dessiné deux fois la même chose.
Rigolade. « Ben non maîtresse ! »
Je leur demande : « Pourquoi ? »
« Parce que là, c’est un cercle et là, un carré. »
« Pourquoi ici c’est un cercle et là un carré, quelle est la différence ? »
Ainsi, nous construisons ensemble la définition du cercle et celle du carré.

Voici donc où j’en suis dans ma pratique. Tant de questions m’ont décidée à faire une thèse sur ce sujet !

Samantha Vangeehoven, professeur d’école à Valras (34)