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Pour une école de la réussite
Résister et proposer

Nous écrivions en ce début d’année sur notre carte de vœux, en citant Pierre Mendès France, la nécessité pour notre République « de comprendre l’espérance des filles et des garçons de France… » pour qu’elle n’ait plus « rien à craindre des aventuriers, des démagogues, des extrémistes… ».[[Pierre Mendès France, message à la jeunesse prononcé à la télévision le 22 décembre 1955.]] Loin « d’épouser cette espérance », le gouvernement, sourd aux revendications de toute une jeunesse, et au-delà, de tous ceux qui dépendent du bon vouloir de l’entreprise pour exister, semble s’acharner à détruire toute perspective autre que celle des lois du marché, qui sont en train de devenir les tables de la Loi de notre époque. Le Premier ministre impose une figure de l’autorité qui n’est pas sans évoquer l’Ancien Régime : le peuple est un enfant qui ne peut pas comprendre, ses colères sont des caprices auxquels il convient, pour son bien, de ne pas céder ; le seul recours doit être dans l’obéissance et l’acceptation de l’inacceptable.
Du côté de l’Éducation nationale, même chanson : le temps n’est plus à la complexité, à la recherche patiente des solutions, toujours provisoires et à réinterroger, permettant de faire accéder les élèves – tous les élèves – aux savoirs, à la citoyenneté active et à l’accomplissement de soi. Face aux grandes insuffisances de notre système éducatif, on cherche à imposer une « solution » unique et souvent simpliste (par exemple le retour à la méthode syllabique), en stigmatisant ceux qui pensent autrement. On tente d’imposer des circulaires rejetées pourtant par l’immense majorité des acteurs de l’école (voir les votes négatifs au Conseil supérieur de l’enseignement sur les changements de programmes du primaire ou sur la note de vie scolaire). Pire, on va jusqu’à interdire de parole certains chercheurs dans des lieux institutionnels[[Tel Roland Goigoux, dont les interventions à l’École supérieure des cadres de l’Éducation nationale (ÉSÉN) ont été annulées depuis l’affaire des méthodes de lecture.]].
Situations que nous ne pensions plus possible… comme le couvre-feu décrété en novembre lors de la crise des banlieues.
Nous nous retrouvons dans une position difficile : le service public d’éducation est attaqué de front, sur des bases que nous condamnons. Dans le même temps, nous ne pouvons occulter les réels dysfonctionnements de l’institution qui fondent notre critique et les propositions de changement portées par notre mouvement. Comment éviter l’amalgame dans le vacarme provoqué par les mesures gouvernementales ? Devons-nous rejoindre un front du refus, résister d’abord ?
Résister, certes, cela est nécessaire, voire prioritaire. Avec les syndicats, avec les autres mouvements pédagogiques, avec tous ceux qui pensent que les valeurs de partage, de solidarité, d’émancipation doivent fonder les propositions de réforme, nous disons notre refus d’une école qui entérine les inégalités sociales, qui, sous couvert de « réalisme » trouve juste d’orienter précocement des élèves dans la voie de l’apprentissage, qui considère que la présence policière peut avantageusement remplacer des éducateurs, qui ne trouve rien de mieux à faire pour résoudre les difficultés de certaines familles que de supprimer les aides, voire les menacer de la prison…
Cela ne nous empêche pas d’être bien évidemment sensibles aux échecs du système scolaire : nous n’acceptons pas que 15 % d’une classe d’âge soit rejeté du système sans réelle formation. Mais nous savons aussi que des solutions existent : que le décloisonnement disciplinaire à travers des dispositifs comme les itinéraires de découverte en collège, la mise en projet d’une classe autour de savoirs vivants, une pédagogie différenciée en réponse à l’hétérogénéité, une meilleure prise en compte de la psychologie des adolescents, un meilleur accueil de la parole des élèves (l’ECJS n’a jamais été vraiment prise au sérieux, alors qu’il est vital d’apprendre aux élèves à débattre de manière argumentée), une évaluation plus respectueuse des personnes et qui ne renie rien des exigences de savoir et de progrès, tout ce que nous travaillons depuis des décennies, porte ses fruits quand suffisamment de personnes arrivent à travailler ensemble dans ce sens : l’effet établissement existe, l’effet maître aussi. Sans doute faudrait-il le rappeler plus souvent. Les dix « principes »[[ Lire les dix principes ]] que nous avons élaborés pour la construction d’un socle commun de compétences participent de cet effort pour faire vivre une école de la réussite pour tous.
Sauver l’école publique et la transformer, deux objectifs qu’il faut plus que jamais conjuguer, en protestant, en témoignant, en proposant, en nous mobilisant…

Bureau du Crap-Cahiers pédagogiques , le 26 mars 2006.